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Après avoir observé les différents processus par lesquels un territoire advient, se façonne et peut ainsi être saisi par les individus qui le traversent, nous questionnerons ici les conditions d’appréhension d’un territoire d’action politique et territoriale complexe, tel qu’un territoire métropolitain. Du latin apprehensio, le recours au terme appréhension nous permet d’interroger la manière dont un territoire, mais également ses enjeux sociaux et politiques, peuvent être saisis par les habitants, élus, usagers et citoyens. Dans ce sens, nous nous intéresserons aux liens entre l’apparition d’espaces publics ayant trait à un territoire et la possible appréhension des enjeux de ce territoire. Il s’agira dans ce cadre de questionner les conditions de formation d’un public doté de la possibilité de saisir et d’appréhender les enjeux d’un territoire dont l’une des spécificités est d’être superposé à d’autres espaces démocratiques de référence.

La notion d’espace public revêt différentes dimensions. Ainsi, elle renvoie à une instance médiatrice entre la société civile et l’État (sphère publique de libre expression, de communication et de discussion), à une scène publique d’apparition (dans laquelle accèdent à la visibilité publique des acteurs, événements et problèmes sociaux), à un espace « sensible » corporel, physique et matériel (la scène), comme à un espace « de compétences » composé de savoirs et de symboles (la sphère) » (Quéré, 1992, p.77).

Partie 1 — Les spécificités de l’étude du fait métropolitain Chapitre 1 — Les formes de communication dans le façonnement territorial et politique

Bernard Miège (Miège, 2010, p.68), professeur en sciences de l’information et de la communication souligne la nécessité de comprendre la nature et les modalités de ces espaces de confrontation pour en saisir les enjeux. Ainsi, Bernard Miège met en évidence le fait que la question de l’espace public ne s’envisage pas sans les notions de démocratie, de politique, de sociétal et de domaine médiatique. Une posture qui présuppose une contextualisation de l’espace public dans un cadre politique, culturel, sociétal et économique spécifique et spécifié. (Ibid. Introduction). Bernard Miège, qui introduit la notion d’un « espace public fragmenté » de plus en plus régulé par des normes marchandes, d’une part, et qui met en jeu une pluralité d’acteurs, d’autre part, définit plusieurs éléments qui caractérisent l’espace public et contribuent au morcellement des espaces de dialogue (Ibid. p.54) : l’asymétrie (le sujet citoyen étant en situation d’interaction partielle par des phénomènes de domination voire d’exclusion) ; l’apparition de nouvelles modalités d’exercice des interactions sociales (au sens d’outils communicationnels) ; l’éclatement et le morcellement des espaces ; l’inégalité de participation aux espaces publics qui interroge les idéaux démocratiques et la tendance à l’individualisation des pratiques communicationnelles (mais aussi informationnelles et culturelles) (Ibid.) auxquels se rajoute le fait que la notion d’espace public se caractérise par un enchâssement d’espaces publics pluriels et partiels (Miège, 2010, p.209). Autant d’éléments qui mettent en évidence la complexité de cette notion et les limites d’une pensée qui consisterait à envisager l’existence d’espaces publics d’essence métropolitaine comme un gage de démocratie territoriale. Toutefois, c’est le lien entre l’apparition d’espaces de dialogue et d’échanges sur les questions métropolitaines ainsi que le fait que ces espaces permettent d’en appréhender les enjeux que nous souhaitons questionner ici.

La notion d’espace public ne peut être pensée sans une dimension territoriale dans la pensée de Simon Gadras et d’Isabelle Pailliart, chercheur et professeure en sciences de l’information et de la communication. En effet, la notion d’espace public apparaît constitutive de la notion de citoyen territorialisé, lorsqu’ils soulignent que :

« Espace pratiqué ou vécu, le territoire cadre les modalités individuelles et collectives des expressions et des opinions mises en débat, qui constituent les caractéristiques du citoyen territorialisé stratège. Ainsi, la notion de territoire permet de saisir les pratiques médiatiques et les processus de publicisation à la fois dans leurs dimensions spatiales et dans leurs dimensions symboliques » (Gadras, Pailliart, 2013, p.27).

