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Titre II) La normalisation de l’arrêtisme (1830-1870)

Section 1) L’institutionnalisation de l’arrêtisme

La période qui s’étend de la Restauration jusqu’à la Grande Guerre est ordinairement considérée comme l’âge d’or de la presse française534. Dans un contexte de libéralisation progressive des institutions, d’élévation du niveau d’instruction, de progrès techniques continus dans les procédés d’impression, dans les transports ou encore dans les moyens de communications (la première ligne de télégraphe électrique est mise en service en 1845 en France), les tirages augmentent considérablement et les journaux se diversifient. Tandis qu’émergent les métiers jusqu’alors inconnus ou confidentiels du journalisme, la première agence de presse au monde, l’agence Havas, est fondée à Paris dès 1835. Pour ce qui est de la presse juridique, elle s’établit durablement au sein de la littérature du droit et prend son véritable essor sous la Monarchie de Juillet. Solidement installés depuis le début du siècle, les grands recueils de jurisprudence forment alors le fer de lance d’une presse juridique très variée qu’ils dominent économiquement et éditorialement (§1). A l’exception de quelques figures de proue, les arrêtistes qui œuvrent au sein des maisons Sirey, Dalloz ou du Journal

du Palais sont pourtant encore peu connus ; presque exclusivement praticiens, ces derniers

présentent toutefois un profil différent des pionniers de l’arrêtisme du début du siècle (§2).

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Au sein d’une ample bibliographie, v° notamment Claude BELLANGER, Jacques GODECHOT, Pierre GUIRAL et Fernand TERROU (dir.), Histoire générale de la presse française – de 1815 à 1871, t.2, P.U.F., Paris, 1969 ; Pierre-Louis ALBERT, Histoire de la Presse, collection Que sais-je ?, P.U.F., Paris, 2003 ; Dominique KALIFA, Philippe REGNIER, Marie-Ève THERENTY et Alain VAILLANT (dir), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, éditions Nouveau Monde, Paris, 2012.

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§1) L’essor de la presse juridique

Fortes de leur audience et de leur position privilégiée, les maisons Sirey et Dalloz mais aussi

Journal du Palais sont devenues de véritables « institutions » qui achèvent leur perfectionnement au

milieu du siècle (A). Plus largement, la croissance continue du nombre de juristes, mais aussi d’administrateurs et d’étudiants en droit sur cette période535 favorise l’apparition et le développement de nouvelles catégories de journaux juridiques venant compléter, sans réellement concurrencer, les recueils généraux de jurisprudence (B).

A) La domination éditoriale et juridique des recueils d’arrêts

L’historiographie situe l’essor des recueils de jurisprudence et de l’arrêtisme contemporain au cours des années 1830-1840536. En effet, l’arrêtisme qui était jusqu’alors doctrinalement marginal et économiquement précaire s’est véritablement institutionnalisé sur la période qui court de la Monarchie de Juillet au Second Empire. Par une habile politique commerciale, Jean-Baptiste Sirey et Désiré Dalloz ont en effet bâti en quelques décennies un véritable empire éditorial à tendance oligopolistique. S’il n’est pas dans notre propos d’analyser la réussite économique et les activités commerciales de leurs « maisons » qui se livrent une concurrence farouche tout au long du siècle537, force est de constater que ces arrêtistes-éditeurs dominent l’édition juridique française dès les années 1830. Très rapidement, ces derniers rachètent en effet les plus grosses maisons sur le marché, Sirey reprenant l’entreprise Cotillon et Dalloz, la maison Maresq538. Cédant à la fin des années 1820 la direction de son recueil périodique à ses frères Emmanuel et Armand, Désiré Dalloz place, en outre, à

535 V° Jean-Yves MOLLIER, « Editer le droit après la Révolution française », op. cit., pp. 138 et 141. Entre 1815 et 1848, les facultés de droit auraient ainsi délivré 30272 licences et 1203 doctorats. De plus en plus diversifiées et structurées, les professions juridiques voient d’ailleurs leurs effectifs croître sensiblement sur cette époque, ascension qui se poursuit tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle.

