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1 . L’OBSERVATION DESENGAGEE

L’enquête de terrain

1 . L’OBSERVATION DESENGAGEE

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Dans le cas de l’observation externe désengagée, l’observateur étranger au phénomène lui reste extérieur pendant toute la durée de l’observation et en est seulement le spectateur. Il pénètre par exemple dans un groupe, qui sait en général qui il est et dans quel but il se trouve là, mais il ne participe pas à l’activité du groupe.

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On est alors très près de la technique du reportage telle qu’elle est utilisée par les journalistes, la différence avec celle-ci tenant simple-ment au fait que l’enquête sociologique est beaucoup plus systémati-que systémati-que le reportage journalistisystémati-que, en ce sens systémati-que les cadres de la

re-cherche auront été déterminés à l’avance, de même que les hypothèses à vérifier ou les points à analyser plus précisément.

• Une enquête de ce genre peut être conduite par un chercheur isolé ou par plusieurs chercheurs travaillant en équipe. Elle peut être clan-destine ou avouée. Avouée, lorsque l’observateur ne cache pas sa pré-sence et les raisons de celle-ci. Mais cette situation risque de provo-quer des perturbations dans le déroulement des phénomènes étudiés.

D’où, dans certains cas, le recours à des formes d’observation clan-destine. Ainsi, avec la technique de l’observateur caché, observant sans être vu (par exemple, une classe d’école observée à travers un miroir sans tain), ou celle de l’observation sans observateur, en utili-sant des procédés d’enregistrement sonores ou visuels, fonctionnant automatiquement. Les avantages techniques de ces procédés sont évi-dents, mais leur emploi soulève des questions morales et déontologi-ques sur la possibilité de transformer ainsi des êtres humains en des sortes de cobaye en les observant à leur insu.

Ce procédé convient particulièrement à l’observation d’activités sociales discontinues, c’est-à-dire d’activités ou de phénomènes so-ciaux ponctuels, dont la durée dans le temps est limitée. Il se prête bien par exemple à l’étude des réunions, des manifestations sur la voie publique, des campagnes électorales, des séances d’assemblée ou de congrès, etc. En revanche, elle est moins bien adaptée à l’étude de phénomènes sociaux continus, qui s’inscrivent dans la durée, comme l’analyse de la vie quotidienne d’un groupe, de son organisation, de son fonctionnement habituel.

Ceci ne l’empêche pas cependant d’avoir été mise en œuvre avec succès dans un certain nombre d’études de ce type qui sont devenues des classiques de la sociologie. Ainsi, avec la monographie de Robert et Helen Lynd sur Middletown dans les années 1920. Ou encore, le cas de l’enquête conduite sous la direction du sociologue américain Lloyd Warner à partir de 1931 dans une petite ville américaine typique de 17000 habitants, Newburyport dans le Massachusetts. Cette recherche, qui a mobilisé plus de trente spécialistes durant cinq ans, a permis de recueillir un ensemble de données dont l’exploitation a demandé plus de 20 ans. La parution des cinq volumes rendant compte de ces

re-cherches, sous le titre Yankee City Series, s’est en effet échelonnée de 1941 à 1959. Cette enquête a fourni une masse d’informations consi-dérable. Elle a notamment contribué à attirer l’attention sur les struc-tures de classe de la société américaine. En particulier, c’est dans cet ouvrage que Warner a proposé une description devenue classique de la stratification sociale américaine en six classes, discriminées par le niveau de vie et le prestige [40] social : classe supérieure de premier rang (upper upper class), classe supérieure de second rang (lower-upper), classe moyenne de premier rang (upper-middle), classe moyenne de second rang (lower-middle), classe inférieure de premier rang (upper-lower), classe inférieure de second rang (lower-lower).

Certaines recherches françaises se sont inspirées de cette techni-que, ainsi l’étude de C. Bettelheim et S. Frère sur Auxerre, Auxerre en 1950, celle de P. Clément et N. Xydias sur Vienne sur le Rhône, ou, en Bretagne, celle d’Edgar Morin et son équipe sur Une commune en France : Plodemet.

• Cette approche présente les avantages de l’observation externe, à savoir la possibilité de faire effectuer l’observation par des enquêteurs compétents et spécialisés, avec d’assez fortes garanties d’objectivité.

Mais, en même temps, il en présente les limites : risques d’une certai-ne artificialisation des comportements observés, risques d’ucertai-ne analyse incomplète et trop superficielle de la réalité étudiée. C’est pour es-sayer de remédier à ces inconvénients que l’on a mis au point la tech-nique de l’observation participante.

