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Cerrados : “modernistes” versus “socio- “socio-environnementalistes”

2.1. Une brève histoire de la région vue à travers ses pâturages 1

2.1.4. L’intensification de l’élevage dans les petites et moyennes exploitations agricoles

Les pâturages artificiels qui avaient jusqu’à présent essentiellement conquis de l’espace à l’intérieur de grandes propriétés vont à partir de la fin des années 80 gagner également du terrain à l’intérieur des petites et moyennes exploitations. On peut le vérifier à partir de l'exemple de la commune de Silvânia où l'on constate que dans l'échantillon des petites exploitations considérées les pâturages artificiels commencent à être implantés environ quinze ans plus tard que dans l'ensemble des exploitations de la commune (figure 2). En outre, il s'agit d'une véritable explosion des surfaces : durant la période 91-96 il s’est implanté dans les exploitations de notre échantillon une plus grande surface de pâturage qu’au cours des vingt-cinq dernières années, et trois fois plus que ce qui a été implanté durant la période 85-90. A Silvânia, l'artificialisation tardive des pâturages dans les petites et moyennes exploitations reflète les changements de politiques agricoles. Ces exploitations, exclues de la modernisation des années 70, occupent une place croissante dans les politiques à partir des années 80.

Figure 2: Evolution des surfaces (en hectare) de pâturages artificiels implantées dans les exploitations agricoles.

*données fournies par l'IBGE pour l'ensemble de la commune de Silvânia et corrigées en fonction des variations de la taille de la commune. Toutes sont rapportées à une surface de 362 000 ha.

** données recueillies lors de l'enquête " pâturages " sur un échantillon de 43 exploitations familiales.

2.1.4.1. L’agriculture familiale, exclue des politiques de colonisation des Cerrados

Les petites exploitations agricoles n’ont pas profité de la générosité des politiques publiques et du système bancaire dans la phase d’occupation des Cerrados. En particulier parce que l’accès au crédit était conditionné par la possession de biens hypothécables et de façon plus générale parce qu’elles n’étaient pas perçues comme aptes à porter un projet de développement économique.

Par ailleurs, les conséquences de la colonisation des terres de plateau par la culture du soja et les pâturages cultivés sont importantes pour les petites exploitations :

0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 1940 1960 1972 1978 1980 1984 1990 1996 année su rf aces ( h a) i m p lan tées da ns l ch an til lon de pe tit es ex p lo ita tio n s * 0 20000 40000 60000 80000 100000 120000 140000 160000 su rf aces ( h a) i m p lan tées d an s l 'en sem b le d es exp lo itat io n s* *

• La mise en valeur des terres de plateau met fin au libre accès dont les petites exploitations bénéficiaient de fait. Elles trouvaient sur ces plateaux les ressources fourragères nécessaires à la survie de leurs troupeaux durant la période difficile de la saison sèche. La taille du troupeau doit désormais s’adapter au potentiel fourrager disponible à l’intérieur des limites de l’exploitation.

• Par ailleurs, la pression foncière met fin au système de défriche-brûlis pour faire place à la culture continue : en effet, traditionnellement après la défriche, les terres étaient mises en culture trois à dix ans puis implantées en pâturages. Sur ces pâturages la végétation naturelle se réinstallait progressivement, cédant la place à une jachère arbustive. Avec la pression foncière, les temps de jachères raccourcissent, et les modes traditionnels de gestion de la fertilité se trouvent menacés.

• Mais surtout le nouveau statut de la terre de 1964 qui attribue la terre à toute personne la travaillant depuis plus de cinq ans va conduire les propriétaires à renvoyer un grand nombre de métayers. Ces derniers se retrouvent contraints de vendre leur main d’œuvre comme salarié agricole. Ceci dans un contexte où, avec l’adoption de systèmes de production de plus en plus mécanisés, les besoins de main d’œuvre dans les grandes exploitations ont tendance à diminuer malgré l’augmentation des surfaces cultivées (IBGE, 1988).

• Signalons enfin le fait que la monoculture intensive de soja a favorisé le développement d’un nématode parasite auquel le haricot cultivé dans les petites exploitations est également sensible et a imposé ainsi à ces dernières d’abandonner progressivement cette culture.

