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L’optimisme militant

DEUXIEME PARTIE

CHAPITRE PREMIER Le projet utopique de Bloch

3. L’optimisme militant

3.1. L’utopie comme moteur de la révolution

Le principe Espérance présente « un optimisme militant »256qui fonde une métaphysique de l’espérance. Celle-ci est orientée vers la réalisation, le rétablissement et la modification du monde en un autre monde nouveau où se réalise l’esprit humain et où s’identifie l’homme à lui-même car il sera libéré de toute aliénation. C’est en ce sens qu’on comprend l’expression de Bloch qui déclare qu’« en conjuguant le courage et le savoir, l’homme empêche que l’avenir ne s’abatte sur lui comme une fatalité, il le conquiert et y pénètre avec tout ce qui est sien. Le savoir, dont ont besoin le courage et surtout la décision, ne peut ici rester tel qu’il a toujours été : simplement contemplatif. »257Par conséquent, l’optimisme militant qui exige le courage ne se confond pas avec un quiétisme contemplatif. Il exige, ainsi, de faire preuve d’une espérance active où s’ajoutent la visée de l’idéal et la volonté de la réalisation.

En effet cet optimisme, loin d’une simple et stérile contemplation du devenu, fonctionne comme une collaboration active au processus. Il s’agit d’une pensée transformatrice, pragmatique (convoiter un monde meilleur) et activiste. Ici intervient le non-encore-être indéterminé qui ne se confond pas avec un « rien » ou un « néant ». D’où nous comprenons que cet « encore » a plus de valeur que le « non » car il permet au monde d’être ouvert à une transformation possible.

Ainsi l’optimisme militant par lequel l’espérance s’expérimente dans l’œuvre, n’admet pas la réalisation des idéaux abstraits, mais appelle à libérer les éléments asservis de la société nouvelle et humanisée. Autrement dit, il s’agit d’émanciper les éléments d’un idéal concret. « Il ne permet pas,

256 Bloch, Principe…, I, chapitre 17, op. cit., p p 239- 247. 257 Ibid., p239.

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comme le dit Marx, de réaliser des idéaux abstraits, mais bien de libérer les éléments opprimés de la société nouvelle et humanisée c’est-à-dire de l’idéal concret. »258C’est cette espérance active et traduction de l’optimisme militant qui permettent à l’utopie de se diriger vers un Novum, vers un non-

devenu.

Rappelons que pour Bloch, l’Homme n’est pas compact et le monde n’est pas clos. Celui-ci n’est pas clos car Bloch refuse de penser la matière en des termes physicalistes qui introduisent le thème de la nécessité. La liberté doit se lancer et s’étaler au-delà de toute nécessité. Pour Bloch la matière s’installe sur la voie du devenir et acquiert un horizon. Dès lors, un espace vide et nouveau s’ouvre au loin et c’est en lui que se meut le possible. Or le devenu ne remporte pas encore sa victoire finale dans un monde fait de processus et de rapports dynamiques. Il y a toujours un au- delà au devenu qui entre directement dans l’ontologie du Non-encore-être et qui n’est que le Novum de l’utopie.

Par conséquent, l’optimisme militant, présente une espérance active dans le Novum de l’utopie au sens d’une croyance construite et poussée vers la possibilité d’un monde meilleur à venir. L’optimisme militant, ainsi dire, estime un engagement et une volonté à l’œuvre dans l’homme. Ainsi l’espérance devient l’élément que possède l’homme et qui ne recourt ni à une transcendance ni à un Dieu qui tranche entre le négatif absolu et la totalité réussie. Cet optimisme militant doit, donc, vouloir et croire en la possibilité objective de réaliser une utopie accomplie. . Cet accomplissement de l’utopie ne passe donc pas par « l’optimisme plat de la foi automatique dans le progrès. » Même, considérant que ce faux optimisme tend dangereusement à devenir « un nouvel opium du peuple, il va jusqu’à penser qu’une « pincée de pessimisme serait préférable à cette

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foi aveugle et plate dans le progrès. Car un pessimisme soucieux de réalisme se laisse moins facilement surprendre et désorienter par les revers et les catastrophes, par les éventualités terrifiantes qui ont jalonné et continuent de jalonner la progression du capitalisme.»259

Par conséquent, Bloch met l’accent sur le caractère objectivement non garanti de l’espérance utopique qu’il résume en ces termes : Nous n’avons pas d’assurance. Nous n’avons que l’espoir. L’optimisme militant qui caractérise la fonction utopique dans son processus d’achèvement semble être, donc, un bien hautement souhaitable bien qu’inessentiel. Il attribue une valeur hautement morale dont dépend le salut terrestre des hommes. Il doit, alors, guider les hommes aliénés, dépossédés et asservis à s’opposer au donné défectueux pour récupérer leur propre liberté.

La bataille que perçoit Bloch pour l’émancipation et le Royaume de la liberté, étant la plus fondamentale des images-souhait, n’a de sens que si elle s’adresse à des hommes encore accablés et en désappropriation de soi (mais sont chargés par le désir de libération). En fait, chez Bloch, la règle morale ne s’adresse pas à des hommes libres dans les faits mais à des hommes encore aliénés et qui conservent en eux cette part incessante d’espoir.

Ce qui vaut, ainsi, comme postulat du désir moral d’un monde meilleur, c’est l’Espérance car elle est la seule flèche qui pousse l’homme en avant dans sa conquête de la liberté. « Le royaume ainsi désigné de la liberté ne consiste donc forcément pas en un retour, mais en un exode, bien que vers ce pays auquel l’homme songe depuis toujours, vers ce pays dont le processus chante les louanges. »260L’espérance émergée en principe central de la philosophie blochienne fait entrer « l’utopie comme catégorie centrale de notre siècle. »261

259 Ibid., p240. 260 Ibid., p 247.

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L’utopie ainsi conçue sur le mode d’un « principe espérance » ne se fait plus l’image hypothétique d’un Etat vraisemblablement idéal. Atténuée de ses vieux modèles et de ses anciennes structures et émancipée de ses remparts, l’utopie chez Bloch se fait orientation révolutionnaire de l’esprit. Elle accède à un futur meilleur et profondément désiré et à une possibilité d’un salut terrestre pour les hommes. C’est ce souhait fondamental de l’humanité qui se trouve, selon Bloch, porté par l’espérance. Celle-ci se déplace, à travers les âges à l’aide de cet optimisme militant, de ceux qui ont fait avancer l’histoire au-delà du donné de l’époque. Ainsi « la philosophie de cet optimisme c’est-à-dire de l’espérance comprise comme espérance matérialiste s’occupe elle-même entant que savoir voulu non contemplatif de la partie la plus avancée de l’histoire. »262

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