CHAPITRE 1 : Introduction
5. Conséquences sur la fonction de pollinisation
5.1. Conséquences sur la fréquence des interactions plantes-pollinisateurs
5.1.2. Diminution de la complémentarité fonctionnelle
Un autre aspect qui pourrait engendrer une relation négative en intensification agricole et fonction
de pollinisation provient des prédictions des relations qui ont été proposées entre diversité
fonctionnelle et fonctionnement des écosystèmes. En effet, une relation positive entre diversité
fonctionnelle et fonctionnement de l’écosystème est attendue si la complémentarité fonctionnelle
entre les espèces d’une communauté permet une utilisation plus complète des ressources
disponibles (Mason et al., 2005). Dans le cas des interactions plantes-pollinisateurs, une relation
positive entre diversité fonctionnelle des traits floraux et fréquence des interactions peut donc être
attendue grâce à un meilleur partitionnement entre plantes mais aussi entre pollinisateurs et une
meilleure complémentarité entre les niches à la fois des plantes et des pollinisateurs sur la base de
leurs traits d’interaction (Blüthgen and Klein, 2011).
Cependant, l’idée de mesurer la complémentarité fonctionnelle à partir de la diversité
fonctionnelle implique de bien définir cette dernière. En effet, la diversité fonctionnelle permet de
mesurer la distribution et l’amplitude de la fonction des organismes au sein des écosystèmes. Elle
intègre la complémentarité et la redondance des espèces échantillonnées dans les communautés
(Schleuter et al., 2010). La diversité fonctionnelle comprend plusieurs aspects dont les plus
communément étudiés sont la richesse fonctionnelle (i.e. le niveau d’occupation de l’espace
fonctionnel par les espèces échantillonnées), l’équitabilité fonctionnelle (i.e. le niveau de régularité
de la distribution des espèces au sein de l’espace fonctionnel) et la divergence fonctionnelle (i.e. à
quel point les espèces à forte abondance sont éloignées du centre de l’espace fonctionnel). Ces
trois composantes se rattachent à la complémentarité de niche : la richesse fonctionnelle
renseigne sur les espaces utilisés au sein de l’espace fonctionnel total (une faible richesse
fonctionnelle pouvant indiquer que certaines ressources potentiellement disponibles ne sont pas
utilisées par les espèces présentes dans la communauté), l’équitabilité fonctionnelle sur le niveau
d’utilisation des ressources (une faible équitabilité signifiant que certaines parties de l’espace
fonctionnel sont occupées mais sous-utilisées), la divergence fonctionnelle sur le degré de
différenciation de niche entre les espèces présentes (une faible divergence fonctionnelle indiquant
une faible différenciation de niche et donc un fort niveau de compétition pour les ressources
disponibles) (Mason et al., 2005; figure 11).
Figure 11 : Schéma de différentes composantes de la diversité fonctionnelle.
l’abondance des espèces au sein de la communauté représentée. Deux exemples de communautés (C1 et C2) avec des
situations de diversité fonctionnelle opposées sont représentées. A) Richesse fonctionnelle ; B) Equitabilité
fonctionnelle ; C) Divergence fonctionnelle ; D) Dispersion fonctionnelle (ex : entropie de Rao). Source : Taugourdeau
(2014).
De nombreux indices se rapportent à la diversité fonctionnelle (ex : Mouchet et al., 2010; Schleuter
et al., 2010). Parmi eux, certains mesurent séparément ces trois grandes composantes de la
diversité fonctionnelle, alors que d’autres sont des indices qui agglomèrent plusieurs informations,
rendant leur interprétation plus compliquée. C’est le cas notamment de l’indice d’entropie
quadratique de Rao qui peut être employé pour calculer l’entropie fonctionnelle d’une
communauté. Cet indice correspond à la somme des distances fonctionnelles entre chaque paire
d'espèces pondérée par leurs abondances, mais dépend à la fois de la richesse fonctionnelle et de
la divergence fonctionnelle (Mouchet et al., 2010). Cependant, dans certains cas de figures, ces
indices peuvent être les seuls utilisables (Mouchet et al., 2010). De plus, certains indices sont
corrélés à la richesse spécifique, ou avec une distribution montrant une réduction des valeurs
possibles avec une augmentation de la richesse spécifique (Swenson, 2014). Dans le but de créer
des indices de « pure » diversité fonctionnelle, i.e. affranchis de la richesse spécifique, il peut être
nécessaire d’avoir recours aux modèles nuls (Mouchet et al., 2010; Schleuter et al., 2010; Swenson,
2014).
Peu d’études ont relié l’intensification agricole à la diversité fonctionnelle des traits floraux. Par
exemple, Binkenstein et al. (2013) ont pu montrer un effet négatif de l’intensification agricole sur la
diversité des couleurs florales sur une partie des régions du BEP qu’ils ont étudiées. D’autres
éléments plus indirects peuvent laisser penser à cet effet négatif. En effet, comme montré
précédemment, l’intensification agricole peut réduire la diversité taxonomique des plantes
entomophiles, ainsi que la diversité fonctionnelle des plantes. Il est donc possible que cette
sous-dispersion des traits de réponses engendre également une sous-sous-dispersion des traits floraux si les
deux sont corrélés. La diversité taxonomique est positivement corrélée avec la diversité
fonctionnelle des traits floraux dans l’une des seules études ayant eu une vision holistique des
traits floraux, i.e. assemblant signaux, barrières à l’exploitation et récompenses (Fornoff et al.,
2017). Cependant, cette étude n’intègre pas les traits végétatifs.
En outre, les deux seules études ayant testé les relations entre diversité fonctionnelle des traits
floraux et fréquence des interactions plantes-pollinisateurs ont trouvé une relation négative. Ces
deux études étaient basées sur des sites expérimentaux constitués de micro-parcelles avec
assemblages d’espèces suivant un gradient de diversité (Jena : Fornoff et al., 2017; Gembloux :
Uyttenbroeck et al., 2017) et ont montré des communautés de pollinisateurs relativement peu
diversifiées et dominées par des pollinisateurs généralistes (Apis mellifera et bourdons). Ces
éléments pourraient expliquer cette relation négative entre diversité fonctionnelle des traits
floraux et interactions plantes-pollinisateurs. Ils justifient donc la nécessité d’aborder ces relations
dans des milieux naturels, mais aussi d’inclure les traits d’interactions des pollinisateurs afin de
mieux considérer le phénomène de complémentarité de niche en ne se focalisant pas que sur les
plantes. Cependant, une relation positive entre biodiversité et fonction de pollinisation a tout de
même déjà été soulignée au travers de la relation positive entre complémentarité fonctionnelle
des pollinisateurs et fonction de pollinisation, mais en maintenant l’abondance des pollinisateurs
constante (ex : Fontaine et al., 2005; Fründ et al., 2013).