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L’inscription spatiale de la pauvreté et des inégalités dans les villes moyennes

moyennes : outils, enjeux et territoires

Carte 2.2 Le système urbain français à travers le zonage en aire d’influence

3. Enjeux sociaux, enjeux spatiau

3.2. L’inscription spatiale de la pauvreté et des inégalités dans les villes moyennes

L’accentuation et la diffusion de la précarité recouvrent une dimension territoriale complexe. Les thèmes de l’exclusion sociale et de la fracture urbaine ont jalonné les discours des politiques publiques, désignant par raccourci des territoires cibles. Les banlieues des grandes villes sont devenues les archétypes du décrochage territorial, cumulant les situations de vulnérabilité. Parmi elles, les ZUS apparaissent comme les lieux de la concentration spatiale de la pauvreté162. Les villes moyennes ne sont pas épargnées par ce double processus de relégation sociale et de fragmentation urbaine, même si « on observe [également] un fort lien entre la taille de l’agglomération et l’accroissement de la ségrégation » (Charlot, Hillal, Schmitt, 2009). Elles sont aussi souvent plus vulnérables, « les villes intermédiaires ne sont pas libres de problèmes qui, semblables ou non à ceux des grandes métropoles, se voient aggravés dans certains cas par leur hétérogénéité sociale plus faible, par leur compétitivité économique plus basse, par des déficits structurels et par des difficultés d’accès aux principaux flux d’information et aux réseaux du capital » (Llop Torné, 2000 : 78). Dans quelle mesure cependant les villes moyennes ont-elles la capacité de résister aux mécanismes d’exclusion et la possibilité d’inventer ou de promouvoir de nouvelles formes de solidarités locales ? Les villes moyennes sont-elles plus touchées que d’autres espaces par la pauvreté et ses nouveaux visages ? La détérioration des conditions sociales affecte-elle davantage les populations qui y vivent, et surtout les inégalités socio- spatiales y sont-elles atténuées comme les statistiques nationales le laisseraient penser ? Le questionnement ne peut avoir de réponse globale satisfaisante tant, nous l’avons vu, les situations locales varient. Mais, dans leur ensemble, les chiffres de la pauvreté, au sens traditionnellement retenu par les statisticiens et les économistes, montrent une augmentation des populations précaires et en difficultés dans ces villes. Cela est dû au contexte national dans lequel, sur moyen terme, la pauvreté absolue recule, mais où les situations de fragilités et de déclassements progressent.

3.2.1. Inégalités sociales et spatiales dans les villes moyennes

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D’après le rapport ONZUS 2011 – Le revenu fiscal moyen des ZUS s’élève en moyenne à 58% de celui de l’ensemble des unités urbaines.

La géographie de la pauvreté est relativement contrastée à toutes les échelles. Entre régions tout d’abord, le « taux de pauvreté à 60 % » varie de 11,3% en Alsace à 19,3% en Corse (INSEE 2009). Olivier Léon (2010) propose une lecture plus fine des inégalités sociales et territoriales. En procédant à l’analyse des inégalités, des bas salaires, des travailleurs pauvres et des bénéficiaires de minima sociaux, il détermine six familles de départements. Il souligne ainsi la diversité d’interprétation des chiffres de la pauvreté au regard des contextes locaux : les départements situés dans le nord et le sud de la France ont une pauvreté élevée dans toutes les catégories de population (jeunes, retraités, ruraux, etc.) alors que celle-ci concerne majoritairement les retraités dans les zones rurales du Massif central. De même, les faibles taux de pauvreté peuvent traduire des situations contrastées, entre les départements de l’ouest où le taux de pauvreté relativement bas reflète une assez grande homogénéité des niveaux de vie, tandis qu’il masque de fortes inégalités dans l’ouest parisien. Les ménages à bas revenus sont davantage concentrés dans la partie centrale du sud de la France, la Corse, le Pas-de- Calais, le couple Ardennes-Aisne et dans le Cotentin. Dans les départements concernés, leur part dépasse 35% de l’ensemble des ménages, alors que la moyenne nationale se situe à près de 29%. Au niveau de certains cantons du sud et de l’est du Puy-de-Dôme, du Cantal, de la Haute-Loire, de la Lozère, et de l’Ardèche (Travaux de l’Observatoire, 2008)163, la concentration de ménages à bas revenus peut dépasser 50%.

