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Chapitre I : La dimension économique de l’environnement

Section 2 : L’analyse économique des problèmes environnementaux :

3. L’internalisation des effets externes :

Deux solutions standard sont proposées : soit par l’intervention de « l’instance suprême » (les normes, les subventions et les taxes) ou bien par des solutions privées d’internalisation (négociation directe, fusion des parties, marchés de droits à polluer). Elles seront analysées successivement.

3.1 La réglementation ou l’intervention de « l’instance suprême » :

Cette forme d’internalisation suppose l’intervention d’un agent particulier, garant de l’intérêt général, et qui va modifier la perception que les autres agents pouvaient avoir du problème environnemental. Dans la pratique, c’est une institution spécifique qui tien ce rôle (comme l’Agence Nationale des Déchets (AND) en Algérie pour son domaine de compétence, ou l’Environmental Protection Agency (EPA) aux États-Unis) que nous désignerons de réglementeur, suivant la proposition de François Lévêque (LÉVÊQUE, 1998). Comme nous l’avons indiqué plus haut, ce réglementeur peut recourir soit à la contrainte, soit à la mise en place de mécanismes incitatifs, laissant un fort degré de liberté aux agents.

3.1.1 Les normes :

Un moyen simple de s’assurer que le niveau optimal de pollution soit atteint par les agents consiste à leur imposer des normes, qui peuvent être de différentes natures.

La norme d’émission consiste en un plafond maximal d’émission qui ne doit pas dépasser le niveau de pollution P* sous peine de sanctions administratives, pénales ou financières (émission de dioxyde de soufre, SO2, ou de carbone dans l’atmosphère, etc.). Dans la mesure où les agents pollueurs ont économiquement intérêt à polluer (ils subissent un coût de dépollution Cm), la norme assure qu’ils choisiront toujours exactement le niveau maximal de pollution autorisé, ni plus ni moins. Si la norme est correctement spécifiée, l’objectif du planificateur est alors atteint. Néanmoins, si l’évaluation des coûts marginaux de dépollution et du dommage marginal est entachée d’erreur, la norme peut être fixée à un niveau qui ne correspond pas à l’optimum P*. Si elle est trop laxiste, le niveau de pollution sera trop élevé sans que les agents pollueurs aient la moindre incitation à réduire leurs émissions. Si elle est trop rigoureuse, le niveau de pollution sera inférieur au niveau optimal ce qui, du point de vue de la stricte efficacité économique adopté ici, n’est pas non plus souhaitable car cela engendrera une perte de bien-être social en imposant aux pollueurs un coût de dépollution excessif (CHIROLEU-ASSOULINE, 2007).

Les normes de procédé imposent aux agents l’usage de certains équipements dépolluants (pots d’échappement catalytiques, station d’épuration) ou certaine pratiques dépolluantes, souvent les moins polluantes du moment : ce sont les best available technologies. Les normes de qualité spécifient les caractéristiques souhaitables du milieu récepteur des émissions polluantes (taux de nitrates dans l’eau potable, taux d’émission de dioxyde et de monoxyde de carbone des véhicules automobiles). Enfin les normes de produit imposent des niveaux donnés limites à certaines caractéristiques des produits (taux de phosphates dans les lessives, teneur en soufre des combustibles, caractère recyclable des emballages, etc.).

Édicter une norme qui restaure l’optimum social suppose la connaissance de P*, c’est-à-dire celle des dommages et celles des coûts de dépollution. La première condition peut être remplie en utilisant les méthodes d’évaluation monétaire des phénomènes environnementaux, comme l’évaluation contingente ou la régression hédonique, même s’il faut souligner qu’elles ne peuvent fournir, au mieux, qu’une approximation de la réalité des dommages. La seconde condition suppose que le planificateur ait accès à des informations qui sont généralement réservées aux firmes, notamment concernant les technologies utilisées. Pour ces deux types de raisons, la

norme imposée est généralement différente de celle qui permettrait d’atteindre l’optimum social. 3.1.2 Les taxes :

Le principe de la taxe pigouvienne (PIGOU, 1932) est simple. Il consiste à imposer à l’entreprise une taxe t par unité de rejets égale au coût marginal de réduction de la pollution [t = Cm (P*)] de sorte que le comportement maximisateur de l’agent pollueur le conduise à émettre exactement le volume optimal d’émission P*. L’entreprise produisant le bien polluant décidera rationnellement, à l’équilibre décentralisé, de polluer tant que son coût marginal de dépollution Cm est supérieur au coût marginal de ses émissions t. Pour que le volume d’émission atteint soit le volume optimal, il faut donc fixer le taux de taxe au niveau du dommage marginal subi par la victime [t = Dm].

L’instauration d’une taxe pigouvienne sur les émissions polluantes est compatible avec le principe pollueur payeur puisqu’il s’agit de faire supporter aux pollueurs la différence entre le coût social et le coût privé de leurs activités. Cette solution revient à donner le droit de propriété sur l’environnement aux pollués et la distribution des revenus entre les pollués et les pollueurs qui en résulte est évidemment moins favorable pour les pollueurs que dans le cas de la norme. Par ailleurs, Baumol et Oates ont montré qu’il était inefficace de compenser les pollués pour la pollution optimale qu’ils subissent, en plus de taxer les pollueurs : cela n’inciterait pas les riverains à prendre les mesures nécessaires contre les effets de la pollution (BAUMOL & OATES, 1988).

