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Chapitre II : L’encadrement du raisonnement probatoire

1. L’intime conviction

Le raisonnement probatoire mène à l’intime conviction. Le principe de l’intime conviction n’est pas établi dans un texte précis, il apparaît indirectement dans plusieurs codes de procédure. Historiquement, il découle de la Révolution française et plus particulièrement du jury populaire195. Le critère qui emporte la conviction du juge est celui de la vraisemblance. Selon Jean-Marie Fayol-Noireterre, « l’intime conviction est une méthode de

jugement permettant de prendre en compte l’acte à juger et la personne dans leur réalité et dans leur subjectivité, en ouvrant aux juges l’accès à tout moyen de preuve : par la parole, par la science, par les éléments psychologiques »196.

Le principe de la libre appréciation des preuves par le juge (et par l’OFPRA en tant qu’instruction) s’impose dans le domaine de l’asile. La liberté d’appréciation trouve sa limite lorsque le juge (ou l’administration) est confronté à un mode de preuve dont la force probante est définie par la loi (par exemple, les certificats médicaux). Autrement, le juge fonde sa

194 Probst J., op.cit., p. 334.

195 Tournier C., L’intime conviction du juge, PUAM, Aix-en-Provence, 2003, p. 37. 196

Fayol-Noireterre J.-M., « L’intime conviction, fondement de l’acte de juger », Informations sociales, 2005/7, n° 127, p. 46.

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conviction sur la base de plusieurs indices ou peut décider qu’un seul indice est de nature à établir la preuve nécessaire (témoignages, lettres, photos, expertises….). Pour ernard Pacteau, « faute de preuve absolue, la vérité reconnue par le juge sera une vérité relevant

davantage de sa conviction, ce qui ne veut certes pas dire qu’elle soit fragile, mais qu’elle ne peut être tirée que d’un faisceau d’indices, voire d’un tri entre les diverses informations et indications dont on dispose »197.

De par les principes généraux du procès, il est interdit au juge de fonder sa décision sur des motifs dubitatifs ou hypothétiques. Selon la doctrine, le critère qui emporte la conviction du juge est celui de la vraisemblance. Johanna Probst souligne ainsi que :

« La conviction de l’instructeur est basée sur sa croyance. Celle-ci dépend, quant à elle, de son appréciation subjective des faits invoqués, de son attitude généralement plutôt confiante ou méfiante, de sa plus ou moins grande disposition à prêter foi. Le processus décisionnel apparaît dès lors comme largement régi par la question dû croire. Afin de l’objectiver au maximum, l’attribution de la croyance est soumise à des conditions, à des tests et procédures de vérification. Au regard des caractéristiques inhérentes à la procédure de demande d’asile, l’objectivation de l’instruction apparaît comme un objectif inatteignable ou bien comme le vœu pieux d’une institution cherchant à légitimer son action »198.

L’intime conviction se manifeste, dans le cas de refus, par des expressions récurrentes telles que : « les propos tenus par l’intéressé lors de son entretien n’ont pas permis d’établir la

réalité des faits allégués », « les allégations se sont montrées peu crédibles et peu développées » ou « les déclarations de l’intéressé ont été convenus et peu concluantes ».

Concernant le récit, il est souvent considéré comme « peu spontané », « peu étayé »,

« lacunaire » ou « peu convaincant », à la fois sur le risque de persécution que sur

l’orientation sexuelle, soit parce que le requérant « décrit de manière sommaire les conditions

de sa séquestration », soit parce que « ses propos sont imprécis quant aux circonstances de la découverte de son homosexualité ». Un juge assesseur nous a confié que « quand un requérant dit qu’il est un opposant politique mais ne connaît pas le nom du parti cela est facile mais dans les cas des personnes homosexuelles il n’y a pas de questions rédhibitoires ».

Il apparaît néanmoins que les simples éléments déclaratifs et généraux ne suffisent pas à emporter l’intime conviction. Selon un rapporteur de la CN A, « on peut reconnaître un récit

spontané et un récit appris par cœur cela joue beaucoup au moment de se faire une intime conviction ».

197

Pacteau B., op.cit. 198 Probst J., op.cit., p. 332.

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Souvent, la difficulté à parler du sentiment homosexuel, les contradictions internes et la confusion que cela provoque ne sont pas perçues comme une question culturelle mais comme un mensonge. Ainsi, un requérant ivoirien s’est vu refuser le statut de réfugié parce qu’« il a évoqué la prise de conscience de son homosexualité de façon convenue et il n’a

donné aucun détail sur son ressenti personnel », les explications d’un jeune albanais « sont apparues vagues et peu personnalisées lors de l’évocation de son homosexualité ». Une

femme sénégalaise a été également déboutée pour « avoir livré très peu de détails sur les

circonstances de la découverte de son homosexualité » ou encore un jeune nigérien pour un « exposé peu convaincant et non empreint de vécu ». Et lorsqu’un natif du Bangladesh se « montre confus sur la découverte de son identité sexuelle », la CNDA rejette le recours. Ces