536 V° notamment Edmond MEYNIAL, « Les recueils d’arrêts et les arrêtistes », op. cit., pp. 185 et suiv. ; Christophe JAMIN et Philippe JESTAZ, La doctrine, op. cit., pp. 101 et suiv. ; Laurence SOULA, « Les recueils d’arrêts et de jurisprudence des cours d’appel », op. cit., pp. 1005 et suiv.

537 Sur les aspects économiques de l’édition française, v° spécialement Jean-Yves MOLLIER, L’argent et les Lettres, Histoire du capitalisme d’édition (1880-1920), Fayard, Paris, 1988 ; «Editer le droit après la Révolution française», op. cit., pp. 137 et suiv. ; Roger CHARTIER et Henri-Jean MARTIN, Histoire de l’édition française - Le temps des éditeurs, du romantisme à la Belle époque, t. 3, Cercle de la Librairie, ouvrage publié avec le concours du Centre national des Lettres, Fayard, Paris, 1990.

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partir de 1851, son fils Paul à la direction du Moniteur Universel, assurant ainsi à son entreprise une maîtrise étendue sur la diffusion de l’activité jurisprudentielle et législative du pays539. S’il est plus spéculatif et nettement plus instable d’un point de vue éditorial, le Journal du Palais demeure cependant lui aussi un acteur majeur de l’arrêtisme national, tout du moins jusqu’à la fusion de son contenu avec celui du Recueil Général des Lois et des Arrêts en 1892.

Signe de bonne santé éditoriale, les refontes majeures du Journal du Palais et de la collection Sirey modernisent et enrichissent sensiblement le genre littéraire540. Le nombre d’arrêts publiés et commentés augmente considérablement sur cette période, tout comme le nombre de pages que contient chaque volume annuel. Ainsi, le Recueil général des lois et des arrêts passe de 796 pages en 1830 à 1664 pages en 1860 ; moins volumineuse, la Jurisprudence générale périodique de Dalloz croît sur les mêmes années de 720 à 1428 pages. La première partie des recueils, habituellement réservée aux arrêts de la Cour de cassation, devient systématiquement prépondérante sur les autres. Certaines années, elle est même jusqu’à deux fois plus importante que celle réservée aux cours souveraines et aux autres juridictions541. Faut-il y voir une conséquence de la loi du 1er avril 1837 qui supprime l’institution du référé au roi, et oblige la seconde cour de renvoi à se conformer à la solution émise par les chambres réunies de la Cour de cassation ? Il est difficile d’apprécier l’impact qu’a pu avoir cette loi vis-à-vis de l’autorité des arrêts de la Cour suprême dans les recueils de jurisprudence nationaux542, où elle semble même être passée inaperçue. En effet, ces périodiques se sont fondés, dès l’origine, sur l’autorité des décisions de la Cour de cassation, longtemps considérées comme de véritables « oracles » dont la critique paraissait, pour ainsi dire, presque interdite. Jean-Louis Halpérin a en outre montré que le référé fut rapidement abandonné en pratique, et ce, dès l’époque Révolutionnaire543. Selon nous, la loi de 1837 ne vient donc qu’entériner « en droit » une situation de fait largement acquise par la pratique, et ne modifie en rien le sentiment de la communauté

539 V° notamment Jean-Yves MOLLIER, « Des Panckoucke aux Dalloz, trois siècles de stratégies éditoriales », L’argent et les lettres, Histoire du capitalisme d’édition 1880-1920, Fayard, Paris, 1988, p. 41.

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Désiré Dalloz effectue quant à lui la refonte du Journal des Audiences à partir de 1825, sous la forme du Répertoire.

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Par exemple D.35 à D.38, D.45, ou encore S.37, S.38, S.40.

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Sur ce thème, v° plus largement Jean-Louis HALPERIN, « La souveraineté de la Cour de cassation : une idée longtemps contestée », Olivier CAYLA et Marie-France RENOUX-ZAGAME (dir.), L’office du juge : part de souveraineté ou puissance nulle ?, pub. de l’université de Rouen, n° 298, L.G.D.J., Paris, 2002. Pour Laurence SOULA, « L’autorité plus grande reconnue à la jurisprudence en tant que source du droit, le triomphe qu’elle peut afficher – à l’égard de la doctrine notamment – sont en effet grandement liés à l’établissement d’une cour régulatrice dans la sphère d’autonomie du judiciaire », « Les recueils d’arrêts… », op. cit., p. 1005.