Bien entendu, la fixation du niveau optimal de la taxe est confrontée aux mêmes problèmes d’informations que pour la norme.

3.1.3 Les subventions :

Du point de vue strict du niveau de pollution atteint, il est naturellement équivalant à court terme de taxer les pollueurs pour obtenir d’eux qu’ils réduisent leurs émissions ou de les subventionner dans leurs activités de dépollution. En effet, si l’agent polluant reçoit une subvention proportionnelle (de taux unitaire s) à la réduction de ses émissions par rapport au niveau qu’il aurait choisi en l’absence de toute contrainte, son comportement rationnel consiste à dépolluer tant que son coût marginal de dépollution Cm est inférieur au taux de subvention, ou encore tant que le coût d’opportunité d’une unité supplémentaire d’émission s est supérieur au bénéfice marginal qu’il en retire Cm. Le taux de subvention optimal est ainsi égal au taux de taxe optimal.

C’est le même raisonnement que celui qui conduit à internaliser une externalité positive (comme la recherche et développement) par le versement d’une subvention égal au bénéfice marginal retiré par l’ensemble de la société de cette activité.

3.2 Les solutions privées d’internalisation :

Même si elles n’excluent pas toujours l’intervention d’un réglementeur fixant le cadre général à l’intérieur duquel pourront évoluer les agents, les solutions privées mettent au premier plan les décisions volontaires des parties concernées.

3.2.1 La négociation directe :

Si le phénomène de pollution ne fait intervenir qu’un petit nombre d’agents, Coase (COASE, RAGNI, & ROMANI, 1992) a suggéré qu’aucune institution n’est véritablement nécessaire pour que ceux-ci parviennent à une allocation efficace des ressources s’ils peuvent négocier directement entre eux.

La répartition du profit total des participants dépend du rapport de force dans la procédure de négociation, mais l’allocation des ressources obtenue est toujours optimale quelle que soit la répartition initiale des droits de propriété sur l’environnement. Ainsi, dans notre exemple, si les riverains ont droit à une eau pure (P = 0), entre le niveau zéro déchets et l’optimum P*,

l’entreprise a intérêt à obtenir l’accord des riverains pour déverser P* en versant une

compensation supérieur au dommage infligé mais inférieur à l’économie réalisée en terme de coûts de dépollution. Cela est possible puisque, entre 0 et P*, le coût marginal de réduction des rejets est supérieur au dommage marginal. La négociation s’arrête au point où il n’y a plus de gain collectif à partager, c’est-à-dire en P*. À l’inverse, si l’entreprise a le droit de polluer le lac, le même raisonnement conduit cette fois les riverains à compenser l’entreprise pour qu’elle stabilise ses rejets au niveau P* plutôt qu’au niveau P0 (BONTEMS & ROTILLON, 2013).

3.2.2 La fusion des parties :

Il s’agit ici dans notre exemple du rachat de l’entreprise par les riverains, qui aboutirait à intégrer le dommage et le coût de réduction des rejets dans le calcul de l’optimum privé de l’entreprise. Dans d’autres cas, si l’externalité subie par une entreprise est causée par une autre firme, la fusion des deux entraîne le choix du niveau de pollution optimal P* puisque l’ensemble des conséquences des décisions prises est maintenant considéré.

3.2.3 Les marchés de droit à polluer :

Comme nous l’avons vu, c’est essentiellement l’absence de marché, pour des biens tels que l’air, l’eau, etc., qui conduit à une allocation imparfaite des ressources, particulièrement des ressources naturelles, mais aussi des facteurs de production polluants. L’une des possibilités d’internalisation des effets externes, préconisée par certains économistes consiste en la mise en place d’un marché boursier où les parties concernées pourraient échanger des titres de propriété des ressources environnementales (DALES, 1968). L’intervention de l’État peut alors se limiter à la fixation d’un objectif de pollution P*, et distribue ou alloue le montant correspondant de droits à polluer à l’entreprise et aux riverains. L’entreprise doit posséder un nombre de droits au moins égal aux rejets effectués ; si elle en possède plus que nécessaire, elle peut décider de les revendre aux riverains ou, à l’inverse, leur en acheter si elle n’en a pas assez. En achetant des droits, les riverains diminuent le stock de permis disponible pour les entreprises réduisant d’autant la pollution. L’établissement de ce marché fait apparaître un prix d’équilibre pour les droits à polluer et rétablit l’optimalité des décisions de l’entreprise car au coût de réduction de la pollution s’ajoute le prix des permis à acheter. Si l’objectif de pollution est P*, le prix unitaire d’équilibre s’établit à t*, c’est-à-dire au niveau du coût marginal de réduction des rejets pris à l’optimum. Ici encore, la propriété d’efficacité de l’équilibre obtenue ne dépend pas de l’allocation initiale des droits à polluer entre les différentes parties. Enfin, il est nécessaire que le marché des droits à polluer soit concurrentiel, ce qui impose en pratique la participation d’un grand nombre d’agents. Bien entendu, un tel marché ne permet d’atteindre l’optimum social que si celui-ci est connu préalablement. Il semble donc soumis aux mêmes contraintes informationnelles que dans les solutions précédentes. Pourtant, Claude Henry a montré que, avec un marché de droits à polluer, il était possible, non pas d’atteindre l’optimum social en information incomplète, mais de s’en rapprocher, et ce d’autant plus que l’information dont on dispose sur les dommages est importante (HENRY, 1989).