appréciations ne concernent pas seulement la « découverte » de l’ omosexualié, mais son vécu. Ainsi, l’absence de « détails sur le ressenti personnel » ou des déclarations sommaires sur « une première relation homosexuelle » ont constitué un obstacle à la fois au niveau de l’OFPRA qu’à la CN A pour déterminer l’appartenance d’un requérant ivoirien au groupe social des omosexuels de son pays. e même, une ressortissante kényane s’est vue refuser le statut de réfugiée par l’OFPRA, entre autres du fait de la manière détac ée et peu personnalisée de relater l’assassinat de sa compagne de même sexe. L’audience en appel devant la CNDA lui a permis de mieux étayer les circonstances du crime et de convaincre les juges des sentiments pour son amie défunte. Comme si avoir une conscience claire et nette de son identité sexuelle était quelque c ose d’évident, en particulier dans une société où le mépris pour les homosexuels est monnaie courante on se demande comment ne pas être confus par rapport à une orientation sexuelle dissidente.

Le « décalage culturel » entre le décideur et le demandeur peut également porter préjudice à ce dernier, en affectant la conviction que les OP ou les juges peuvent se forge sur leur histoire. Ainsi, un militant associatif a observé que souvent lors de l’entretien, l’OP pose des questions aux requérants sur le sentiment d’être perçu comme différent. Cette question implique à la fois la différence (question propre aux sociétés occidentales) et celle de la perception de la différence, qui nécessite un degré d’abstraction qui n’existe pas nécessairement dans les pays d’origine. De même, des notions telles que « prise de

conscience », « parcours personnel », « cheminement individuel », « acceptation de son homosexualité » ne correspondent pas à la manière de se subjectiver dans certains pays

africains ou du Moyen-Orient. De même, « l’absence de connaissance des lieux de rencontre

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été considérée par l’OP comme un élément déterminant pour qualifier l’absence de crédibilité du récit d’une femme béninoise. Des contradictions flagrantes sur la chronologie des faits entre l’écrit et l’oral jettent aussi le discrédit, alors que tout simplement dans certaines régions d’Afrique subsa arienne la perception du temps n’est tout simplement pas c ronologique comme en Occident. Dans le même sens, un début de vie sexuelle homosexuelle tardive peut être considéré comme suspect par le juge, comme le cas d’un ressortissant albanais qui n’a pas pu constituer son appartenance à un certain groupe social du fait d’avoir déclaré n’avoir eu des relations sexuelles jusqu’à vingt-sept ans. Les juges ne comprennent pas toujours la pression sociale et familiale, ni la onte qu’elle peut engendrer. En ce sens, la présidente d’une ONG nous raconte que « la honte est l’élément principal qui atteint à l’instruction des

demandes d’asile des lesbiennes (…) c’est cette honte qui les empêchent de se dire lesbiennes et quelqu’un qui ne s’assume pas n’est pas crédible… ».

En revanc e, un récit emportera l’intime conviction lorsqu’il est considéré comme précis à la fois sur les risques encourus et sur l’appartenance au groupe social. Aussi, l’émotion joue un rôle capital dans l’évaluation de la crédibilité. Un récit « empreint de

sincérité » et le fait d’évoquer « en des termes personnalisés l’ostracisme et les discriminations liées à son homosexualité » tout comme des déclarations « spontanées et personnalisées » permettent plus facilement d’emporter l’intime conviction de l’instruction.

Donner des détails sur ses partenaires sexuels et affectifs, parler de manière précise des persécutions subies aide à forger l’intime conviction des juges. Comme le note un rapporteur de la CNDA, « l’intime conviction ne dépend pas d’un récit très précis mais d’un moment

spontané, personnalisé, un moment où on sent que c’est ça… ». Dans le même sens, la prise

de précautions par le demandeur porte le juge à considérer que, la personne étant consciente du risque qu’encourt, elle appartient sûrement au groupe social. Selon un juge interrogé sur cette question, « il est toujours gênant lorsque les demandeurs expliquent que la persécution a

commencé lorsqu’ils ont été surpris en pleins ébats. Ces récits posent un problème de crédibilité, notamment puisqu’ils apparaissent chez des requérants provenant des pays où la sexualité est extrêmement codée et se passe en toute discrétion. Comment expliquer alors le manque de précaution quand les homosexuels devraient être encore plus discrets que les autres ? ». À la demande qu’est-ce que pour vous l’intime conviction dans ce type d’affaires,

un juge assesseur nous a répondu : « c’est en fonction de l’impression que le requérant nous

donne. Une fois que la crainte de persécution est considérée comme raisonnable, l’appartenance au groupe social des homosexuels tient à l’impression que le requérant nous

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donne, sa manière de parler de la découverte de son homosexualité, l’émotion avec laquelle il évoque ses premiers émois, ses stratégies pour empêcher d’être surpris par sa famille et son entourage… ».

Comme l’intime conviction demeure, malgré tout, une question éminemment subjective, il est important d’éviter les formations à juge unique. La collégialité permet de dépasser les propres « préjugés » et arriver à une décision plus objective. Au-delà du récit, la question de l’intime conviction en matière d’asile signifie également que le juge n’est pas tenu par les preuves apportées par le demandeur ou l’absence de preuves. Il faut que le juge soit persuadé que si la personne retourne dans son pays d’origine, elle sera soumise à des persécutions en raison de son orientation sexuelle.

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