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L’industrialisation de la filière terre-crue

Les freins de la filière terre

2/ L’industrialisation de la filière terre-crue

‘‘On peut refuser de fréquenter l’industrie, la combattre, on ne peut l’ignorer : ce n’est

qu’en face d’elle que se marginalisent certains nostalgiques du retour à la pierre, au pavé, à la

bourgade, au travesti; et ils ont leur logique.On peut aussi chercher à la dévier ; pour celà il faut

y entrer, lui proposer d’autres directions possibles, ruser, maintenir des malentendus, essayer de

la pirater, la pousser au bout de ses limites et voir si cela suffit... ce n’est pas un compte de fée.’’*

Lucien Kroll

Contourner l’industrialisation ne signifie pas le retour à la pierre. Ce n’est pas blanc ou rouge, ce n’est pas rose ou noir. Il y a de multiples degrés d’industrialisation.

Dans cette deuxième partie, il ne s’agit pas de trancher moi-même sur le débat de l’industrialisation de la terre-crue, mais de présenter une palette d’exemples et d’arguments qui permettent de comprendre les raisonnements sur la définition d’un matériau de construction. A quel moment la matière devient matériau ? Dans mon rôle d’architecte, je fais le choix d’un matériau : que se cache-t-il derrière son prix, son coût de main d’œuvre, sa provenance, sa facilité de mise-en-œuvre, sa facilité d’assurabilité, etc ? Les exemples proposés n’ont pas pour but de tenir une liste exhaustive des innovations mais d’illustrer les raisonnements courants. Ainsi, les pratiques associées à l’adobe, briques de terre crue, et pisé sont les plus évoquées, témoins des démarches industrielles les plus avancées de la filière actuelle.

Cette deuxième partie de mémoire se décompose en deux grands volets : la production du matériau terre puis sa mise-en-œuvre.

Tout d’abord, il faut définir ce qu’est l’industrialisation et c’est un exercice complexe. Ma réflexion a été d’étudier plusieurs définitions et de relever les notions prépondérantes.

* Lucien Kroll dans

«Composants, faut-il industrialiser l’architecture ?» (p.32), éd. Socorema, 1988.

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Dans le langage commun, l’industrialisation est ‘‘l’application des procédés de l’industrie à une activité’’* et c’est en cela que la notion est difficilement descriptible puisque les caractères industriels appliqués à un secteur sont multiples. Est-ce le fait de produire en masse ? Est-ce le fait d’utiliser des machines ? Est-ce «l’organisation scientifique du travail» ? Est-ce la standardisation ?

Dans son sens premier, le mot «industrie» vient du latin industria

qui signifie ‘‘application, activité, assiduité’’*. Nous découvrons la première notion prépondérante qui résulte du «faire» : produire un bien matériel, transformer, appliquer un procédé à une matière première. Que ce soit dans Le Gaffiot, dans Le Larousse, pour l’Académie Française, pour le CNRTL, etc, le mot «machine» n’est pas utilisé. Pourtant l’image courante que l’on a de l’industrie, est bien celle de la machinerie, de la mécanisation, des engrenages de Charlie Chaplin... En réalité, c’est l’objectif d’une productivité élevée et de la rationalisation du travail qu’il faut bel et bien retenir qui nous vient tout droit du taylorisme, apogée du phénomène industriel.

Les expressions courantes comme «l’industrie du crime» découlent de cette définition ‘‘activité organisée de manière précise et sur une grande échelle’’*. En clair, la définition que nous retiendront est celle proposée par le CNRTL :

‘‘Processus complexe qui permet d’appliquer

à un secteur, à une branche de l’économie, des

techniques et des procédés industriels qui apportent

rationalisation et hausse de productivité’’*.

Appliquée au bâtiment, l’industrialisation prend plusieurs sens. Nous n’allons pas faire une dissertation complète sur le sujet, mais révéler une poignée d’éléments qui nous semblent pertinents.

Pour moi, suite au propos précédent, l’organisation du chantier en lots (fondations, gros-œuvre, électricité, peinture, placo, etc) est déjà une forme d’industrialisation dans le sens de la «séparation des tâches» pour faire référence aux théories de Frederick Winslow Taylor et de son «organisation scientifique du travail».

Dans une entrevue que j’ai menée avec Stéphane Forge en février 2017, cet architecte spécialisé dans la terre-crue me dit : ‘‘Tu te rends compte que chez les plaquistes, il y a celui qui pose les rails, celui qui

* définition de industrialisation

pour le Larousse, éd. Internet www.larousse.fr

* industria Gaffiot, p.808

* ‘‘Essemble des activités

économiques qui produisent des biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières’’ déf. de «industrie» pour le Larousse, éd. Internet www.larousse.fr

* id.

* déf. de «industrialisation»

proposée par le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), éd. Internet

www.cnrtl.fr/definition/industrialisation

Konrad Wachsmann (1901-1981)

est un architecte allemand. En 1941, il s’associe avec

Walter Gropius pour créer la General Panel Package

House Corporation, une usine fabriquant des éléments

préfabriqués. Il est l’auteur de l’ouvrage The Turning Point of Building (1961) qui vante les mérite d’une architecture industrialisée, dans le sens d’une production

en série pour laquelle la mécanisation est l’outil : ‘‘Le principe de l’industrialisation est identique à l’idée de production en masse. [...] La machine ne peut être comprise que comme outil répétant continuellement un

* Aleyda Resendiz-Vazquez dans sa thèse «L’industrialisation du bâtiment - Le cas de la préfabrication dans la construction scolaire en France (1951-1973)», soutenue en Juillet 2010, Conservatoire National des Arts et Métiers avec les encadrants Sabine Barles et André Guillerme

* id. thèse d’ Aleyda Resendiz-Vazquez, p.54

* Konrad Wachsmann

dans son livre The Turning Point of Building, cité par l’Encyclopédie Universalis,

éd. internet www.universalis.fr/encyclopedie/ industrialisation-de-l-architecture

pose les plaques et celui qui fait les bandes à joint. Ils sont incapables d’échanger leur poste. Pour moi le bâtiment ce n’est pas ça, ce n’est pas du Charlie Chaplin!’’

‘‘Pour moi le bâtiment ce n’est pas ça, ce n’est

pas du Charlie Chaplin!’’*

Si l’on s’attelle aux discours soutenus par les figures de l’industrialisation du bâtiment tels les architectes Konrad Wachsmann, Walter Gropius, ou Jean prouvé, les formes constructives proviennent davantage de l’ordre de la répétition et de la mécanisation : ils théorisent la préfabrication, ou la production en série. La thèse de Aleyda Resendiz-Vazquez* sur l’industrialisation du bâtiment, soutenue en 2010, rassemble dans les documents ci-après plusieurs définitions d’architectes qui offrent un rapide coup d’œil quant aux idées concernées dans ce processus industriel. Les propriétés courantes sont les suivantes : ‘‘série, répétition, normalisation, standardisation, typification, rationalisation, mécanisation, optimisation, continuité technique et financière, intégration des acteurs, organisation du travail et de l’entreprise, volume, innovation, automatisation et robotisation’’*.

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Fig. 16 : Quelques définitions sur l’industrialisation du bâtiment proposées

par Aleyda Resendiz-Vazquez dans sa thèse «L’industrialisation du bâtiment - Le cas de la préfabrication dans la construction scolaire en France (1951-1973)»

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Pour ces deux derniers paragraphes, on pressent un large fossé entre ma vision sur la séparation en lots du chantier et la préfabrication poussée à l’extrême de Konrad Wachsmann. C’est la notion de degrés d’industrialisation du bâtiment qu’il faut entrevoir.

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