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Partie I : Sociologie des invités

A. L’omniprésence du roi

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Le plus emblématique de ces invités fantômes, est le Roi. Aucun roi ne vient à Toulouse durant le XVIIIe siècle. Or, il fait tout de même parler régulièrement de lui dans les archives.

a. De son sacre…

Toulouse a fêté deux sacres durant le XVIIIe siècle. Celui de Louis XV le 25 octobre 1722 et celui de Louis XVI le 11 juin 1775. Étonnamment, le sacre de Louis XV n’apparait pas dans les délibérations : le mois d’octobre 1722 n’y est pas référencé. Également, il ne semble pas être référencé dans les pièces à l’appui des comptes. C’est la raison pour laquelle l’étude qui suit est centrée sur Louis XVI.

Le 23 juin 1775, le Conseil de Bourgeoisie se réunit afin de discuter d’une lettre du Roi en date du 12 juin, accompagnée de celle de M. le Duc de la Vrillière, le secrétaire d’État à la Maison du Roi. Comme pour chaque évènement, la réception d’une lettre lance la mise en chantier de la fête.

« Sur quoy lecture faite de la lettre du Roy et de celle de M. le Duc de la vrilliere Il a été Delibéré d’assister au Te Deum qui sera chanté dans leglise Saint Etienne de le faire annoncer la veille par plusieurs décharges de couleuvrines qui seront reitérée le lendemain de faire Illuminer le soir du meme jour tous les Murs en face de l’hotel et faire tirer a la place Royalle un feu dartifice dont la depense est fixée a douze cent livres et prier Messieurs les Capitouls de Rendre une ordonnance pour enjoindre a touts les habitants dilluminer leurs maisons et de faire chacun devant sa porte un feu de Joye99. »

C’est ainsi que Toulouse accueille l’avènement de ce nouveau Roi, jeune, honnête et bienveillant. Les festivités sont à la hauteur du prestige de son nom, il est fêté comme s’il était présent.

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Pendant son règne, tout Roi de France envoie ses troupes à la guerre, leur fait gagner des batailles et signe des traités. Louis XV, malgré les dernières paroles de Louis XIV l’enjoignant à un règne pacifique, mène une politique de guerre. Il se confronte à la guerre de Succession de Pologne (1733- 1738), à la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) et à la guerre de Sept Ans (1756 – 1763). Pour chacune de ces guerres, les villes de province sont informées quant à l’évolution de la situation sur le front. Ainsi, en 1744 et 1745, sont dépensées respectivement 1598 livres 2 sols et 2273 livres 2 sols et 2 deniers à « l’occasion des Te Deum qui ont été chantés et des feux de joyes et illuminations faites par rapports aux conquettes et victoires remportées par le Roy sur les ennemis de L’etat100

. » À distance, Toulouse fête donc les victoires de ses troupes, mais surtout les victoires de son Roi. En 1759, une autre victoire est fêtée pour la somme de 477 livres 18 sols. Bien que le nom de cette victoire ne soit pas précisé, la date correspond à la victoire de Bergen durant la guerre de Sept Ans.

Louis XVI n’est pas en reste, puisqu’en janvier 1782 pour 181 livres 1 sol et 6 deniers, un Te Deum est « chanté à l’occasion des avantages remportés par les troupes du Roi sur les Anglais en Amérique101 ». La France était en effet engagée dans la Guerre d’Indépendance des États-Unis.

Le sacre d’un Roi n’est donc pas la seule festivité qui lui revient. Lorsqu’un Roi gagne des batailles, il en informe le peuple au moment le plus opportun pour lui, afin d’en faire un véritable moment de réjouissance, une parenthèse dans un pays en guerre. L’information et la fête des victoires est un véritable enjeu politique. La santé du Roi fait également parti des informations données au peuple. b. … à sa mort 100 A.M.T. BB 51 f°133. 101 A.M.T. BB 127 f°22.

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L’état de santé du Roi est également célébré. Le Royaume de France tourne autour de son Roi, le perdre soudainement est une tragédie, surtout si sa succession n’était pas assurée. C’est pourquoi sa santé est suivie de près.