A une échelle plus fine encore, peu de travaux tentent de faire le lien entre les inégalités socio-spatiales et les échelles urbaines (Jargowsky 1996 ; Madoré, 2004 ; Bouzouina, 2008). Or, alors que la division de l’espace urbain ne correspond plus aux contours de la précarité et des inégalités sociales, il existe bien un lien entre taux de pauvreté et types d’espace. La dernière étude récente à ce sujet a été réalisée par le bureau d’études Le Compas à partir de la situation des 100 plus grandes unités urbaines de France164 parmi lesquelles figure un nombre important de villes moyennes. Les résultats, restitués dans la figure 2.2, montrent une graduation entre les grandes villes et les villes de taille intermédiaire qui reflète globalement le taux de pauvreté. La plupart des grandes villes (sauf Paris) se situent ainsi dans la partie basse et à droite de l’axe des abscisses. On retrouve par exemple les villes de Marseille ou de Lille à ce niveau ainsi que certaines villes d’outre-mer. Par ailleurs, parmi ces villes marquées à la fois par un taux de pauvreté important et un revenu médian faible des populations pauvres, quelques villes moyennes du sud de la France apparaissent.

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Even Karl, Rakotomalala, Robert Annelise, « Une caractérisation des conditions de logement des ménages à bas revenus », Les travaux de l’Observatoire, 2007-2008, pp. 283-298.

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La Gazette.fr, 2012, « Pauvreté : en finir avec la politique de l’autruche », Dossier spécial, 23/07/2012, Textuel :

Graphique 2.2 – Taux de pauvreté et revenus médians des ménages pauvres dans les villes françaises en 2009

Réalisation personnelle d’après INSEE DGI 2009 et estimations Le Compas

En revanche, la majorité des villes moyennes est positionnée dans le quart supérieur gauche du tableau, c’est-à-dire oscillant entre 10 et 22% de taux de pauvreté et un revenu médian des ménages pauvres supérieur à 720 euros. Si la pauvreté se concentre majoritairement dans les grandes villes, c’est aussi en leur sein que les effets d’entraînement et que la croissance économique sont les plus forts, contribuant à accentuer les inégalités entre les strates sociales. En ce sens, les villes moyennes apparaissent moins hétérogènes dans leur composition sociale mais peut-on parler de villes (plus) égalitaires ? Dans une étude réalisée pour l’observatoire des inégalités, Louis Maurin a appliqué un coefficient de Gini à l’ensemble des 100 premières villes françaises, les résultats permettent de relativiser l’effet de la taille des villes au regard des inégalités économiques. En comparant l’état de la répartition des revenus à une situation théorique d’égalité parfaite, on remarque que ce sont essentiellement les facteurs historiques et structuraux qui expliquent les inégalités au sein des villes.165. L’ensemble des villes moyennes est situé dans la fourchette des villes les moins

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L’indice de Gini est calculé avant le versement des cotisations et les prélèvements fiscaux, ce qui tend à accroître les inégalités présentées. Par ailleurs, les données, même rapportées ainsi à un indice global, ne permettent pas d’évaluer avec précision les situations vécues et notamment le rôle de l’environnement urbain. Ces données sont donc à apprécier pour leur caractère général et comme ordre de grandeur. En ce sens, nous ne présentons pas ici les chiffres avancés par l’étude. Voir : http : //www.inegalites.fr/spip.php?article1504&id_mot=30

inégalitaires avec des coefficients oscillant entre 0,3 et 0,5. Cette situation est particulièrement accentuée dans les villes de l’ouest de la France avec, par exemple, 0,336 à Quimper, 0,347 à Brest et 0,330 à Saint-Nazaire. Ces résultats s’expliquent en partie, pour les villes citées, par la dynamique économique mais aussi par la faible part de population issue de l’immigration (plus touchée par la pauvreté) présente dans les villes de l’ouest.

Graphique 2.3 – Distribution des revenus imposables de l’année 2000 en box plot selon les catégories de villes dans l’ouest de la France

Source : DRE Bretagne, 2007, Evolution des villes petites et moyennes en Bretagne et Pays de

Loire, octobre 2007.

