• Aucun résultat trouvé

l’instabilité législative porteuse d’enjeux de communication

L’échelon métropolitain, qui représente le niveau le plus intégré d’intercommunalité et qui répond à de fortes attentes étatiques en matière de développement économique sur le plan local, national et international, comme nous l’avons vu en introduction, rencontre, en parallèle, différentes formes d’oppositions de la part des échelons territoriaux avec lesquels il se superpose. Un contexte d’opposition politique notamment induit par une instabilité législative quant aux questions, non encore arrêtées, de réorganisation territoriale, telles que l’avenir des départements ou le renforcement (ou non) de l’intercommunalité. Fréquemment attribué à un « blocage sénatorial » par les acteurs territoriaux123, le caractère « au milieu du gué » de ces

réformes (Duranthon, 2017) place les représentants des différentes collectivités locales dans une posture défensive de la légitimité de leur échelon territorial. Nous illustrerons ce propos par deux extraits d’entretiens avec des responsables de communication d’une Métropole et d’un département. La montée en puissance métropolitaine vis-à-vis des communes et des départements semble en effet communément actée en 2018 par les acteurs métropolitains. Un élément mis en évidence par ce témoignage du responsable de communication d’une Métropole :

XXX : « Comme vous la savez, le département est en train de progressivement être vidé de sa substance au moins dans les Métropoles avec, à l’avenir, même si l’on espérait que ce soit plus rapide, la probabilité que les départements disparaissent, dans les aires métropolitaines heu… comme c’est le cas déjà… à… à… à [Lyon] »124.

123 Voir, par exemple à ce propos l’entretien n° 11. Disponible en annexe. Réalisé le vendredi 16 novembre

2018

Toutefois, le caractère évident de la disparition des départements n’est pas pour autant partagé par le responsable de communication départemental, comme le montre cet extrait d’entretien :

XXX : « Attention, il y a 10 ans le travail était aussi de montrer que le département agissait, mais il est encore plus prégnant aujourd’hui dans un contexte, comme on le disait de réformes passées, avec de nouveaux acteurs qui se positionnent comme les Régions ou les Métropoles qui développent leur communication. Et donc à un moment il faut dire que le département existe toujours, qu’il n’est pas mort »125.

Outre une opposition de fonction (selon laquelle chaque directeur de communication défend l’institution qu’il représente), c’est une attente d’arbitrage de la part du législateur que traduisent les postures de ces deux communicants. Un élément souligné par Nicolas Kada (Kada, 2015, p.908), professeur en droit qui rappelle que l’annonce par le Premier ministre de la suppression des conseils départementaux au printemps 2014 fut ravisée par le gouvernement un an après. « Les réformes territoriales se succèdent et se présentent toutes comme de nouvelles recompositions, mais laissent finalement une impression générale de flou » (Iibd.) conclut-il. Département, régions, communes, intercommunalités… l’ensemble des échelons d’action politique territoriale sont concernés par ces attentes d’arbitrages. En effet, Jean-Luc Albert (Albert, 2015, p. 985), professeur en droit relève par exemple l’ambiguïté législative des communes nouvelles. Dotées de la capacité de gérer l’ensemble des compétences de l’échelon intercommunal dans le cas où leurs périmètres concorderaient, les communes nouvelles peuvent ainsi conduire à la disparition des intercommunalités. Cet aménagement législatif amène le chercheur en droit à se demander « si la réforme de la carte territoriale française a pour objectif unique et final la généralisation des EPCI à fiscalité propre ou si cette intercommunalité-là n’est pas destinée à disparaître au profit de grandes communes (Ibid.).

Bien que la clarté de l’exercice demeure toujours un objectif gouvernemental (Kada, 2015. p.911) et que la loi NOTRe ait apporté des éléments de clarification en supprimant la clause générale de compétences pour les départements et les régions notamment, il semble impossible à l’État de procéder à une répartition précise et définitive des missions (Ibid. p.912). Un élément attribué au fait que « l’État définit une politique générale et en oriente ensuite les déclinaisons territoriales en ciblant les financements et en procédant par la voie d’appels à projets » (Epstein, 2005, cité dans Kada, 2015, p.912). Ce moyen commode pour l’État de se retirer des territoires tout en les gouvernant à distance (Ibid. p.912) a pour conséquence de renforcer les spécifications locales en matière de compétences territoriales. Dans ce sens, l’analyse