2. L’OBSERVATION PARTICIPANTE

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Dans ce cas, l’observateur est toujours au départ un étranger au phénomène étudié, mais en cours d’observation il n’est plus seulement spectateur, il devient acteur et participe au déroulement du phénomè-ne qu’il étudie.

• Cette technique est dérivée des procédés mis au point par les eth-nologues et transposés par les sociologues. On le sait lorsqu’un ethno-logue veut étudier une population primitive, il va s’installer au sein de la communauté choisie pour une longue durée, plusieurs mois, parfois plusieurs années. Là, participant à la vie des indigènes, l’ethnologue essaie de gagner leur confiance, de les habituer à sa présence, de se faire oublier afin que la vie du groupe se déroule sous ses yeux sans gêne, de façon spontanée et naturelle. Ce qui permet à l’ethnologue à la fois d’être témoin de phénomènes non déformés par sa présence et de comprendre en profondeur la signification et la portée de ces phé-nomènes.

On s’est avisé que cette technique, qui a fait ses preuves en ethno-logie, pouvait être transposée dans d’autres contextes et que les socio-logues pouvaient user de cette technique pour étudier n’importe quel groupe : un village, un syndicat, une usine par exemple. La démarche du sociologue est alors la même que celle de l’ethnologue : gagner la confiance des gens, se faire adopter par eux, faire admettre sa présen-ce comme naturelle, s’intégrer à la vie quotidienne du groupe choisi.

Cette technique d’observation, qui demande de grandes qualités de patience, [41] de faculté d’adaptation, d’intuition, est incontestable-ment l’une de celles qui permet les recherches les plus profondes et les plus globales.

Notamment, elle constitue un instrument précieux pour l’étude de la vie sociale dans la durée, dans ses aspects les plus complexes, les plus cachés et les plus quotidiens, car elle seule permet d’appréhender ces "impondérables" dont parle Malinowski dans Les Argonautes du Pacifique Occidental : Il est une série de phénomènes de grande im-portance, que l’on ne saurait enregistrer en procédant à des interroga-toires ou en déchiffrant des documents, mais qu’il importe de saisir dans leur pleine réalité. Appelons-les les impondérables de la vie au-thentique. Ce sont des choses comme la routine du travail quotidien de l’homme, les détails des soins corporels, la manière de prendre la nourriture et de la préparer, le style de la conversation et de la vie so-ciale autour des feux du village, etc. Tous ces faits peuvent et doivent être formulés et consignés ; mais, pour cela, il importe de percer à jour l’attitude mentale qu’ils expriment plutôt que de se borner, comme le font couramment les observateurs non qualifiés à noter les détails d’une manière superficielle".

• Ce procédé présente plusieurs avantages. Il contribue à diminuer sensiblement les risques d’artificialisation des phénomènes observés, en amenant leurs différents acteurs à plus ou moins "oublier"

l’observateur et à retrouver leur spontanéité. Il permet une observation plus complète de la réalité en donnant au chercheur l’accès à des in-formations qu’il aurait ignorées s’il s’en était tenu à des contacts su-perficiels. Il en permet aussi une connaissance plus profonde dans la mesure où le chercheur peut mieux percevoir la signification réelle des faits collectés. Par exemple, pour discerner quels sont les vrais rapports de pouvoir par rapport à l’apparence des hiérarchies formel-les et des organigrammes.

Ceci étant, cette technique se heurte à certaines limites. D’abord, quel que soit le degré d’intégration de l’observateur, le risque demeu-re encodemeu-re pour partie que sa présence provoque des comportements artificiels, qui, sans lui, n’auraient pas eu lieu ou se seraient produits différemment Par ailleurs, l’observateur étant obligé de s’intégrer en un point précis de la structure du groupe risque de voir son observa-tion du groupe bornée par cet enracinement et de ne pouvoir en pren-dre une vue d’ensemble. D’où le risque d’une vision partielle de la réalité. D’autre part, quand un groupe traverse des conflits ou connaît des tensions, le sociologue pourra être écartelé entre son rôle de socio-logue et son rôle de participant. Enfin, cette intégration peut compro-mettre l’objectivité du chercheur et modifier le regard porté sur le phénomène étudié. Ainsi pourra-t-il trouver évidentes et "normales"

des attitudes qui, au début, lui auraient paru nécessiter une explica-tion. De même, sa proximité avec la réalité étudiée peut provoquer chez lui des réactions de sympathie ou d’antipathie susceptibles d’infléchir sa vision des choses en donnant parfois à ce type d’observation un aspect partial.

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