Dans ce même sens, Bruno Raoul, professeur en sciences de l’information et de la communication, met en évidence la manière dont « se noue un rapport de réciprocité instituant entre territoires et espaces publics » (Raoul, 2020, p.354). Ainsi, les discours médiatiques notamment, en traitant des questions relatives aux territoires, participent à « entretenir le territoire comme espace public » (Ibid.). Une analyse qui met par ailleurs en évidence la difficulté de certains échelons territoriaux, tels que l’Union

européenne par exemple, à faire émerger des espaces publics, faute de reconnaissance (Ibid.). Dans ce sens, c’est la mise en lien entre l’imaginaire social, la dimension symbolique du territoire (Raoul, 2020, p.351) et l’émergence d’un espace public qui nourrit le discours du territoire (Ibid., p.352) qui apparaît. En effet, à partir de la pensée selon laquelle l’espace public « institue » le territoire, tandis que le territoire « institue de l’espace public » par une intrication entre le sociopolitique et le spatial (Raoul, 2020, p.343), la notion d’espace public apparaît comme une condition d’appréhension des enjeux politiques et territoriaux qui traversent les Métropoles. Ces éléments nous amènent à questionner les possibilités d’émergence « d’espaces pluriels de débats, de confrontations et d’échanges matériels ou immatériels sur des questions politiques et territoriales d’essence métropolitaine » tels que nous définissons, à la suite de la pensée de Bernard Miège (2010), de Simon Gadras et d’Isabelle Pailliart (2013), des espaces publics qui permettraient de saisir et d’appréhender les enjeux politiques et territoriaux qui traversent les Métropoles. Un questionnement qui nécessite de prendre en compte les spécificités des échelons métropolitains que sont : un enchevêtrement de territoires de référence d’action politique, d’une part, et la difficulté de mise en débat d’un programme politique, du fait de leur mode d’élection, d’autre part. La prise en compte de la superposition de territoires et le mode de désignation des représentants métropolitains apparaît, en effet, comme un élément essentiel pour envisager la possibilité d’émergence de lieux de débats et d’échanges qui permettraient aux citoyens, habitants, usagers, mais aussi élus de devenir « publics » métropolitains.

Différents modes de constitution des publics ont été observés par les maîtres de conférences en sciences de l’information et de la communication, Loïc Ballarini et Céline Ségur (Ballarini, Ségur, 2017, p.14) dans le cadre de la coordination de l’ouvrage

Devenir Public, modalités et enjeux. L’ouvrage précité interroge la valeur performative de

discours et de dispositifs médiatiques destinés à des récepteurs qui peuvent prendre la forme de publics contingents (Ibid.). Ainsi, qu’il s’agisse de l’exemple de journaux de gauche révolutionnaire, qui mettent en place un dispositif qui favorise la mobilisation collective par l’identification du peuple à un énonciateur incarné et la mise en scène du public agissant comme une proposition « d’idéal du Moi » (Ibid.), ou qu’il s’agisse de l’exemple de Radio Lorraine Cœur d’Acier, qui, en donnant l’accès à la parole publique, joue un rôle structurant pour le groupe d’auditeurs, chacun de ces médias constituent un public qui y puise alors un accroissement de son être et de ses pouvoirs (Goulet, 2017, p.141). Sans envisager la constitution d’un public métropolitain, engagé dans une lutte collective qui se reconnaîtrait métropolitain et y trouverait grandeur et transcendance de sa condition, le passage du JE au NOUS, dans lequel le public est envisagé par Loïc Ballarini comme « un potentiel en devenir » (Ibid. p.12), permet d’entrevoir la possible appréhension d’un territoire métropolitain par les habitants, les usagers, les citoyens, les acteurs métropolitains, mais également les élus locaux au

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travers du processus de « publicisation ». Dans ce sens, Christine Servais, professeure en sciences de l’information et de la communication souligne que « c’est peut-être dans le contexte de réception » que pourrait être explorée la formation, ou la dissolution d’un « commun », d’un collectif ou d’un « public » (Servais, 2017, p.45). La proposition développée renverse alors l’idée de la « constitution d’espaces publics d’essence métropolitaine » par celle de la constitution « d’un public métropolitain ». Loïc Ballarini et Céline Ségur soulignent la manière dont l’arène des multiples conflits sociaux ou débats qui suscitent un événement est nécessaire pour le constituer. Ainsi, ils relèvent que la notion de publicisation implique de considérer que le « public » n’est pas « une donnée en soi », mais « qu’il se publicise » à travers la publicisation d’un problème social ou d’une mesure politique par exemple (Cefaï, Pasquier, 2003 p.14, cité dans Ballarini, Ségur, 2017, p.11). Dans ce sens, le préalable de l’émergence d’un problème public apparaît comme un élément incontournable par lequel les récepteurs réagissent aux contenus et constituent une « culture de la convergence » (Jenkins, 2013, cité dans Ballarini, Ségur, 2017, p.11). Ainsi, de la même manière que « le public est assurément une fiction » (Maigret, 2017, p.184), cette fiction agit comme un élément catalyseur qui permet de faire émerger, par la conflictualité, une opinion et une appréhension personnelle des enjeux en présence.