Le diagramme de dispersion permet d’observer la ventilation par quartile de l’échantillon. La moyenne apparaît en pointillé et la médiane en trait orangé. Ainsi les villes moyennes connaissent les écarts les moins importants entre quartile témoignant d’une plus grande homogénéité sociale que les autres strates urbaines. Mais cette situation relativement proche de la moyenne des grandes villes ne masque-t-elle pas des disparités locales, notamment en ce qui concerne les populations aux revenus les plus faibles ? Comme nous l’avons précédemment vu, les processus d’exclusion et de fragmentation des espaces urbains ne reposent pas uniquement sur les barèmes économétriques.

Ces résultats sont également corroborés par les travaux réalisés à l’échelle des villes de l’ouest de la France par la DRE Bretagne en 2007. Le graphique n° 2.3 tiré de cette étude montre, au regard de la distribution des revenus imposables, que les villes moyennes bénéficient d’une situation avantageuse par rapport aux deux autres types d’espaces : la répartition par quartile montre que la majorité de la population a des revenus supérieurs y compris à ceux des habitants des grandes villes et que l’écart entre

les quartiles y est moins important. Les villes moyennes de l’ouest de la France semblent donc être, à la fois, bien positionnées dans l’échelle des revenus et globalement moins inégalitaires que les autres territoires.

L’analyse de la répartition des foyers fiscaux non imposés à l’échelle communale témoigne du renforcement de la concentration des ménages les plus démunis sur certains territoires. Ces évolutions ne sont pas seulement imputables à la conjoncture, puisqu’elles sont aussi observables en période de croissance économique (1984-1990) comme en période de récession (1991-1996). L. Bouzouina (2007 : 69) a montré que ces effets de concentration sont particulièrement marqués dans les grandes agglomérations ainsi qu’à l’intérieur de l’espace urbain, les taux de pauvreté se concentrant dans les quartiers aux potentiels fiscaux les moins élevés dans des proportions de 1 à 5 avec le reste de la ville.

Les villes moyennes semblent ainsi majoritairement moins touchées dans l’absolu par la pauvreté (quantitative). En revanche, les personnes concernées sont en moyenne plus éloignées du seuil de pauvreté. Si on prend en compte l’intensité et la nature du phénomène, les villes moyennes sont moins affectées par rapport aux grandes villes mais le sont souvent plus que leurs espaces environnants. Une étude dans le département de l’Ain (Bonerandi, 2010) relève l’inégalité importante des foyers fiscaux par unité de consommation selon les ménages. Les villes moyennes étudiées (Bourg-en- Bresse et Oyonnax) témoignent d’une précarité urbaine importante au regard de la moyenne départementale. Si Oyonnax ressent les effets de la crise industrielle, Bourg‐en‐Bresse enregistre les effectifs les plus élevés de populations pauvres et précaires avec des taux le plus souvent supérieurs à la moyenne régionale. La situation n’est pas particulière, les villes moyennes à l’échelle de leur département concentrent la majorité des logements sociaux et connaissent aussi les taux de chômage et de précarité les plus forts. Ce sont elles également qui, relativement, concentrent le plus de familles monoparentales. La même étude révèle qu’à l’échelle des cantons, c’est au niveau des villes moyennes que les trajectoires de précarité ont été les plus défavorables entre 2000 et 2009.

Au sein de l’espace urbain, les situations demeurent assez contrastées, mais on peut schématiquement retenir deux formes de ségrégation spatiale à l’œuvre au regard de la position des villes moyennes. La ségrégation est ici considérée dans sa désignation contemporaine générique, elle recouvre des processus conduisant à la séparation spatiale des groupes sociaux (Brun, Rhein, 1994 ; Gervais-Lambony, 2001) par effets direct ou induit de la structuration du système social – et non pas la définition restrictive initiale d’une politique organisée et volontariste de séparatisme socio-spatial. Les inégalités en matière de répartition des revenus sont donc une des caractéristiques de la ségrégation urbaine. Les inégalités sociales demeurent liées de manière assez directe à la taille de la ville (au niveau de l’aire urbaine). Il est alors difficile d’extraire plus d’informations sur une spécificité des villes moyennes dans leur composition sociale

puisqu’au-delà du seuil métropolitain, les situations varient essentiellement au regard des contextes régionaux (carte 2.3). Parmi les espaces urbains manifestement les moins inégalitaires, on retrouve les villes de l’ouest de la France et particulièrement les villes de la région Bretagne qui est aussi l’une des moins hétérogènes de France au niveau de la distribution globale des revenus.

Carte 2.3 – Inégalités spatiales sur les 100 plus grandes aires urbaines françaises

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