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L’implantation en France des leaders européens du transport et de la logistique

Chapitre 2 : Caractérisation des produits de messagerie

2. L’implantation en France des leaders européens du transport et de la logistique

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2. L’implantation en France des leaders européens du transport et de la

logistique via l’acquisition d’entreprises de messagerie traditionnelle

L’arrivée de DB Schenker sur le marché français du transport et de la logistique s’est faite par l’acquisition d’une entreprise de messagerie, disposant d’un réseau intégré de terminaux de transports couvrant l’ensemble du territoire national. La même stratégie sera suivie par Dachser et Kuehne + Nagel, respectivement troisième et quatrième groupes de transport et logistiques allemands derrière les filiales logistiques de la Deutsche Post et de la Deutsche Bahn. Les divisions routières françaises des deux groupes occupent en 2015 les quatrième et sixième places du classement français de la messagerie traditionnelle en termes de chiffre d’affaires, avec 675 M€ de chiffre d’affaires pour Dachser France et 260 M€ pour Kuehne & Nagel Road.

2.1. L’intégration du réseau français de messagerie de Graveleau au sein du réseau de transport routier européen de Dachser

Dachser a été créé en 1930 dans le sud de la Bavière, à l’origine pour transporter du fromage bavarois vers la Rhénanie. Après guerre, l’entreprise couvre l’ensemble du territoire allemand et entame progressivement la diversification de ses activités : fret aérien en 1951, transport combiné en 1969, prestation logistique en 198256.

En 1999, Dachser entre sur le marché français de la messagerie en acquérant 70% du capital de Graveleau. Le groupe de messagerie vendéen créé en 1966 couvre alors l’ensemble du territoire français et occupe la 11ème place du marché français de la messagerie en termes de chiffre d’affaires (1 400 MF de chiffre d’affaires en 1999 – OT 2068) – la même place qu’il occupait cinq ans plus tôt (Beyer, 1999, page 238).

A l’origine, l’absorption de Graveleau par Dachser est présentée comme une fusion des deux groupes géographiquement complémentaires – la présence de l’entreprise allemande à l’international demeurant limitée. Graveleau demeure indépendant de son « partenaire » et actionnaire majoritaire, la vente assurant « la continuité » de l’entreprise :

« Nous travaillons avec Dachser depuis trois ans. Nous avons le même coeur de métier (messagerie rapide). (…) Nos deux groupes ont la même culture familiale. Un élément

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très important pour moi car il marque beaucoup le management, l'esprit de l'entreprise. » Joël Graveleau, PDG de l’entreprise vendéenne et actionnaire minoritaire lors de la reprise par Dachser (OT 2030)

« Notre philosophie n'est pas d'acheter des entreprises, mais de travailler avec des partenaires. C'est sur cette base que nous étions en contact avec Joël Graveleau et c'est lui qui nous a proposé d'entrer dans le capital » Représentant de Dachser lors de la reprise (OT 2030).

Cet état de fait ne se poursuivra pas. L’acquisition de Graveleau n’est que la première étape du développement international de Dachser, qui acquiert l’Autrichien Euronet en 2003, le scandinave Haugstedt en 2005, le britannique JA Leach Transport Limited en 2010, puis les espagnols Azkar SA - soit la plupart de ses partenaires pour son activité de messagerie européenne. En 2009, Graveleau prend le nom de Dachser après que l’entreprise allemande a acquis l’ensemble des parts de son « partenaire » français.

Entre temps, l’activité du messager vendéen a considérablement progressé, notamment durant les premières années de son adossement à Dachser. En 2006, le chiffre d’affaire en messagerie de Graveleau atteint 425 millions d’euros, 3,7 fois plus qu’en 2000, avant de stagner et de chuter en 2009 sous l’effet de la crise financière.

L’intégration du réseau européen de Dachser à partir de 2009 répond à un redéploiement stratégique vers la messagerie européenne. Ce redéploiement se traduit dés 2010 par l’investissement dans deux nouveaux « EuroHubs », à Bratislava (Slovaquie) et Clermont-Ferrand, en complément du hub existant de Sarrebruck (ouvert en 2002). Une localisation en Auvergne qui n’aurait de sens que dans le cadre européen, et en aucun cas dans le cadre d’une activité de messagerie domestique.