Tous ces éléments font des petits producteurs et des travailleurs ruraux, comme le souligneront les différentes critiques faites aux processus de modernisation, les exclus du processus de développement agricole des Cerrados.

La politique de crédits abondants et subventionnés et de soutien des prix agricoles prendra fin dans les années 90, suite notamment aux pressions d’organismes internationaux tels que le

FMI et la Banque Mondiale face au déficit budgétaire croissant du pays (Müeller, 1998). Mais le processus d’occupation des Cerrados se poursuivra, non plus sous l’effet de politiques dirigistes, mais avec le développement d’infrastructures de transport et de commercialisation et la demande croissante de produits agricoles tels que le soja et le maïs.

2.1.4.2. Les premiers programmes d’appui à l’agriculture familiale

La situation des petits producteurs va quelque peu évoluer à partir du milieu des années 80. Le contexte plus démocratique avec la fin de la dictature militaire, favorise l’expression des revendications des petits producteurs ou paysans sans terre, à travers des organisations telles que le MST, Mouvement des travailleurs sans terre, relayés par un certains nombres d’ONG et des travaux de chercheurs. Il s’agit de défendre l’idée que ce qui justifie un soutien à cette catégorie n’est pas uniquement la recherche d’une plus grande justice sociale ou la limitation de l’exode rural qui alimente les favelas mais le fait que cette agriculture peut également participer activement à l’économie nationale (Veiga, 1996).

Le terme de "petits agriculteurs" est progressivement remplacé par celui d'"agriculteurs familiaux"9 . Ce dernier concept permet de souligner que ce qui caractérise les exploitations de ces agriculteurs, plus que leur taille, est leur mode de fonctionnement : "l'exploitation familiale correspond à une unité de production agricole où propriété et travail sont intimement liés à la famille" (Lamarche, 1991 : 10).

Comme dans le phase de modernisation précédente, le trépied recherche/ vulgarisation/ crédit va être mobilisé.

Avec la création du FCO, “ Fundo Constitucional do Centro-Oeste ”, en 1989 “ pour appuyer les petits producteurs ruraux et industriels et la production d'aliments de base pour la consommation de la population ” (IFAS, 1994), les petits agriculteurs voient accéder leur revendication de pouvoir également bénéficier de crédits. En facilitant l’accès au crédit pour des producteurs organisés en association (IFAS, op. cit.) le FCO a joué un rôle majeur dans le processus associatif.

En 1993, l’EMBRAPA met en place le premier programme de recherche entièrement consacré à l’agriculture familiale (Programme 09).

Dans le système de vulgarisation, on assiste au retour d’ un humanisme cette fois-ci qualifié de “ critique ” (voir tableau 1, p 61) par Rodrigues (1997). La vulgarisation se veut alors davantage dirigée vers la grande masse des producteurs, c'est-à-dire les petits producteurs, avec l’objectif de répondre, sans paternalisme, à des besoins identifiés par des producteurs eux-mêmes organisés en associations et à travers des technologies dites “ adaptées ”. De fait selon ce même auteur, cette orientation n'est pratiquement restée qu'à l'état d'intention face aux résistances internes des organes de vulgarisation et à la permanence d'objectifs prioritaires de " super récoltes " dans les politiques agricoles.

La création du PRONAF en 1996 (“ Programa Nacional de Fortalecimento da Agricultura Familiar ”) marque le début d’une politique agricole différenciée pour l’agriculture familiale (Veiga, 1996) et un appui concret à cette catégorie à travers des crédits, de campagne et d’investissements, plus abondants et plus accessibles. En 1996, le programme disposait de un milliard de dollars ce qui devait permettre de toucher selon les estimations de Veiga (op. cit.) 80 00 producteurs familiaux sur les trois millions présents au Brésil.

Les exploitations familiales représentent au Brésil en 1996, 75 % du total des exploitations (FAO/INCRA, 1996).