Conclusion du chapitre 1

Différentes formes de communication à l’œuvre dans le façonnement et l’appréhension territoriale et politique des Métropoles

Ce chapitre avait pour objet de développer les approches scientifiques sur lesquelles s’est appuyé notre travail voué à la compréhension et la mise en évidence des politiques et stratégies de communication qui accompagnent et traversent le fait métropolitain. Nous avons observé, dans un premier temps, les différents apports de la recherche en sciences de l’information et de la communication dans l’analyse des collectivités territoriales et de la communication publique. Ainsi, la recherche en information et communication met en évidence la manière dont les collectivités territoriales cherchent à se légitimer par le recours à différentes formes de communication. Qu’il s’agisse des publications institutionnelles, de l’engagement dans des palmarès, du recours à la mobilisation mémorielle ou du soutien aux acteurs du territoire, l’analyse des politiques de communication des collectivités territoriales met en évidence la manière dont la communication participe à la fabrication politique du territoire. Ainsi, en occupant une place prépondérante dans les organisations publiques et dans les collectivités territoriales, la communication agit comme un régulateur des représentations.

Mobilisée pour légitimer la capacité d’agir politique des institutions publiques et territoriales et de leurs représentants, la notion de communication publique apparaît comme indissociable de la notion de communication politique. Dans ce sens, les politiques de communication nécessitent, pour être analysées, de prendre en compte l’évolution de leur contexte d’apparition ainsi que la multiplicité des logiques d’acteurs avec lesquelles elles interagissent. Un élément qui paraît déterminant dans la compréhension et la mise à jour des politiques et des stratégies de communication qui traversent et accompagnent le fait métropolitain. Peu traitées par les sciences de l’information et de la communication, les spécificités qui caractérisent les échelons métropolitains font apparaître de nouvelles questions de recherches. En effet, plusieurs possibilités d’observer les Métropoles apparaissent à la suite de l’étude des travaux scientifiques qui ont traité des questions intercommunales et métropolitaines. Qu’il s’agisse de l’inscription des Métropoles dans leur environnement local, des conditions de leur visibilité et de leur compréhension politique de la part des usagers, habitants et citoyens, ou qu’il s’agisse de leur condition d’émergence vis-à-vis des échelons de référence démocratique que sont les communes notamment, l’ensemble de ces questionnements apparaît comme autant de pistes de recherches, peu ou pas encore traitées par les sciences de l’information et de la communication. En ce sens, le travail que nous avons développé, voué à mettre en évidence les politiques et les stratégies de communication qui accompagnent et traversent le façonnement territorial et politique métropolitain, s’inscrit comme un prolongement des différents travaux en sciences de l’information et de la communication qui ont porté sur les collectivités territoriales et les intercommunalités. Ce chapitre nous a permis d’envisager les processus par lesquels un territoire se façonne et s’appréhende. Deux notions qui nous permettent de questionner la manière dont un espace politique et territorial, artificiel par nature, devient saisissable et repérable pour les individus qui le traversent, mais également la manière dont les enjeux sociaux politiques et territoriaux de ce même territoire peuvent être saisis par des habitants, élus, usagers et citoyens, devenus « public », doté de la possibilité de prendre part. Trois processus apparaissent à l’œuvre dans le façonnement idéel d’un territoire : le récit qui, en le traversant, par des processus médiatiques notamment, permet une mise en sens du territoire ; l’expérience pratique, qui en permet une reconnaissance sensible et l’interrelation entre les individus entre eux, d’une part, et entre les individus et le territoire, d’autre part. Ces trois éléments mettent en évidence l’interpénétration entre des dynamiques multiples et plurielles à l’œuvre dans le façonnement d’un territoire. Enfin, la question des conditions d’appréhension du territoire et de ses enjeux politiques et territoriaux nous a amené à mettre en évidence le lien entre l’émergence d’espaces publics d’essence métropolitaine, et la possibilité pour les individus de devenir un « public métropolitain », au sens d’être doté de la possibilité de se saisir des enjeux politiques inhérents aux échelons intercommunaux.

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Nous avons vu dans ce sens que l’émergence possible d’espaces publics d’essence métropolitaine était constitutive de la mise en débat de problèmes publics métropolitains. Ainsi, c’est dans une dimension dialogique que semble pouvoir apparaître et être appréhendé le territoire métropolitain. Dotées d’une dimension à la fois politique et territoriale, les Métropoles demandent à être discutées, verbalisées, mises en mot afin d’être appréhendées et comprises, par les acteurs, les habitants, les citoyens et les usagers.

À partir de là, c’est sur la compréhension des conditions de façonnement et d’appréhension territoriale et politique des Métropoles que porte notre travail de thèse. Nous observerons pour cela les différentes formes de communication à l’œuvre dans la normalisation et l’institution de ce nouvel échelon d’action politique et territoriale, mais également les stratégies et politiques de communication qui le traversent. Nous questionnerons également les conditions d’émergence d’espaces publics d’essence métropolitaine, envisagés comme lieu de formation d’un « public » métropolitain. Une analyse qui demande de prendre en compte les spécificités des Métropoles et les stratégies d’acteurs qui les accompagnent.