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Considérant l’agitation psychomotrice que présente Taz, et qui a motivé la demande de rendez-vous initiale au CMP, on s’interroge sur ce qu’implique cette modalité de mise en mouvement, en termes de stimulations sensorielles recherchées et de répercussions éventuelles sur le développement psychocorporel. La grille de lecture psychocorporelle offerte par le Moi-peau et les angoisses corporelles archaïques nous invite à penser l’instabilité psychomotrice dans une perspective psychodynamique. C’est à dire en l’appréhendant peut être comme manifestation, comme symptôme de problématiques identitaires liées au manque de structuration de l’enveloppe psychocorporelle.

1. Une enveloppe de substitution.

Afin de pallier la défaillance des fonctions de l’enveloppe psychocorporelle, et de lutter contre les angoisses générées, l’agitation motrice peut apparaître comme une tentative de se créer une enveloppe de substitution ; enveloppe de sensations kinesthésiques et labyrinthiques notamment. La manière dont Taz investit l’agir corporel en tournant sur lui-même évoque particulièrement cette recherche d’enveloppe de mouvement. Sa logorrhée, significative de l’agitation psychique, participe probablement à ce processus en créant une enveloppe sonore qui assume un rôle de contenance.

L’agitation psychomotrice permettrait ainsi de pallier le défaut des fonctions de contenance, maintenance et pare-excitation. Deux enjeux principaux se dévoilent dans cette recherche d’auto-étayage par l’agitation et l’excitation.

D’une part, le sentiment de continuité d’existence est spécifiquement impliqué : il s’agit alors de s’assurer de son existence par l’agir, par la mobilité physique et psychique. C’est-à-dire que la mise en mouvement en continu permet au sujet de recréer artificiellement une continuité dans laquelle s’inscrire. Dans cette perspective, l’instabilité psychomotrice se dévoile comme moyen de se sentir exister dans un ici et maintenant sans cesse réactualisé par le mouvement.

D’autre part, on peut émettre l’hypothèse que l’agitation tienne une fonction de processus auto-calmant pour l’enfant instable ; comme si elle jouait le rôle de système régulateur et pare-excitateur. Il s’agirait donc paradoxalement de trouver l’apaisement dans l’excitation. Face aux angoisses d’atteinte de l’enveloppe, l’agitation psychomotrice viendrait ainsi contenir, rassembler,

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recréer les limites de l’espace du corps et de l’espace psychique. On perçoit là combien cette organisation est en tension, fragile et extrêmement coûteuse en énergie.

L’intégrité de l’enveloppe psychocorporelle soutient l’accès aux représentations. Dans le cas de l’instabilité psychomotrice, c’est cette enveloppe auxiliaire constituée par l’investissement de la motricité et de la sensorialité qui prend valeur de support à la symbolisation.

2. Une voie de symbolisation par l’agir.

Claudon (2006), en présentant une étude sur l’instabilité psychomotrice chez l’enfant, rappelle combien « le corps en mouvement et en interaction avec l’objet primaire définit des états posturaux et émotionnels qui seront des repères essentiels du sentiment de soi émergeant62. » A ce titre, l’instabilité psychomotrice de l’enfant « peut être décrite comme le vécu sensoriel, cognitif et émotionnel d’un espace interne qui ne peut être représenté de façon suffisamment précise et continue63 ». L’enfant instable serait alors en difficulté pour se constituer une représentation unifiée, continue et gratifiante du corps propre ; ce qui provoque une altération de la possibilité de vivre un sentiment d’identité solide et sécurisant. Ce postulat de départ engage Claudon à soutenir l’hypothèse que « l’instabilité de l’enfant nous confronte d’abord à une problématique identitaire plutôt que comportementale64. »

On a déjà souligné combien les failles de l’enveloppe psychocorporelle motivent la présence d’angoisses archaïques envahissantes et non-représentables. C’est précisément l’impossibilité de recourir à la symbolisation pour lutter contre ces angoisses qui pourrait conduire l’enfant instable à investir l’agir psychocorporel. Afin de pallier la discontinuité de l’enveloppe psychocorporelle, la motricité semblerait ainsi assumer le rôle de contenant pour un matériel psychique qui ne peut être suffisamment symbolisé. « Cela amène à penser, nous dit Claudon, que la sensibilité proprioceptive, particulièrement présente chez l’enfant instable du fait d’un envahissement par les motricités, peut s’inscrire comme un invariant interne de soi et constituer le socle d’une image du corps et d’une représentation de soi spécifique65. »

La représentation émergerait alors d’un investissement presque exclusif du corporel, de la motricité ; et c’est la projection excessive de cette image du corps en mouvement dans l’espace psychique qui modèle la représentation de soi et la structuration des images du corps de l’enfant instable. Ces représentations corporelles se révèlent marquées par une fragilité double : celle des

62 CLAUDON, P., 2006. p. 162.

63 Ibid. p. 195.

64 Ibid. p. 159.

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limites de l’objet et celle du sentiment de continuité de soi. Claudon exprime en ces termes la fixation pathologique d’un tel fonctionnement : « Dans le cours du développement psychomoteur, cette image corporelle de soi devient dominante à la place d’autres représentations de l’espace et de soi, fonctionnant comme une enveloppe-carapace. Ce serait comme le surinvestissement d’une image de soi exclusivement corporelle-active et dont l’essence corporelle impliquerait une fusion avec des sensations proprioceptives, d’où la propension à l’agir66. »

L’agitation viendrait ainsi suppléer des capacités de représentation déficitaires ; et prendre valeur de représentation de soi à défaut. Pour se sentir exister, l’enfant instable ne peut donc que se raccrocher en permanence aux sensations proprioceptives et kinesthésiques que lui offre l’agir corporel. Pour se représenter à lui-même, il lui faut passer à l’acte.

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VI - Le jeu comme voie thérapeutique.

La simultanéité de l’acte et de la représentation qui marque la fragilité de l’organisation psychocorporelle à l’œuvre dans l’instabilité psychomotrice semble ainsi nécessiter l’introduction d’un jeu - au sens d’écart, d’espace qui permette de différer l’acte et la représentation.

Afin d’engager une transformation de l’agir corporel en action structurante, le recours au jeu comme voie thérapeutique semble particulièrement pertinent. Pour comprendre ainsi ce qui fait du jeu une véritable action, et signe par là même sa portée thérapeutique, nous questionnerons les processus de symbolisation qui lui sont inhérents. C’est-à-dire sa capacité à mobiliser le sujet en sollicitant ses compétences de représentation et en étayant le déploiement de sa créativité.

Appréhender le fonctionnement de tels processus nous permettra de donner tout son sens à la présence du jeu dans un cadre thérapeutique, et par là même de définir le rôle du thérapeute dans ce jeu. Ce détour théorique nous permettra de poser les bases nécessaires à la compréhension du jeu tel qu’il prend spécifiquement place en psychomotricité.