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interprétative544 des arrêtistes « généraux » vis-à-vis de l’autorité et de la jurisprudence de la Cour régulatrice545.

La typographie, l’organisation des recueils et la présentation des arrêts évoluent également sur cette période. A partir de 1832, le recueil Sirey publie les arrêts sur deux colonnes par feuille, à l’image de son concurrent Dalloz. Les progrès d’une typographie plus fine et plus lisible permettent de multiplier le nombre de décisions par page, et facilite l’insertion de notes infrapaginales à police réduite. Dès 1825, le recueil Dalloz est divisé en trois parties, la première consacrée aux arrêts de la Cour de cassation, la deuxième aux arrêts des cours royales et la troisième aux « lois, ordonnances et décisions diverses ». Il faudra attendre 1863 pour que le recueil Sirey sépare à son tour les arrêts de cours souveraines des « lois, décrets et avis du Conseil d’Etat » relégués dans une nouvelle troisième partie546.

Au cours de ces trente années, les collections ne vont d’ailleurs cesser de rationaliser leur organisation au sein de sections de plus en plus précises et spécialisées. Ainsi en 1845, le recueil périodique Dalloz se dote d’une quatrième partie contenant des « Décisions d’un ordre secondaire, Analyses d’ouvrages, etc., renfermées dans la Table des matières et mises en harmonie avec le

Dictionnaire général et raisonné ». L’objectif est de faciliter l’articulation entre le recueil périodique et

le récent Dictionnaire d’Armand Dalloz547, alors qu’une refonte d’envergure du Répertoire de Désiré Dalloz est en cours de publication548. Toutefois, cette section disparaît trois ans plus tard : la troisième partie est désormais entièrement consacrée aux décisions du Conseil d’Etat et aux « décisions

544 Sur la notion de communauté interprétative, v° Stanley FISH, Quand lire c’est faire, l’autorité des communautés interprétatives, les Prairies ordinaires, diff. Les Belles lettres, Paris, 2007.

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Cette affirmation doit être nuancée chez les arrêtistes locaux, et en particulier avant 1837 où les Cours d’Appel sont les seules juridictions dont les décisions sont pleinement souveraines sur leur ressort. Sur ce point v° Laurence SOULA, « Les recueils d’arrêts… », op. cit., pp. 1001 et suiv. ; v° aussi du même auteur La robe, la terre et le Code. La cour d’Agen (an VIII-1851), thèse de droit, Toulouse, 1996 ; « L’application du Code Napoléon en pays de droit écrit », op. cit.

546 Dans les recueils reliés que nous avons consultés, le volume de l’année 1849 comportait une troisième partie intitulée « Lois annotées, ou Recueil des Lois, Décrets, Arrêtés etc., de la République, avec notes et commentaires ». Cette partie disparaît néanmoins dès l’année suivante dans notre collection, sans que nous ne puissions être en mesure de savoir s’il s’agit d’une troisième partie exceptionnelle à l’année 1849, ou si sa disparition relève d’un choix opéré lors de la reliure des ouvrages en notre possession. A noter que le recueil Sirey, plus fourni en nombre de pages et en commentaires d’arrêts que son concurrent Dalloz, accusera néanmoins un certain retard dans son organisation et dans la rationalisation de ses sections.

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Armand DALLOZ, Dictionnaire général et raisonné de Législation, de Doctrine et de Jurisprudence en matière civile, commerciale, criminelle, administrative et de droit public, etc., Bureau de la Jurisprudence Générale, Paris, 1835-1841.

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Cette réédition majeure en quarante-quatre volumes du Répertoire débute en 1845 et est achevée en 1870. Entre 1887 et 1897 paraîtra un supplément en dix-neuf volumes à cette collection. La bonne réception de l’ouvrage de Dalloz marquera au milieu du XIXe siècle l’avènement d’une véritable « manie du répertoire » de jurisprudence (La formule est d’Edmond MEYNIAL, « Les recueils d’arrêts et les arrêtistes », op. cit., p. 190, qui s’amplifiera encore au cours des décennies suivantes.

diverses », la quatrième aux lois, décrets et actes législatifs, tandis qu’une cinquième partie apparaît sous la forme d’une table améliorée. En 1856, le périodique est en outre accompagné d’une revue bibliographique mensuelle « des ouvrages nouveaux sur le droit, l’économie politique, l’histoire et la philosophie ».

