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Chapitre II : L’encadrement du raisonnement probatoire

2. Le bénéfice du doute

Le bénéfice du doute n’est pas reconnu par les autorités nationales comme un principe juridique de l’asile. ans une décision du 12 septembre 2016, la CNDA affirme que :

« Si le requérant soutient que l’article L. 723-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile méconnaît le principe du bénéfice du doute, force est de constater qu’aucune stipulation de droit international, en particulier aucune stipulation de la Convention de Genève ne consacre juridiquement ledit principe »199.

’ailleurs, nous n’avons pas trouvé d’application effective de ce principe dans la jurisprudence. En tout cas, il n’est jamais explicité, peut-être tout simplement parce que la directive Qualification ne mentionne pas expressément le principe du bénéfice du doute.

Cela n’empêc e toutefois pas le HCR de recommander la mise en place du principe du

bénéfice du doute lors de l’évaluation des déclarations du demandeur200. De même, la CEDH

a jugé qu’il est souvent nécessaire d’accorder le bénéfice du doute à un demandeur. ans J. K.

et autres c. Suède, par exemple, la Cour a estimé qu’ : « eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il est fréquemment nécessaire de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents qui les appuient. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, il incombe à celui-ci de fournir une explication satisfaisante pour les inexactitudes contenues

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CNDA, 19 septembre 2016, n° 16014945, M.B.

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dans ces déclarations. […] La Cour a estimé que même lorsque certains détails dans le récit d’un requérant apparaissent quelque peu invraisemblables, cela n’est pas forcément de nature à nuire à la crédibilité générale des allégations de l’intéressé »201. Dans le même

sens, le rapport Fleeing Homophobia recommande aux preneurs de décisions et aux autorités judiciaires des pays d’accueil de « garder à l’esprit que la violence omop obe peut être sous documentée » et que « le bénéfice du doute est d’une importance cruciale dans tels cas »202.

Dans la pratique, un certain nombre de décideurs français de l’asile se prévalent de ce principe. Comme le souligne Johanna Probst, tel est cas pour de nombreux OP :

« Les instructeurs français se réclament souvent du principe du bénéfice du doute. Tout en indiquant que ce principe est censé (selon le discours officiel) être appliqué à l’OFPRA, les instructeurs déplorent que l’inverse soit souvent le cas. Eux-mêmes très favorables à son respect, ils constatent que leurs chefs de section tendraient à préconiser le rejet des dossiers sur lesquels existent des doutes. Une des convictions les plus fondamentales de beaucoup d’instructeurs français est qu’il faut laisser au demandeur le bénéfice du doute. Le principe du bénéfice du doute est comparable à celui communément appelé ‘in dubio pro reo’ : le fait de ne pas sanctionner un coupable est préférable au fait de sanctionner un innocent. Traduit dans les termes de la demande d’asile, cela veut dire que l’octroi du statut à un demandeur non ayant droit est préférable au rejet d’un demandeur nécessitant une protection. S’il s’agit bien d’une erreur administrative dans les deux cas, les conséquences de l’une sont estimées moins graves que celles de l’autre. Selon les agents, c’est donc l’enjeu important de la demande d’asile qui rend nécessaire l’application du principe du bénéfice du doute. (…). La plupart des instructeurs semblent au contraire considérer que la décision de rejet serait la conséquence logique de l’incapacité du demandeur à éliminer le doute de l’instructeur sur ses déclarations »203.

Une juge assesseur nous a également confié que lors d’une audience, une femme voulant parler de sa partenaire employait l’expression « mon mari », elle parlait de sa conjointe au masculin : « on lui a quand même donné l’asile, par bénéfice du doute, mais on n’était pas

très convaincu ».

La propension à vouloir appliquer le principe du « bénéfice du doute » est intimement liée à la « peur de se tromper ». Il s’agit là aussi d’une expression émanant du terrain français. La peur de se tromper évoquée par un très grand nombre d’instructeurs signifie évidemment celle de rejeter à tort un demandeur et non d’accorder à tort une protection. Selon le rapport

Au-delà de la preuve, « le principe du bénéfice du doute traduit la reconnaissance des difficultés considérables auxquelles les demandeurs sont confrontés pour obtenir et fournir des éléments susceptibles d’étayer leur demande. Ce principe reconnaît que, malgré les

201 CEDH, GC, 23 août 2016, J. K. et autres c. Suède, n° 59166/12, § 93.

202 Jansen S. et Spijkerboer T., Fleeing homophobia. Asylum claims related to sexual orientation and gender

identity in Europe, VU University Amsterdam, 2011, p. 89

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efforts fournis par le demandeur, mais également par l’autorité responsable de la détermination pour réunir des éléments supplémentaires relatifs aux faits pertinents présentés par le demandeur, des doutes peuvent subsister quant à tout ou partie des déclarations du demandeur. En outre, la nécessité de ce principe est renforcée par la reconnaissance du fait que la vie et/ou l’intégrité d’un demandeur peuvent être sérieusement mises en danger si sa demande de protection internationale est rejetée par erreur. L’application du principe du bénéfice du doute permet à l’agent responsable de la décision de parvenir à une conclusion claire quant à la crédibilité d’un fait pertinent présenté, là où subsiste un élément de doute »204.

Le HCR souligne toutefois que les agents de l’asile se trouvent confrontés à un stress psychologique qui peut altérer le raisonnement probatoire. Il s’agit du « traumatisme

vicariant » produisant une sorte de fatigue de la compassion menant à des stratégies

cognitives de protection, comme la méfiance, susceptibles de compromettre involontairement leur impartialité et l’application du principe du bénéfice du doute205. Un juge assesseur affirme ainsi sur un ton ironique : « qu’est-ce qu’il y a comme homosexuel fils d’Imam ». Si le détac ement affectif constitue une garantie d’objectivité du raisonnement probatoire, il ne faut tomber dans l’absence d’écoute et d’ouverture nécessaire pour mieux comprendre l’épaisseur du récit de vie.

B/ Les critères

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