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L’inceste, une différenciation injustifiée

Dans le document L’âge en droit pénal spécial (Page 33-36)

Section 1 : La différenciation des mineurs

A- L’inceste, une différenciation injustifiée

73. L’inceste n’a pas (ou n’avait pas, ou n’a plus…) droit de cité en droit pénal. En effet, si « la réprobation de l’inceste fonderait l’humanité », il n’est pas une notion juridique. Certes, la notion évoque un tabou universel, mais sa précision lui fait défaut. Par inceste, il faudrait entendre les relations sexuelles entre des personnes unies par des liens de parenté ou d’alliance, mais selon les époques ou les sociétés la notion a pu recouvrir des réalités bien différentes. Quoi qu'il en soit, ce vide juridique a suscité la culpabilité du législateur, qui a voulu en reconnaitre la singularité par rapport aux autres infractions sexuelles et faire entrer « l’Aigle noir » chanté par

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Barbara dans le Code pénal1. Cette inscription s’inscrivait dans la volonté de différenciation, une

différenciation des mineurs par rapport aux majeurs, mais aussi une différenciation parmi les mineurs.

74. La loi du 8 février 2010 inscrivit l’inceste commis sur un mineur dans le Code pénal. Ainsi, la relation incestueuse entre deux majeurs restait libre dès lors qu’elle était consentie, mais en l’absence de consentement, les incriminations d’agressions sexuelles étaient (et sont toujours) susceptibles de s’appliquer. Le législateur induisait donc l’idée que l’inceste ne pouvait être commis que sur une victime mineure. En effet, en réprimant l’inceste, le législateur sous- entendait que ce qui n’était pas réprimé à ce titre n’était pas incestueux. Les relations imposées au sein de la famille entre personnes majeures n’étaient pas incriminées, ces relations n’étaient pas incestueuses. Un auteur relevait d’ailleurs que « le concubin d’une femme de 19 ans commet une agression sexuelle incestueuse en cas d’actes commis sur la sœur de celle-ci, âgée de 17 ans. En revanche, le père de famille qui viole sa fille de dix-huit ans ne commet pas en ce qui le concerne de viol incestueux ». Le législateur opérait donc une distinction en fonction de l’âge de la victime, alors que la spécificité de l’inceste réside davantage dans le lien qu’il existe entre la victime et son auteur. Par cette « préférence » pour la victime mineure, le législateur niait la souffrance spécifique de la victime majeure, et créait une différenciation peu cohérente, qui s’ajoutait à l’incohérence quant aux auteurs2 résultant de l’articulation de la qualification incestueuse et de la

circonstance aggravante d’autorité.

75. Ensuite, la loi du 8 février 2010 opérait une différenciation entre les mineurs eux-mêmes. En effet, l’insertion de l’inceste, laissait exister le droit antérieur, c'est-à-dire que la circonstance aggravante de minorité de 15 ans demeurait pour les viols et les agressions sexuelles. Ainsi, d’une part l’inceste s’appliquait pour tous les mineurs, mais d’autre part les agressions sexuelles n’étaient aggravées que lorsqu’elles étaient commises sur des victimes âgées de moins de 15 ans. La superposition des textes créait ici un désordre regrettable par le message qu’il envoyait aux victimes, que la loi entendait justement protéger.

76. Enfin, la loi du 8 février 2010 insérait un nouveau paragraphe « De l’inceste » à la suite des viols et autres agressions sexuelles, donnant l’apparence que désormais l’inceste était une infraction autonome. « Une loi pour rien »3 selon certains, en effet, la loi n’ajoutait rien au droit

positif. La circulaire d’application du 9 février 20104 venant préciser que la loi n’ajoute rien au

1 C. Lazerges, Politique criminelle et droit de la pédophile, RSC 2010, p.725

2 « Réflexions sur l’inscription de l’inceste dans le Code pénal par la loi du 8 février 2010 », Agathe LEPAGE, JCP G. n°22, 22

mars 2010, doctr. 335

3 C. Lazerges, Op. Cit.

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droit existant, aucune incrimination autonome n’était créée et les peines n’étaient pas modifiées.