La façon de rapporter les arrêts se transforme également sur la même période. Au fil des années, la place accordée aux éléments de fait, aux moyens des parties, aux conclusions et réquisitoires est de plus en plus réduite. Si les affaires importantes demeurent fournies en détails, le souci des arrêtistes n’est plus de retranscrire l’audience avec précision ; si besoin est, les éléments factuels ou les détails strictement utiles de procédure ou de discussion pourront toujours être développés en note, afin d’expliquer les particularités de l’espèce. Nombre d’affaires se résumeront alors de plus en plus souvent à un simple arrêt précédé d’un rapide exposé du cas soumis au juge. A partir du milieu du siècle, l’éloquence et les émois du Palais cèdent alors la place à la froide logique du juge et à sa décision. Dans de nombreux domaines, il n’est en effet plus nécessaire d’examiner avec autant de soin qu’auparavant les moindres particularités de l’espèce, la teneur de l’argumentaire des parties et les exposés « lumineux » des avocats généraux et procureurs : trente ans de décisions soigneusement rapportées et analysées ont posé un socle jurisprudentiel solide et fiable, qui évite de recourir systématiquement à un tel pointillisme. D’ailleurs, même les affaires encore controversées ou les problèmes juridiques nouveaux sont davantage abordés par le truchement de l’arrêt, plutôt que par celui des discussions éloquentes ou savantes échangées durant l’audience549. Comme le précise Laurence Soula, « il serait vain de vouloir fixer à une date précise les changements observés dans la démarche des auteurs et le mode d’exposition des arrêts. Aucune transformation radicale ne s’opère subitement. L’évolution, perceptible vers 1837, se manifeste surtout à partir des années 1850 »550. Ce détachement progressif de l’art du Palais et de l’approche casuistique des affaires marque une nouvelle orientation dans la conception de l’arrêtisme. Par un jeu d’influences complexes que nous détaillerons plus avant, la « science des arrêts » tend en effet à se fondre dans une « science du

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Il s’agit toutefois d’une tendance générale. Par exemple, les conclusions de célèbres procureurs ou avocats généraux comme Dupin ou Hello seront encore très souvent reproduites dans les recueils. Jusqu’à la fin du siècle, les arrêtistes ne se priveront pas de rapporter des monuments de science ou des morceaux de bravoure déployés par les avocats ou les membres du parquet, mais seulement si ces éléments peuvent servir à l’analyse ou sont susceptibles d’intéresser le lecteur. Néanmoins, force est de constater que la publication de ces données, quasi-systématique au début du XIXe siècle, est considérablement réduite dès 1850 ; la promotion des individualités ou celle du corps des avocats, des magistrats et de leurs intérêts y est beaucoup moins présente que par le passé. Le « Palais » s’efface ainsi au profit de la seule jurisprudence.

550 Laurence SOULA, « Les recueils d’arrêts… », op. cit., p. 1005. Le propos, qui concerne ici les recueils d’arrêts locaux, est parfaitement extensible aux recueils généraux de jurisprudence.

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droit » plus globale, aux ambitions plus « théoriques » ; l’arrêt n’est alors qu’un point de départ à des réflexions de plus en plus riches en éléments doctrinaux et en références savantes.

Il convient enfin de préciser que ces transformations se retrouvent - avec parfois un léger décalage temporel – au sein des recueils locaux de jurisprudence. En effet, comme l’a montré Laurence Soula, les recueils de Cours d’appel connaissent également un essor sans précédent entre les années 1830 et la fin du Second Empire, et plus précisément entre 1851 et 1870551. Inspirés par la vitalité et la notoriété des grandes maisons nationales, les recueils locaux se multiplient et se perfectionnent sur le modèle de leurs aînés. Ainsi, les notes d’arrêts y sont de plus en plus présentes et de plus en plus fournies, les arrêtistes locaux prétendant faire à la fois œuvre « utile » pour les praticiens du ressort en diffusant les arrêts de leur Cour, et œuvre de « science » en abordant plus largement la science juridique et ses arcanes par le biais de la jurisprudence provinciale. Le Journal des arrêts de la Cour