Partie 1 — Les spécificités de l’étude du fait métropolitain Chapitre 2 — La complexification territoriale et politique des Métropoles

de Nicolas Kada et l’observation des récentes lois telles que la loi du 27 décembre 2019, « relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique », présentée par le gouvernement comme un renforcement du pouvoir des maires, conduisent à mettre en évidence le rôle ambivalent d’un État qui conforte les élus locaux tout en entretenant de l’incertitude territoriale. Une posture qui fait alors de la loi elle-même, un outil de communication à part entière en direction des différents échelons territoriaux et de leurs représentants. En effet, s’il apparaît ainsi clairement que l’État entend privilégier un accroissement très fort des EPCI et tenter de réduire le nombre de communes (Ibid. p.916), la loi du 27 décembre 2019 montre une volonté gouvernementale de renforcer le pouvoir des maires et revient sur des dispositions de la loi NOTRe notamment126. Une confortation mayorale qui apparaît juste avant

l’engagement de la loi dite « loi 3D »127. Un projet de loi « qui a pour ambition de

transformer les relations entre l’État et les collectivités territoriales128. Ainsi, en

confortant tour à tour les acteurs du développement métropolitain et des communes ou des départements, l’action législative de l’État encourage les différents échelons à chercher à se positionner les uns par rapport aux autres, mais également à tenter d’influer sur l’organisation à venir. Nous développerons dans la suite de cette section la traduction de ce contexte en matière de stratégies politiques et de communication de la part des acteurs politiques territoriaux.

Les tensions et incertitudes qui pèsent sur l’avenir des collectivités locales, tant sur le point de leur capacité d’agir politique, que sur le point de leurs ressources financières ou de leur articulation entre elles129, se traduisent par un renforcement de l’activité de

« lobbying » de la part des associations d’élus afin de peser dans les différentes évolutions législatives en faveur de leur capacité d’agir politique. En effet, les incertitudes institutionnelles vis-à-vis de l’organisation administrative locale à venir encouragent le développement de stratégies de communication au niveau national de la part des associations d’élus notamment. Ainsi, la campagne de communication Ma

commune j’y tiens130 développée par l’Association des Maires de France (AMF), la

126 Vie publique. Loi du 27 décembre 2019. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/loi/268675-loi-du-

27-decembre-2019-engagement-dans-la-vie-locale-loi-sur-les-maires (consulté le 18 janvier 2020)

127 Loi 3D. https://www.vie-publique.fr/loi/268675-loi-du-27-decembre-2019-engagement-dans-la-vie-

locale-loi-sur-les-maires (consulté le 18 janvier 2020)

128 Loi 3D. https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/en/node/44411 (consulté le 18 janvier 2020) 129 « Congrès des maires - Des maires "dépossédés", y compris face à l'intercommunalité ? » [En ligne]

Localtis - un média Banque des territoires, 2018. Disponible sur :

https://www.banquedesterritoires.fr/congres-des-maires-des-maires-depossedes-y-compris-face- lintercommunalite?pk_campaign=newsletter_quotidienne&pk_kwd=2018-11-

20&pk_source=newsletter_quotidienne&pk_medium=Localtis&pk_content=Localtis/ (consulté le 25 /05/ 2019)

médiatisation, cette même année d’une enquête Les maires de France : entre résignation et

incertitude131 réalisée par le CEVIPOF et l’AMF)132 133, la diffusion de communiqués de

presse de la part des associations départementales et municipales, et la médiatisation accrue de leurs congrès respectifs134, met en évidence le développement inédit

d’activités de communication de la part des associations d’élus entre 2018 et 2019135.

Cette activité était destinée à peser en faveur de la préservation de l’échelon communal et départemental vis-à-vis du renforcement des intercommunalités et des Métropoles principalement. En effet, si les élus de l’Assemblée des Départements de France (ADF), de l’AMF et de Régions de France, se sont rassemblés, sous la bannière Territoires unis, dans le but de créer un « nouveau choc de décentralisation » et d’instaurer « une véritable instance de négociation État-collectivités » (NAU, 2019)136 , l’objectif était avant tout

de rappeler leur positionnement quant à la place et au rôle de l’intercommunalité dans l’organisation territoriale. La constitution de Territoires unis, 137 présentée comme une

contribution médiatique au grand débat national orchestré en 2019 par le gouvernement à la suite de la crise des gilets jaunes, montre la volonté des maires de peser et de plaider leur cause auprès du gouvernement vis-à-vis de réformes en attente d’arbitrage. Cet extrait d’article du journaliste Cédric Neau dans la Gazette des communes permet de mettre en évidence la posture d’opposition des représentants municipaux vis-à-vis du renforcement intercommunal notamment.

