• Aucun résultat trouvé

La difficulté

Dans le document L’âge en droit pénal spécial (Page 50-53)

Section 1 : L’âge, indice ponctuel de vulnérabilité

A- La difficulté

114. En insérant le critère de l’âge, le législateur reconnait donc que la « vieillesse » est susceptible de placer l’individu dans une situation de vulnérabilité. Cependant, le rapprochement de « vieux » et vulnérable ne se justifie pas systématiquement, ainsi Pascale Renaud-Durand espérait en 1994 que « les tribunaux pourront apprécier, dans chaque cas d’espèce, si l’âge de la victime est une cause de vulnérabilité, celle-ci variant à l’évidence pour un âge donné, d’un individu à un autre »2. En effet, en l’espèce c’est moins la relativité de la notion d’âge que de celle

de vulnérabilité qui est en cause. Il convient donc de revenir sur la caractérisation de la vulnérabilité (1), puis de l’appliquer à l’âge.

1- La caractérisation de la vulnérabilité

115. Pour être retenue, la vulnérabilité doit découler d’une faiblesse suffisamment importante. En effet, la vulnérabilité trouve son origine dans une faiblesse, ayant pour conséquence de placer la victime dans une certaine situation l’exposant à des agressions. Le législateur traduit ce processus en évoquant une vulnérabilité due à l’âge, l’âge est alors l’origine de la faiblesse, tout en évoquant une particulière vulnérabilité traduisant un degré suffisamment important de la faiblesse pour appeler une protection du droit pénal. L’adjectif particulier renvoie alors à une exigence d’évaluation de la faiblesse qui s’impose au juge. Le contrôle auquel le juge devra se livrer peut s’expliquer à travers la polysémie du terme particulier.

116. Tout d’abord, le terme particulier renvoie à ce qui est propre, qui appartient à un individu, le singularise par rapport aux autres. Ainsi, la vulnérabilité doit donc être propre à la personne, le juge doit donc opérer un contrôle in concreto pour apprécier la vulnérabilité de la personne en cause. En effet, « lorsque les notions juridiques contiennent ainsi une référence directe à la réalité humaine, il est aisé de comprendre qu’elles inclinent plus naturellement les juges à apprécier cette réalité telle qu’elle se présente à eux dans chaque cas particulier, c’est-à-dire

1 En effet, l’article 225-12-1 réprime le recours à la prostitution lorsque la personne prostituée présente une particulière

vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse.

2 La prise en compte de la vulnérabilité dans le Nouveau Code pénal In Réflexions sur le nouveau Code pénal Paris, Ed. Pédone, 1995,

51

in concreto »1. Par sa proximité avec les faits, la notion de vulnérabilité appelle à une appréciation

par le juge de la réalité dans laquelle se trouvait placée la victime au moment de l’infraction, pour établir son éventuelle vulnérabilité.

117. Ensuite, le terme particulier signifie d’une importance significative, c’est-à-dire que la faiblesse est assez importante pour être prise en compte par le juge. En ce sens, l’adjectif est restrictif, toute faiblesse ne saurait être prise en compte, elle doit être d’un degré suffisamment important pour être opérante. Cette interprétation restrictive trouve son origine dans l’institution défavorable à la personne poursuivie que sont les circonstances aggravantes, elle est exigée pour toutes les circonstances aggravantes2. Cette exigence quantitative quant à la faiblesse s’exprimait

davantage dans le Code pénal avant la réforme de 1994, qui évoquait « une personne particulièrement vulnérable », l’adverbe insistant mieux sur l’importance de la vulnérabilité que l’adjectif particulière. La Cour de cassation rappelle d’ailleurs que la « juridiction pénale doit rechercher, à titre préliminaire, si à la date des faits […] [la victime] était une personne non pas vulnérable, mais particulièrement vulnérable »3.