royale de Bordeaux est un parfait exemple de cette sensible mutation. La refonte de l’ancien recueil

opérée en 1826 par l’avocat Boyer contient en effet des « notes indiquant les arrêts conformes ou contraires rendus par les autres cours royales ou par la cour de cassation, et les opinions des auteurs sur les questions jugées par ces arrêts ». En 1850, le recueil est continué par le docteur en droit, avocat et juge suppléant au Tribunal civil Brives-Cazes, qui enrichit considérablement ces notes « présentant sur chaque question la jurisprudence des Arrêts et la doctrine des Auteurs ». En 1863, Brives-Cazes sera d’ailleurs nommé membre correspondant de la prestigieuse Académie de Législation de Toulouse, comme beaucoup de figures de ce nouvel « arrêtisme savant ».

Enfin, les jeunes avocats qui reprennent en main les recueils généraux de jurisprudence au tournant des années 1830 sont davantage que de simples continuateurs. Si l’historiographie a surtout retenu le nom du professeur Labbé parmi les grands arrêtistes du temps, Armand Dalloz, Devilleneuve, Carette ou encore Ledru-Rollin ont également – bien que dans une moindre mesure – marqué de leur nom l’arrêtisme de la Monarchie de Juillet au Second Empire ; ils ont surtout œuvré au développement et à la reconnaissance d’une littérature qu’ils perfectionneront et conduiront durablement dans la voie du succès pendant plus de trente ans.

Les grands recueils de jurisprudence ne sont, dès lors, plus ces journaux expérimentaux et audacieux en quête de leur propre identité, élaborés de manière « artisanale » au sein des cabinets d’avocats. Leur puissance et leur prestige grandissent considérablement sur cette période, au point que la doctrine ne peut plus feindre désormais d’ignorer les arrêtistes, leurs médias, et surtout les

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études jurisprudentielles. Nous pouvons penser que le timide rapprochement de la doctrine (notamment universitaire) vers les recueils de jurisprudence à partir des années 1850 s’explique en partie par l’assise éditoriale et par l’audience soutenue de ces périodiques professionnalisés, devenus une composante majeure, voire incontournable, du paysage juridique552. Précurseurs de la presse juridique au XIXe siècle, les recueils de jurisprudence générale apparaissent clairement après trente ans d’existence comme les institutions dominantes du secteur. Toutefois, la presse juridique connaît dès la Restauration un essor considérable, et de nouveaux genres littéraires apparaissent ou se renforcent sur le marché. Florissantes, les revues de droit se diversifient alors à l’ombre des géants de l’arrêtisme et de leurs puissantes maisons.

B) La diversification des périodiques juridiques

Trois catégories de journaux, pour certaines déjà présentes à l’état embryonnaire à la fin de l’Epoque Moderne et dans les premières décennies du XIXe siècle, connaissent un développement sans précédent pour répondre aux besoins d’un lectorat de plus en plus important et varié : il s’agit des « périodiques spécialisés » (1), des « journaux judiciaires » (2) et des « revues scientifiques » (3).

1) Les périodiques spécialisés

Par l’expression « périodiques spécialisés », nous entendons les journaux qui traitent exclusivement d’une branche ou d’un métier du droit, en proposant des études jurisprudentielles, législatives ou même doctrinales ciblées. Ces journaux s’adressent principalement à un lectorat de praticiens du droit. Nous ne saurions bien sûr prétendre ici à l’exhaustivité, car le catalogue de la littérature périodique juridique demeure encore à dresser553. Néanmoins, dès le début du XIXe siècle, un certain nombre de journaux juridiques se distinguent des recueils d’arrêts par leur caractère très spécialisé : nous avons déjà cité parmi les plus anciens et les plus durables le Journal des Avoués (1810-1902), et le Journal de l’Enregistrement et des Domaines (1806-1940). C’est surtout le notariat, profession relativement épargnée par les affres révolutionnaires, qui connut très tôt le plus de

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V° sur ce point Christophe JAMIN, « Relire Labbé et ses lecteurs », op. cit., pp. 262 et suiv.

553 En dépit des lois sur le dépôt légal qui se succèdent depuis la Révolution, les périodiques juridiques et les ouvrages de droit n’ont fait l’objet que d’un dépôt partiel et relativement peu encadré tout au long du XIXe