« Au moment où Emmanuel Macron s’appuie avant tout sur les maires dans le cadre du grand débat, les associations d’élus souhaitent que la commune redevienne le socle de l’organisation territoriale. Pour ce faire, elles plaident pour l’inscription de la clause de compétence générale des municipalités dans la loi fondamentale. Un principe qui permet aux communes d’agir à loisir en dehors des domaines purement régaliens (Armée, justice, affaires étrangères…) (…) Pas question, dans ces conditions, de faire droit à la demande

131 Enquête disponible en totalité sur :

https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/cevipof%281%29.pdf (consulté le 12/01/2020)

132 Voir à ce propos le communiqué de presse présenté en annexe.

133 L’enquête qui met en avant le sentiment de dépossession des élus face à l’intercommunalité fut suivie

par la diffusion par le gouvernement d’un communiqué de presse minimisant ses résultats - Voir à ce propos l’entretien n°12. Disponible en annexe.

134 Voir à ce propos les entretiens n°10, 11, 19. Disponible en annexe. 135 Voir à ce propos les entretiens n°10, 11, 19. Disponible en annexe.

136 Néau Cédric, Forray Jean Baptisite, « Grand débat : les élus locaux réclament un choc de

décentralisation», 2019, (en ligne) La Gazette des Communes

https://www.lagazettedescommunes.com/612563/grand-debat-les-elus-locaux-reclament-un-choc-de- decentralisation/ (consulté le 16/07/2019)

137 Territoires unis - Appel de Marseille. Disponible sur : https://www.territoiresunis.fr/l-appel-de-

Partie 1 — Les spécificités de l’étude du fait métropolitain Chapitre 2 — La complexification territoriale et politique des Métropoles

de certaines Métropoles de droit commun et d’intercommunalités d’être élues au suffrage universel direct »138.

En soulignant l’objectif communal, sous-jacent, de s’opposer à l’élection des représentants métropolitains au suffrage universel direct, la contribution du journaliste montre ici combien la question intercommunale est au cœur des tensions entre les représentants des collectivités locales et du gouvernement. Ainsi, le « boycott » par les associations d’élus, de la Conférence Nationale des Territoires139(CNT) de juillet 2018, une

instance présentée par le gouvernement comme destinée à associer les collectivités territoriales aux réorganisations institutionnelles à venir, et les critiques portant sur l’absence du Président de la République au congrès des maires de 2018 exprimées par l’association Territoires unis140, mettent en évidence le caractère tendu des relations entre

l’État et les collectivités. Si cette posture n’est pas nouvelle, celle-ci est décuplée par la question, restée en suspens, de l’élection des représentants métropolitains au suffrage universel direct. Cette question qui divise l’ensemble des acteurs territoriaux fait l’objet d’une importante activité de communication de la part des associations d’acteurs territoriaux141 municipaux et départementaux, qui s’y opposent, mais également,

intercommunaux, qui soutiennent cette évolution. Ainsi, l’Association des Directeurs

Généraux des Communautés de France, (ADGCF) a réalisé, dans ce sens, une étude intitulée Quel monde territorial pour Demain. L’étude avait pour but de dresser un état des lieux de

l’intercommunalité et de peser en faveur de son développement. L’objectif de l’ADGCF était de créer un débat médiatique autour de la présentation de l’étude lors des élections municipales de 2020. Comme le souligne ce témoignage du responsable de l’association :

XXX : « Nous notre rôle, au niveau de l’ADCF, c’est de porter le discours sur la nécessité de l’intercommunalité vis-à-vis de ceux qui font l’interco (…) Il faut aujourd’hui qu’ait lieu publiquement le débat sur ce qui se passe dans les intercos, dans les Métropoles. Il faut intéresser les gens à ça ! Il faut faire des trucs forts !...  ».

Cet extrait qui met en évidence la forte attente de la part des acteurs du fait métropolitain à voir émerger un débat politique d’essence métropolitaine est également souligné lors de notre entretien par le directeur de communication d’une Métropole. Son témoignage qui évoque l’intérêt qu’aurait une élection des représentants

138 Néau Cédric, Forray Jean-Baptisite, « Grand débat : les élus locaux réclament un choc de décentralisation

», 2019, (en ligne) https://www.lagazettedescommunes.com/612563/grand-debat-les-elus-locaux- reclament-un-choc-de-decentralisation/, consulté le 16/07/2019"

139 Le contexte. Disponible sur : https://www.territoiresunis.fr/l-appel-de-marseille/le-contexte/ (consulté

le 19/12/2019)

140 Territoires unis est une association qui regroupe l’Association des Maires de France (AMF), l’association

des Départements de France (ADF) et l’association des Régions de Frances « le contexte ». Disponible sur : https://www.territoiresunis.fr/l-appel-de-marseille/le-contexte/ (consulté le 19/12/2019)

métropolitains au suffrage universel direct, en termes de visibilité de la Métropole, met en évidence le caractère communicationnel du débat électoral qui l’accompagnerait :

XXX : « Il y a tellement d’incertitudes. On pensait qu’il y aurait une élection au suffrage universel direct et puis non, c’est ça qui changera la nature des relations entre les gens, les élus et la Métropole, avec plus tard probablement un désossement probable des départements sur les territoires urbains et puis à nouveau, si vous élisez les présidents métropolitains au suffrage universel direct, ça racontera une autre histoire hein, j’ai vu quand en 2004, les élections régionales sont devenues des élections à forts enjeux. On a vu la visibilité de l’institution changer. Je me souviens qu’il y a avait eu un débat à la télévision entre Giscard et le challenger socialiste »142.

