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2.2 L’IRT au front d’ablation

2.2.1 L’IRT classique

Pour comprendre l’origine de l’IRT [27, 28], envisagons deux fluides non miscibles de densit´es diff´erentes, s´epar´es par une interface plane, et plac´es dans un champ de gravitation comme celui de la pesanteur terrestre. La gravit´e ´equivaut `a une acc´el´eration dans le sens oppos´e (dans un ascenseur qui monte et donc acc´el`ere vers le haut, on a l’impression de peser plus lourd, donc qu’une composante de gravit´e suppl´ementaire dirig´ee vers le bas apparaˆıt). On prend souvent l’exemple de l’eau et de l’huile : si l’huile -moins dense- se trouve au dessus de l’eau, le syst`eme est stable, et toute perturbation de l’interface -par exemple des oscillations parce qu’on secoue le r´ecipient- sera att´enu´ee et finalement annul´ee. En revanche, si l’eau est plac´ee sur l’huile, le syst`eme est instable car son ´energie potentielle est plus importante que dans le cas pr´ec´edent. Cependant, si l’interface (cas id´eal impossible `a reproduire) est parfaitement plane, le syst`eme est en ´equilibre : l’eau ne peut pas p´en´etrer l’huile `a un endroit ou un autre de l’interface. Cette situation ´equivaut `

a celle d’une sph`ere immobile plac´ee en haut d’un pic : la moindre perturbation fera d´egringoler la sph`ere en bas. Ainsi toute perturbation de l’interface sera amplifi´ee par l’IRT, le syst`eme minimisant ainsi son ´energie potentielle en ´echangeant le fluide lourd avec le fluide l´eger ; l’huile p´en`etrera dans l’eau et vice-versa, jusqu’`a ce que l’eau soit au fond et l’huile au dessus. On retrouvera alors la configuration stable pr´ec´edemment ´evoqu´ee. Ce cas peut ˆetre g´en´eralis´e `a n’importe quels fluides acc´el´er´es lorsque l’acc´el´eration et le gradient de densit´e vont dans la mˆeme direction dans le r´ef´erentiel du laboratoire. On peut aussi interpr´eter ce ph´enom`ene par la plus grande inertie du fluide le plus lourd qui va donc opposer plus de r´esistance `a l’acc´el´eration et donc se retrouver ”au fond” tandis que le fluide l´eger se retrouvera ”devant”, comme dans une centrifugeuse.

L’IRT passe par diff´erentes phases. Prenons une perturbation sinuso¨ıdale de l’interface d’amplitude not´ee η tr`es inf´erieure `a la longueur d’onde λ. Tant que η < 0, 1λ, on se trouve en phase lin´eaire [29] comme repr´esent´e en figure 2.2 (a). En supposant des fluides

incompressibles, on obtient alors une croissance exponentielle de la perturbation de type η(x, y, t) = η(x, y, 0) exp σt (2.17) avec le taux de croissance σ d´efini par

σ = pgAtk (2.18)

o`u g est l’acc´el´eration, k = 2π/λ le nombre d’onde et At le nombre d’Atwood tel que

At=

ρH − ρL

ρH + ρL

(2.19) o`u ρH et ρL sont les densit´es respectivement du mat´eriau le plus dense et le moins dense.

On voit ainsi que le taux de croissance augmente quand l’acc´el´eration croˆıt ou que la longueur d’onde diminue. Les petites longueurs d’onde croˆıssent donc plus vite que les grandes et atteignent donc plus vite des stades non-lin´eaires. Le nombre d’Atwood quan- tifie le fait que plus la diff´erence de densit´e entre les deux fluides est importante, plus le taux de croissance est important. On peut aussi remarquer qu’une perturbation arbitraire de petite amplitude pourra ˆetre trait´e par d´ecomposition de Fourier comme une somme de perturbations sinuso¨ıdales croˆıssant `a des vitesses diff´erentes.

Quand l’amplitude atteint quelques dixi`emes de λ, l’IRT entrer en phase non-lin´eaire (cf figure 2.2 (b)). La perturbation perd alors la sym´etrie de son profil sinuso¨ıdal : la p´en´etration du fluide dense dans le fluide l´eger se produit plus vite et prend la forme d’aiguilles tandis que la p´en´etration du fluide l´eger dans le fluide lourd se ralentit et prend la forme de bulles. En phase fortement non-lin´eaire repr´esent´ee en figure 2.2 (c), quand l’amplitude des perturbations d´epasse la longueur d’onde, deux ph´enom`enes sup- pl´ementaires apparaissent. Du fait de l’interp´en´etration des bulles et des aiguilles, une composante transverse de vitesse apparaˆıt `a l’interface au niveau des bords des aiguilles. Une instabilit´e hydrodynamique de type Kelvin-Helmholtz [30, 31] se d´eveloppe alors. Ce type d’instabilit´e cr´ee des vagues `a l’interface entre deux fluides lors qu’il y a cisaillement, c’est-`a-dire que les composantes tangentielles des vitesses de deux fluides `a l’interface sont diff´erentes. C’est typiquement ce qui arrive lorsque le vent souffle `a la surface de l’eau : des vagues se forment car l’eau est immobile tandis que l’air se d´eplace `a une certaine vitesse parall`element `a l’interface. Cette instabilit´e provoque la formation de structures sur les bords des aiguilles qui prennent ainsi une allure de champignon. L’autre ph´enom`ene qui apparaˆıt en phase fortement non-lin´eaire est appel´e comp´etition et m´elange de bulles. Les bulles vont fusionner entre elles en produisant des bulles plus grosses. Ce ph´enom`ene se r´ep`ete, ´eliminant les plus petites bulles et cr´eant des bulles de plus en plus grosses. Si l’IRT a suffisamment de temps pour se d´evelopper, on obtiendra `a la fin une seule grosse bulle de la largeur du syst`eme. Le fluide l´eger peut alors finir par remonter au-dessus du fluide lourd et le syst`eme atteint la configuration stable.

a →

ρL

ρH

a) b) c) d)

Figure 2.2 – Evolution d’une perturbation sous l’effet de l’IRT `a l’interface entre deux fluides de densit´e (l´eger de densit´e ρL et lourd de densit´e ρH) a) en phase lin´eaire, b) en

phase faiblement non-lin´eaire, c) en phase fortement non-lin´eaire et d) lors de la turbu- lence.

Cependant, `a ce stade, si l’´epaisseur du fluide lourd est suffisamment grande, un autre ph´enom`ene apparaˆıt : l’IRT entre dans une phase chaotique appel´ee phase de turbulence (cf figure 2.2 (d)), o`u les aiguilles se cassent sous forme de gouttes. L’instabilit´e de Kelvin- Helmholtz sur les bords des aiguilles entre en phase non-lin´eaire et provoque un m´elange entre les deux fluides. L’´ecoulement est alors extrˆemement complexe et ne peut plus ˆetre trait´e de mani`ere compl`etement pr´edictive.