118. Finalement, la seule précision de la cause de la vulnérabilité, en ce qui nous concerne l’âge, ne sera pas suffisante, dès lors que le juge n’établira pas dans quelle mesure cet âge a placé la victime dans une situation l’exposant particulièrement à la malveillance d’autrui. La vulnérabilité n’est qualifiée que dans la mesure où elle trouve son origine dans un élément de fait établissant une faiblesse significative. La censure de la Cour de cassation est donc encourue dès lors que les juges évoquent l’âge de la victime de manière absolue sans préciser en quoi l’âge de la victime la plaçait dans une situation de particulière vulnérabilité, ainsi de la Cour d’appel qui retient la vulnérabilité de la victime uniquement en raison de ses 64 ans4. La Cour de cassation lui

reproche de ne pas avoir établi que cet âge avait amoindri ses capacités. Si dans ce cas d’espèce, l’âge relativement peu avancé de la victime pouvait expliquer la solution, la Cour de cassation la réitère à propos de victime plus âgée. Ainsi, elle a pu décider que la seule circonstance que la victime d’un viol soit âgée de 70 ans au moment des faits ne suffisait pas à caractériser sa particulière vulnérabilité5.

119. La solution a été récemment réitérée puisque la Cour de cassation a approuvé la motivation d’une chambre d’instruction relevant « que si, effectivement [la victime] était affaibli par l’âge et par sa maladie, sa " faiblesse " ne revêtait pas le caractère " majoré " exigé par la loi »6.

En effet, il est de jurisprudence constante que la particulière vulnérabilité ne peut être tirée du

1 Noël DEJEAN DE LA BATIE, Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit civil français, Préface de Henri

Mazeaud, Paris, L.G.D.J., 1965, p. 8, n° 9

2 M.-L. RASSAT Droit pénal général, Coll. Droit fondamental, Droit pénal, P.U.F., 2e éd., 1999, p. 583 3 Crim, 1er avril 2014, n°13-83163

4 Crim, 23 juin 1999, n° 98-84.158 5 Crim, 8 juin 2010 n°10-82.039 6 Crim, 1er avril 2014, n°13-83.163

52

seul âge de la victime1. L’âge, quand bien même avancé de la victime, ne suffit pas à établir sa

vulnérabilité. Se contenter de la seule précision de l’âge reviendrait à considérer que l’âge de la victime est en lui-même une circonstance aggravante, renvoyant alors au cas de figure des mineurs. Or, dans le cas de l’âge avancé c’est bien plus la particulière vulnérabilité qui découle du grand âge, que l’âge lui-même qui est en cause. Ainsi, Michel Véron parlait-il plutôt de « vulnérabilité due aux conséquences personnelles de l’âge sur l’état physique ou psychique de chaque victime »2.

2- L’exclusion d’un seuil d’âge

120. Si « la date de naissance ne peut suffire à elle seule à caractériser la vulnérabilité »3,

le juge ne peut alors recourir à un seuil d’âge pour l’âge avancé. En effet, le juge pourrait rechercher un seuil au-dessus duquel une personne serait présumée vulnérable, la technique étant employée pour les mineurs. La Cour de cassation estime en effet « que la loi, n’ayant pas déterminé l’âge d’où résulte la particulière vulnérabilité [elle] en a confié l’appréciation aux juges du fond »4. Ceux-ci pourraient alors créer une présomption pour les victimes présentant un âge

avancé, solution souhaitée par certains, notamment « pour les victimes qui appartiennent à ce qu’on nomme parfois le quatrième âge ». Or, la vulnérabilité se caractérise par sa relativité, sa spécificité à chaque individu, et c’est le contrôle du juge qui assure l’effectivité de la notion. Le juge a en effet pour rôle de révéler la situation particulière de la personne qui en raison de sa faiblesse est moins apte à se défendre qu’une autre. Instaurer un seuil d’âge en matière de vulnérabilité transformerait la notion concrète de vulnérabilité en une notion artificielle dénuée de sa proximité avec les faits.

L’âge en lui-même n’implique donc pas la vulnérabilité de la personne, mais s’avère être plutôt un indice, plus ou moins fort, de la vulnérabilité de la victime. Le juge devra dès lors confirmer cette suspicion par d’autres éléments afin de faire face à l’insuffisance du seul critère de l’âge.

1 Crim, 12 janvier 2000, Bull. crim., n°15

2 M. Véron, La vulnérabilité due à l’âge, Dr. Pén. 2001 comm. n°70 3 Ibid.

53

Dans le document L’âge en droit pénal spécial (Page 50-53)