Élément clef d’un meilleur fonctionnement territorial et démocratique pour certains, l’élection au suffrage universel direct divise largement les élus et acteurs territoriaux, à l’image de la position de la députée, membre de la délégation aux collectivités territoriales et

à la décentralisation, que nous avons interrogée sur cette question, lors de notre entretien : XXX : « Alors ça, c’est très complexe, parce que ça pose un vrai problème de représentativité de la commune, et là c’est l’ancien maire qui parle. Imaginez une commune où lors des élections intercommunales se soit l’opposant du maire en place qui soit élu, je ne vois pas comment ça peut fonctionner. Donc je pense que ça passe par un double collège : municipalité et élus interco, parce que ça ne me semble pas possible que les communes ne soient pas représentées dans l’interco »143.

Si cette idée fut accueillie d’une manière enthousiaste de la part de l’Association Des

Communautés de France, celle-ci déclencha sans surprise une réponse très contestataire de

la part de l’Association des Maires de France. Sujet de deux Controverses 144 organisées sous

forme de débats par le conseil de développement145 de Grenoble Alpes Métropole à

Sciences Po Grenoble, la question de l’élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct se trouve en effet au cœur des enjeux de communication générés par l’incertitude législative en cours : « Il est clair que le système de fléchage ne remplit pas sa mission d’initiateur du débat métropolitain » soulignait Marie-Christine Simiand, présidente du conseil de développement de Grenoble Alpes Métropole en ouverture de la Controverse du 21 novembre 2017 intitulée : « Pour ou contre une élection au suffrage universel direct [des élus métropolitains] ? ». « Le système de fléchage est en effet, ni compris par les électeurs ni saisi par les élus locaux »,

142 Entretien n°2 – Disponible en annexe - Réalisé le mardi 13 novembre 2018 143 Entretien n°12 – Disponible en annexe - Réalisé le lundi 6 mai 2019

144 Le Conseil de développement s’est engagé depuis 2017 dans une réflexion qui a donné lieu à

l’organisation de trois débats publics, trois controverses, sur les possibilités de mise en place du suffrage universel direct

145 Les conseils de développement sont des conseils de citoyens et de représentants de la société civile au

sein des Métropoles et des intercommunalités. Leur constitution est définie par la loi. « ils constituent des espaces de dialogue entre la société civile, les élus locaux et les citoyens aux sein des intercommunalités ». Source : https://www.conseils-de-developpement.fr/les-conseils-de-developpement/ (Consulté le 10/06/2019)

Partie 1 — Les spécificités de l’étude du fait métropolitain Chapitre 2 — La complexification territoriale et politique des Métropoles

rappelait dans le même sens Olivier Landel, délégué général de France Urbaine, qui se définit comme « une association de collectivités qui incarne la diversité urbaine et promeut l’alliance des territoires », en exerçant une activité de « lobbying et d’influence » 146 sur différentes thématiques (p.76)147. Bien qu’aucune des solutions

évoquées jusqu’à présent quant au mode d’élection des représentants métropolitains ne semble satisfaisante poursuit Olivier Landel148, tous les participants conviennent du

caractère inabouti de la situation actuelle. Ainsi, Alain Faure, politiste et animateur du débat souligne « l’oxymore évident » présent dans l’idée d’une « démocratie métropolitaine ».Un élément qui l’amène à souligner la nécessité pour les Métropoles d’avoir un leader et d’incarner un projet métropolitain. Cela permettrait, selon le politiste « de donner une légitimité à un lieu de pouvoir, de remettre en adéquation le lieu de pouvoir et le lieu d’élection, de faire territoire en passant d’une zone géographique et institutionnelle à un projet de territoire, autrement dit, de donner du sens à un projet qui n’est aujourd’hui pas perçu comme démocratique »149 . Trois

éléments transparaissent dans l’intervention du politiste : le caractère légitimant des urnes, mais également, la complexification de la gouvernance et la difficile émergence d’une lisibilité métropolitaine renforcée par un contexte législatif « au milieu du gué ».