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De l’importance des interactions plante-pollinisateurs au sein des prairies permanentes

CHAPITRE 1 : Introduction

3. De l’importance des interactions plante-pollinisateurs au sein des prairies permanentes

L’assemblage des communautés de plantes prairiales ne dépend pas uniquement des mécanismes

précédemment présentés : elles sont aussi régies par la composition et la diversité des

pollinisateurs (Pellissier et al., 2012). En effet, les Poaceae (i.e. essentiellement à pollinisation

anémophile) représentent la plus grande partie de la biomasse dans les prairies permanentes en

milieu tempéré (Dengler et al., 2014). Cependant, 78.4 % des plantes herbacées en milieu tempéré

dépendent au moins partiellement des pollinisateurs pour assurer leur pollinisation (Ollerton et al.,

2011), alors qu’en Europe, la moitié de la flore dépend des habitats de types prairiaux (Veen et al.,

2009) et que les espèces de plantes dicotylédones (légumineuses, diverses) sont les plus

importantes pour la diversité floristique. En outre, l’absence de pollinisateurs pourrait fortement

impacter la composition des plantes au sein des communautés prairiales (Lundgren et al., 2016),

alors que la diversité fonctionnelle des pollinisateurs au travers de leur complémentarité

fonctionnelle peut impacter le succès reproducteur des plantes prairiales (Fontaine et al., 2005;

Fründ et al., 2013).

Les plantes à pollinisation entomophile au sein des prairies sont d’une grande importance dans un

but de conservation de la biodiversité, mais aussi potentiellement pour la qualité des fourrages

(Poutaraud et al., 2017). En retour, ces plantes fournissent des ressources nutritives (pollen et

nectar) ainsi que des sites de reproduction, de réchauffement ou encore des substrats essentiels

pour le déroulement du cycle de vie de nombreuses espèces de pollinisateurs (Michener, 2007;

Woodcock et al., 2014). Elles sont donc essentielles pour le maintien des communautés de

pollinisateurs, en particulier dans un contexte de déclin de ces derniers (synthétisé par Potts et al.,

2010). De plus, la complémentarité de phénologie entre plantes sauvages et plantes cultivées

permet d’accroître la disponibilité en pollinisateurs pour le service écosystémique de pollinisation

des plantes cultivées dont le rendement dépend de la pollinisation entomophile, bien que cela

puisse être au dépend de plantes sauvages fleurissant au même moment que ces dernières.

3.1. La fonction de pollinisation : définition et mesures

La pollinisation des plantes prairiales, qui correspond au processus de transfert de grains de pollen

des étamines vers les stigmates peut être considérée comme une fonction au sens de l’Evaluation

française des écosystèmes et des services écosystémiques (EFESE ; Tibi and Thérond, 2017). Le

cadre EFESE fournit un cadre conceptuel clair et récent pour l’utilisation du concept de service

écosystémique dans le contexte des écosystèmes agricoles et c’est la raison pour laquelle nous

l’avons retenu au cours de cette thèse. D’après le cadre EFESE, le niveau de fonction de

pollinisation au sein d’une communauté prairiale devrait être influencé par les déterminants

biophysiques des deux entités en interaction : les plantes et les pollinisateurs. La fonction de

pollinisation n’inclut pas le succès reproducteur des plantes attribuable à l’action des pollinisateurs

(ex : nombre de graines par individu) ainsi que la récolte pour la consommation humaine (i.e.

succès reproducteur des plantes à l’échelle de l’exploitation attribuable à l’action des pollinisateurs,

cf. Bartholomée and Lavorel, 2019). De plus, dans le cadre EFESE, un service écosystémique

correspond à une fonction écologique dont l’Homme dérive un avantage direct ou indirect. La

fonction de pollinisation en prairie permanente pourrait générer ce type d’avantage, par exemple

en influençant de manière positive pour l’agriculteur la composition des communautés de plantes

prairiales. Cependant, ce type de relation n’ayant pas été démontrée explicitement dans la

littérature, nous nous limiterons dans la suite de cette thèse à la seule étude de la fonction de

pollinisation ou de ses déterminants biophysiques.

