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CHAPITRE 1 : Introduction

5. Conséquences sur la fonction de pollinisation

5.3. Conséquences sur l’efficacité par interaction

Bien que la fréquence des interactions plantes-pollinisateurs soit utilisée comme approximation du

flux de transfert de pollen, différentes mesures plus précises de potentiel de flux de transfert ont

été proposées. Ces mesures donnent des informations sur la qualité des interactions, alors que la

fréquence des interactions est avant tout une mesure quantitative de la fonction de pollinisation

(Ollerton, 2017). L’importance de cette dimension qualitative de la fonction de pollinisation a été

récemment soulignée (Ballantyne et al., 2017; Schleuning et al., 2015). Ainsi, la qualité des

interactions peut être mesurée par la quantité de pollen déposée par un pollinisateur au cours

d’une interaction sur une fleur fraîchement ouverte (Single Visit Deposition ou SVD ; King et al.,

2013). Une mesure moins précise d’un potentiel de flux de pollen consiste en la quantification des

grains de pollen transportés par un pollinisateur (charge en pollen ; Kearns and Inouye, 1993) en

prenant généralement soin d’éviter les zones de stockage du pollen lorsqu’elles sont présentes (ex :

corbicula et scopa). De plus, SVD et pollen load peuvent être corrélés (ex : Stavert et al., 2016).

Cependant, l’une des limites du pollen load est de faire correspondre la quantité de grains de

pollen transporté par un pollinisateur avec le nombre de grains qui seront effectivement déposés

sur les stigmates des fleurs visitées, cette quantité dépendant notamment de la position des

stigmates des fleurs qui varient fortement entre familles taxonomiques par exemple (Harder and

Barrett, 1996).

Afin d’accroître notre compréhension de la fonction de pollinisation dans les prairies permanentes,

ainsi que les conséquences de l’intensification agricole sur cette fonction et donc notre capacité à

prédire des changements de niveau de fonction de pollinisation, il peut être pertinent de s’appuyer

sur un autre type de trait fonctionnel : les traits d’effets (Lavorel and Garnier, 2002). Les traits

d’effets des pollinisateurs ne sont pas encore bien établis aujourd’hui (Bartomeus et al., 2018),

bien que de récentes études aient montré une relation positive entre SVD ou pollen load et pilosité

des pollinisateurs (Phillips et al., 2018; Stavert et al., 2016; on emploiera ici les termes poils et

pilosité pour les insectes, bien que ces termes soient issus des terminologies anglo-saxonnes, ex :

soie et non pas poil en Français). Cependant, ces études n’ont porté que sur trois espèces cultivées

(Brassica napus, Brassica rapa, Actinidia deliciosa), proches d’un point de vue morphologique (i.e.

fleurs actinomorphes) et même proches phylogénétiquement pour B. napus et B. rapa. De plus,

elles ne sont pas fondées sur la même méthode, l’une s’appuyant sur des approches numériques

(figure 12), l’autre sur un dénombrement des poils.

Figure 12 : Exemples de mesures de pilosité obtenues avec la méthodologie utilisée par Stavert et al. (2016).

Cette méthodologie a été employée au cours de cette thèse. Macrophotographie et détection de la pilosité de A)

Lucilia silvarum (Caliphoridae) au grossissement x5 et B) Bombus sylvarum (Apoidae) au grossissement x4,5. Les yeux des insectes ont été découpés avant traitement de l’image. Plus la couleur est rouge, plus la pilosité est forte (méthode basée sur le calcul d’un indice d’entropie de Shannon, i.e. plus l’indice de Shannon est fort, plus il est nécessaire d’avoir d’information pour délivrer l’information, ce qui se traduit ici par une plus forte pilosité).

Or, Kühsel (2015) a trouvé une diminution du CWM de la pilosité des pollinisateurs avec

l’intensification agricole (méthode basée sur une estimation du pourcentage de pilosité en prenant

en compte la pilosité de la tête ainsi que des parties supérieures et postérieures du thorax et de

l’abdomen). Cette diminution pourrait être liée à une modification de la composition des

communautés de pollinisateurs, i.e. une augmentation de l’abondance relative des Diptères avec

l’intensification (figure 13), ces derniers étant en moyenne moins pileux que les abeilles et les

Lépidotères (Kühsel, 2015).

Figure 13 : Diversité et composition des pollinisateurs en fonction de l’intensité agricole.

Relations entre A) diversité taxonomique des pollinisateurs (exponentiel de l’indice de Shannon pondéré par l’abondance des pollinisateurs) et intensification agricole mesurée par le LUI et B) Proportion des différents groupes de pollinisateurs et intensification agricole. Source : Kühsel (2015).

La taille corporelle des pollinisateurs a aussi été soulignée comme étant un possible trait d’effet

avec une relation positive entre SVD et taille corporelle pour différentes espèces cultivées : la

pastèque (mais pas pour le myrtillier ni pour la canneberge ; Bartomeus et al., 2018), ainsi que

pour le colza (B. rapa ; Phillips et al., 2018). La diminution du CWM de la taille corporelle avec

l’intensification montrée par Kühsel (2015) pourrait suggérer une diminution du potentiel de

transfert de pollen et donc de fonction de pollinisation avec l’intensification. Cependant, qu’il

s’agisse de la taille corporelle ou de la pilosité, les données sont manquantes pour les plantes

sauvages rencontrées en prairie et qui couvrent une diversité de morphologies florales

potentiellement bien plus importante.

par les pollinisateurs comme mesures de la dimension qualitative des interactions

plantes-pollinisateurs. En effet, le terme de qualité peut aussi se référer à la qualité du pollen transmis.

Outre le transport et le dépôt de pollens hétérospécifiques qui peut inhiber chimiquement ou

physiquement la fertilisation ou de pollens conspécifiques auto-incompatibles (Wilcock and

Neiland, 2002), la qualité du pollen transmis implique la prise en compte du flux de gènes

(Schleuning et al., 2015). Une grande partie du pollen qu’un pollinisateur accumule sur son corps

lors d’une interaction sera déposée sur les quelques fleurs suivantes avec lesquelles il entrera en

interaction bien que la majorité des informations disponibles le soit pour les abeilles et en

particulier les bourdons (Cane and Love, 2018). De plus, il est fréquent que le pollinisateur dépose

ce pollen sur des fleurs faiblement distantes de celle sur laquelle il aura récolté le pollen (Devaux

et al., 2014). Ainsi, en plus de la quantité de pollen transporté ou déposé par interaction, il est

nécessaire de prendre en compte le flux de gènes pour mieux appréhender la dimension

qualitative des interactions plantes-pollinisateurs.