Il faut citer également l’influence sur les thèmes de recherche et de développement de nouvelles lignes de financements, tels que le PRODETAB, “ Projeto de Apoio ao Desenvolvimento de Tecnologia Agropecuaria para o Brasil ”, projet négocié et cofinancé par le gouvernement brésilien et la Banque Mondiale. Ce projet de 120 000 000 $, prévu pour une durée d'au moins cinq ans, a pour priorité : 1) l’augmentation de l’efficience et de la compétitivité des secteurs agricole, forestier et agro-industriel 2) le rattrapage du retard technologique 3) une plus grande équité régionale et sociale entre les producteurs 4)

l’utilisation durable des ressources naturelles et la récupération des zones dégradées 5) l’amélioration de la distribution des revenus 6) l’augmentation de l’efficience et de la

durabilité du système national de recherche agricole (Ministério da Agricultura, EMBRAPA, 1997 : 7). Plus particulièrement concernant l’agriculture familiale, le projet vise l’appui à

l’élaboration de technologies de production adaptées à la petite propriété rurale et à la petite entreprise industrielle, capables d'augmenter l'efficience et la durabilité des systèmes de production. Il vise également l’appui aux organisations de producteurs afin de permettre une meilleure insertion de ces derniers dans le processus de développement rural.

2.1.4.3. Un paquet technologique pour les petites et moyennes exploitations : Holstein et pâturages tournants

A cette évolution des contraintes et des opportunités, les exploitations familiales ont réagi par une intensification de leurs activités, en développant notamment la production laitière.

La production laitière n’est pas nouvelle dans la région mais elle va augmenter (+60 % d’augmentation entre 1991 et 1996 dans l’Etat du Goiás)10 et s’intensifier (477 litres produits en moyenne par vache et par an dans le Goiás en 1991, contre 1186 litres en 1996, IBGE, 1997).

Le lait est de plus en plus vendu aux industries laitières. Ces dernières vont chercher à régulariser les approvisionnements (en 1967, dans la région de Brasilia la production laitière en saison humide est le double de celle de saison sèche) en imposant un système de quota : le quota de chaque producteur est calculé sur la base de sa production en saison sèche. En saison humide, le volume de lait produit dépassant le quota établi (“ lait hors quota ”) est payé jusqu'à 20 % de moins que le “ lait quota ”. Ce système permet aux industries un fonctionnement plus régulier. En revanche, il ne permet plus aux producteurs d’exploiter l’hétérogénéité des conditions du milieu en concentrant comme ils le faisaient leur production sur la saison humide où le lait peut être produit à moindre coût. Il les pousse au contraire à s’affranchir de toutes contraintes du milieu naturel. Par ailleurs, les industriels souhaitent dans l'avenir imposer des standards de qualité qui vont contraindre peu à peu les éleveurs à s’équiper en matériel de réfrigération du lait notamment.

Se faisant le relais des demandes des industriels (quand ils ne sont pas tout simplement leurs salariés), les techniciens agricoles recommandent, pour stabiliser la production laitière,

l’amélioration de l’alimentation en saison sèche à travers la distribution de canne, d’herbe à éléphant ou napier (Pennisetum purpureum) ou d’ensilage de maïs.

Ils recommandent également une gestion plus intensive des pâturages à travers la technique des pâturages tournants à rotation rapide où les animaux changent de parcelles tous les jours. Ces pâturages se distinguent des précédents par une utilisation massive d’intrants (fertilisation 3 à 4 fois par an alors que les précédents ne le sont pas) et s’apparentent davantage à une culture fourragère qu’aux pâturages cultivés classiques. Ils permettent d’augmenter encore théoriquement la charge (0.2 UA/ha de pâturage naturel, 1 UA/ha de pâturage cultivé, 5 à 6 UA/ha de pâturage à rotation rapide).

Comme les autres pâturages, ils s’insèrent dans un nouveau paquet technologique caractérisé par l’introduction d’un nouveau type d’animaux, les vaches de race laitière, les Holsteins, hautement spécialisées. Cette orientation suppose l’utilisation de matériel agricole, des tracteurs surtout (nécessaires pour l'ensilage), de broyeurs (pour la préparation de la canne et du napier), l’achat d’aliments concentrés pour les animaux, l’achat de semences de taureaux, et de produits sanitaires.

Ces nouvelles orientations, -recherche, crédit, vulgarisation, paquet technologique-, marquent le début de la reconnaissance du fait que les exploitations de type familial peuvent, elles aussi, se moderniser et s’insérer de façon active au complexe agro-industriel. Il ne faut cependant pas exagérer l’ampleur de ces transformations : pour beaucoup de chercheurs en agronomie ou responsables du développement, les exploitations de type familial, images d’un passé révolu, sont destinées à disparaître.