La fonction de pollinisation au sein d’une prairie peut être estimée en quantifiant directement ses

déterminants biophysiques (Bartholomée and Lavorel, 2019). Cependant, en approximant le

transfert de pollen, par exemple en quantifiant la fréquence des interactions plantes-pollinisateurs,

il est possible d’approximer encore plus précisément la fonction de pollinisation (Bartholomée and

Lavorel, 2019). En effet, la fréquence des interactions plantes-pollinisateurs a été positivement

reliée avec le succès de reproduction des plantes (Vázquez et al., 2005), et est fréquemment

employée comme approximation du transfert de pollen (Bartholomée and Lavorel, 2019).

Cependant, cette mesure pourrait être peu précise car elle ne prend pas en compte l’efficacité

variable des pollinisateurs, et nécessiterait d’être complétée par d’autres mesures du transfert de

pollen (ex : transport de pollen par individu ou quantité de pollen déposé par interaction ;

(Ballantyne et al., 2017; King et al., 2013). Cependant, la fréquence des interactions reste l’une des

méthodes les plus simples à mettre en place (Bartholomée and Lavorel, 2019). Elle est liée à de

nombreux paramètres, incluant de la variabilité interannuelle qui est liée notamment aux

variations en termes de température et de sécheresse pouvant fortement impacter l’abondance

des espèces de plantes et de pollinisateurs (Burkle and Alarcon, 2011), les propriétés de la matrice

paysagère (ex : Geslin et al., 2013), mais aussi les paramètres locaux. Ainsi, la fréquence des

interactions plantes-pollinisateurs est liée positivement à la diversité taxonomique et au

recouvrement total de plantes en fleur (ex : Ebeling et al., 2008, cf. figure 5; Hudewenz et al.,

2012).

Figure 5 : Relations entre fréquence des interactions plantes-pollinisateurs et A) nombre d’espèces de plantes en fleur et B) pourcentage de recouvrement total de plantes en fleurs.

Ces données ont été obtenues sur le site expérimental de Jena (Allemagne) et comporte 82 micro-parcelles de 400 m² chacune. Chaque micro-parcelle est composée de l’un des six niveaux de richesse taxonomique de plantes possibles (1, 2, 4, 8, 16 et 60 espèces). Source : Ebeling et al. (2008).

3.2. Les traits d’interaction plantes-pollinisateurs

Cependant, toutes les fleurs ne sont pas semblables en termes d’attractivité, d’accessibilité ou de

récompense pour les pollinisateurs. En effet, la fréquence des interactions peut aussi être

impactée par la diversité fonctionnelle et le CWM des traits floraux et des traits des pollinisateurs

composant les communautés prairiales (ex : Fornoff et al., 2017). Une vision holistique de ces traits

est nécessaire pour appréhender au mieux les différents axes qui composent les niches des plantes

et des pollinisateurs (Junker and Parachnowitsch, 2015).

En effet, les interactions plantes-pollinisateurs reposent sur un processus séquentiel complexe qui

implique de nombreux traits d’interactions, en plus d’une phénologie commune entre la floraison

de la plante et la période de vie du pollinisateur qui sont nécessaires pour que les interactions

aient lieu (Vázquez et al., 2009). Les fleurs constituent des signaux qui permettent aux

pollinisateurs de les détecter à plus ou moins longue portée (Hempel de Ibarra et al., 2015), bien

que la raison de complexité et de la diversité de ces signaux floraux est encore sujette à débat

(Leonard et al., 2011). Par exemple, l’importance de ces signaux et du type de signal utilisé (ex :

visuel ou odorant) pour la détection des fleurs varie selon les espèces de pollinisateurs (ex :

pollinisateurs nocturnes pour lesquels les signaux odorants sont particulièrement importants ;

Wester and Lunau, 2017), selon leur distance aux fleurs (ex : signal odorant qui pourrait être

favorisé à moyenne distance et visuel à courte distance chez A. mellifera ; (Leonard and Masek,

2014), mais aussi selon leur niveau d’expérience (ex : apprentissage d’une nouvelle combinaison

de signaux visuels lorsque le pollinisateur change d’espèce visitée ; Wester and Lunau, 2017). Une

fois les fleurs détectées, les pollinisateurs doivent pouvoir atteindre la récompense qu’ils cherchent

à exploiter (i.e. pollen, nectar ou les deux). Cette accessibilité à la ressource est déterminée par

des traits floraux appelés barrière à l’exploitation (ex : Stang et al., 2006). Enfin, les ressources

nutritives produites par les fleurs varient en termes de quantité et de qualité, alors que les besoins

des pollinisateurs pour ces ressources varient également (Vaudo et al., 2015).