On trouve quatre fêtes pour la convalescence du Roi Louis XIV, en 1721, 1726, 1744 et 1757. Celle de 1721 a été célébrée autour d’un Te Deum chanté, suivi d’un « magnifique repas que M. les Capitouls [durent] faire a M. les Anciens Capitouls qui assistèrent au Te Deum chanté […] en action de grâce de la convalescence de Sa Majesté102. » Cependant, pour sa convalescence de 1744, la ville donne beaucoup plus de réjouissances. La nouvelle de la maladie du roi avait eu un grand impact sur la ville et sa population. Toute la ville est concernée lorsque le roi est malade et la population est dans l’attente constante de nouvelles.

« Faire part à cette assemblée [de délibération] des heureuses nouvelles qui nous rassurent sur le danger qu’a couru notre grand Roy par la maladie dont il a été atteint dans la ville de Metz, la ville de Toulouse qui fais gloire de s’être toujours signalée par son attachement respectueux et par son zelle ordinaire pour la personne de son prince a été plusieurs jours plongée dans les plus vives alarmes dans la crainte de perdre un roy qui fait la felicités de ses peuples […] les vœux que nous n’avons cessé de faire pour la conservation d’une vie et d’une santé si chere ont été enfin exaucés, nous n’avons rien obmis de tous ce que notre zelle aidé du secours de la religion a pu nous inspirer pour obtenir la convalescence de Sa Majesté, il est juste de rassurer le peuple en lui anonçant d’une manière eclatante une aussi bonne nouvelle103. »

La population est alors prévenue au bruit de la mousqueterie et de la couleuvrine. Des feux de joie se font dans toute la ville, un feu d’artifice est donné sur la place de l’Hôtel de Ville avec des illuminations et trois fontaines de vins placées devant la façade. De plus, comme mentionné précédemment, les Capitouls changent la destination de leur dépense : « il sera au surplus

102

A.M.T. BB 47 f°154. 103 A.M.T. BB 51 f°124.

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dépensé douze cents livres tant pour nourrir tous les prisonniers de la ville que pour délivrer le plus grand nombre qui faire se pourra desdits prisonniers qui sont detenus pour dettes104 ».

La convalescence du Roi est donc un moment de grandes réjouissances pour le peuple, celui-ci est heureux, il fait la fête au nom du Roi. Lorsque celui- ci décède, des honneurs lui sont également rendus, différents des honneurs de réjouissances. Par ailleurs le peuple n’est pas sollicité de la même manière par les Capitouls, les différents corps de métiers ne sont pas réunis.

Ainsi, lorsque le Conseil de Bourgeoisie se réunit le 18 septembre 1715, c’est pour faire part de la lettre reçue de Louis XV, arrière-petit-fils de feu Louis XIV. Cette lettre demande de maintenir le repos et la tranquillité dans la ville et ordonne aux Capitouls « d’assister aux prières qu’elle a ordonné être faites dans l’église principale105

». Il est choisi de faire comme en 1643 lors de la mort de Louis XIII qui, lui, avait suivi ce qui s’était pratiqué en 1604 en l’honneur d’Henri IV. Cependant, ils décident de « faire quelque chose de plus qu’en ces temps là pour marquer la Vive Douleur que chacun a ressenty en la perte du plus grand Roy qui ayt jamais été106 ». Enfin, les Capitouls convoquent à l’Hôtel de Ville les habitants possédants des fiefs nobles et les sujets du ban et de l’arrière-ban, c’est-à-dire les personnes plus éloignées de Toulouse, mais qui y sont tout de même rattachées, pour assister à la cérémonie des obsèques. Celle-ci est présidée par deux Capitouls et quatre Anciens Capitouls, deux de chaque robe, désignés comme maître de cérémonie.

Dans le cadre des honneurs funèbres du Roi, la ville se comporte donc différemment, le peuple est sollicité pour la prière et le silence. Bien que certains n’aient jamais vu le roi ou une fois lors de sa visite en 1659, il est fêté, il est prié, Toulouse et les Capitouls pensent à lui. C’est le fantôme par excellence, jamais là physiquement, mais toujours présent malgré tout.

104 A.M.T. BB 51 f°126. 105

A.M.T. BB 46 f°128. 106 Ibid.

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