Les conséquences procédurales restaient limitées, l’apport était donc plus pédagogique que normatif. Il s’agissait « de se substituer aux titulaires de l’autorité parentale pour nommer, nommer l’inceste, afficher l’inceste, tenter de définir l’inceste »1. Un viol commis par un

ascendant ou une personne ayant autorité sur un mineur restait réprimé par l’article 222-24 4° que les faits ait été ou non incestueux.

77. « Inspiré des meilleures intentions »2, le législateur fut censuré3 par le Conseil

constitutionnel en raison de l’imprécision de la définition de la famille, faute d’avoir désigné expressément les personnes qui devaient être regardées comme membre de la famille. En effet, le texte mettait l’accent davantage sur la notion d’autorité que sur celle de famille, on pouvait regretter que le lien familial soit mis au second plan dans une incrimination réprimant pourtant l’inceste.

78. Notons que la sous-division « De l’inceste » demeure dans la section des agressions sexuelles, alors qu’elle a été vidée de son contenu4, ce qui n’est pas des plus cohérents pour un

lecteur non averti du Code pénal. L’incrimination de l’inceste a donc été abrogée, est-ce à dire que l’inceste n’est plus réprimé ?

79. La réponse doit être négative, l’inceste étant couvert par les infractions de nature sexuelle. D’aucuns regrettent la dilution de l’inceste dans les infractions sexuelles de droit commun, qui ne permettent pas d’appréhender la spécificité de l’inceste, tout en reconnaissant quelques lignes plus loin que l’inceste est sous-entendu dans les termes d’ascendant. L’inceste apparait en effet implicitement dans l’abus d’autorité de droit ou de fait qui est une circonstance aggravante du viol, des agressions sexuelles et de l’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans, mais aussi un élément constitutif des atteintes sexuelles sur un mineur de plus de 15 ans.

80. Il s’agissait donc uniquement de mettre « un mot sur les maux »5, la circulaire

reconnaissant que la loi n’était que déclarative, mais est-ce bien le rôle du législateur de s’exprimer par « une succession de lois déclaratives et émotives »6 ? L’absence de normativité ne peut que

porter atteinte à la majesté de la loi pénale, qui plus est lorsque la loi se révèle inutile. Il s’agissait ici d’une véritable différenciation des victimes « d’affichage », sans création d’incriminations. Le comportement d’un majeur ayant des relations sexuelles avec un mineur doit être réprimé et le

1 C. Lazerges, Op. Cit.

2 Ph. Bonfils, L’évolution de la protection pénale des mineurs victimes, AJP 2014. 10 3 Cons. Const., 16 sept. 2011 n°2011-163 QPC et 17 févr. 2012, n°2011-222 QPC

4 L’article 222-31-2 demeure, il prévoit le retrait de l’autorité parentale lorsque les faits sont commis sur un mineur par le titulaire

de l’autorité parentale, les termes incestueux en ont été supprimé par la loi du 5 aout 2013.

5 G. Delors, L’inceste en droit pénal : de l’ombre à la lumière, RSC 2010, p.599 6 C. Lazerges, Op. Cit

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Code pénal assure cette sanction, mais la prise en compte du contexte familial dans lequel est intervenue l’infraction semble relever davantage de la personnalisation de la peine, et incomberait alors plus au juge qu’au législateur. Le juge dispose alors des circonstances aggravantes pour moduler la répression à l’égard de l’auteur de l’infraction, ce qui nous semble être le plus opportun qu’une incrimination spécifique de l’inceste1. Dès lors, on peut regretter l’absence de

cumul possible des circonstances aggravantes de minorité et d’abus d’autorité, qui n’est pas possible pour le viol, et n’est désormais plus possible pour l’agression sexuelle2 qui permettait

pourtant d’adapter la répression à l’inceste.

81. Toutefois, plus qu’une différenciation des victimes mineures incestueuses, c’est plutôt une meilleure catégorisation des infractions sexuelles commises sur les mineurs de manière globale que le législateur devrait opérer. Il existe également des hypothèses où la différenciation est plus apparente que réelle.

Dans le document L’âge en droit pénal spécial (Page 33-36)