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2.2. L’intégration du réseau français de messagerie d’Alloin au sein du réseau de transport routier européen de Kuehne + Nagel

Kuehne + Nagel fut créé à Brème (Allemagne) en 1890 par August Kühne et Friedrich Nagel, à l’origine en tant que commissionnaire de transport pour le transport de coton. L’entreprise diversifie rapidement ses activités au groupage ferroviaire et maritime, initie son expansion internationale au cœur des années 1950, et transfère son siège social en suisse en 1975. Kuehne + Nagel adopte une stratégie de croissance externe à l’échelle européenne après la cession des parts de la famille Kuehne au conglomérat britannique Lonrho Plc en 198157, puis globale après la réunification allemande et suite à la mise sur les marchés boursiers du groupe en 199258.

En 2008, Kuehne + Nagel entre sur le marché français de la messagerie traditionnelle en se portant acquéreur du groupe Alloin. Jusqu’à la fin des années 1990, Alloin demeurait une entreprise régionale de messagerie dont le réseau propre ne couvrait qu’un tiers de l’hexagone (à l’est d’une ligne de Valence à Amiens), avant de développer au début des années 2000 un réseau d’agences à l’échelle nationale via à la fois une stratégie de croissance externe par le rachat de leurs correspondants régionaux (Laussuy, Cassegrain, Grimal en 2000 et 2001 – OT 2086, 2100, 2115) et de croissance interne par l’installation de nouvelles agences (OT 2135, 2159 ; LM 165). D’un réseau intégré de 18 agences en 1997 (Beyer, 1999), le réseau d’Alloin passe à 40 agences en 2002 (LM 165), puis 53 agences en 2008 lors du rachat par Kuehne + Nagel. Cette même année, Alloin réalise un chiffre d’affaires en messagerie de 251 millions d’euros, trois fois plus que dix ans plus tôt (OT 2068, 2527).

A l’image de l’acquisition de Graveleau par Dachser, l’acquisition d’Alloin par Kuehne + Nagel entre dans une logique de complémentarité européenne des réseaux de transport routier. Comme Graveleau lors de son rachat par Dachser, Alloin demeure autonome dans sa stratégie commerciale et sur le plan opérationnel après être devenu Kuehne + Nagel Road France, malgré l’alignement de ses structures administratives et comptables sur celles de sa maison mère et la connexion de son réseau intérieur au réseau routier européen du groupe suisse (OT 2550, 2570). Kuehne & Nagel Road dispose en France d’un réseau intégré de 57 agences en 2016 (BDD).

57 Absorption de l’italien Domenichelli, du néerlandais Van Vliet, du britannique Hollis ou de l’espagnol Tres Transportes

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Relativement à ses concurrents européens et allemands (Dachser, Rhenus, etc.), Kuehne + Nagel est arrivé tardivement sur le marché de la messagerie et du transport routier en général, après avoir concentré son développement sur l’activité de prestation logistique. Le développement de son activité routière s’inscrit donc dans le prolongement de son offre de service, dans le but assumé de pouvoir proposer des prestations de transport et logistique intégrées aux chargeurs à l’échelle européenne.

2.3. La constitution du réseau de messagerie de Ziegler à partir des réseaux de Rochais Bonnet, Drouin et Grimaud

Ziegler a été fondé en 1908 à Bruxelles par Arthur Ziegler, à l’origine pour une activité de groupage ferroviaire, avant de diversifier ses activités vers le transport maritime et aérien dans l’entre-deux-guerres, puis la logistique dans les années 1980. Une trajectoire historique comparable à celles de Schenker, Dachser et Kuehne + Nagel.

Cependant, et inversement à ces trois groupes, Ziegler a privilégié pour son arrivée sur le marché français de la messagerie à la fin des années 1990 non pas le rachat d’un réseau intégré couvrant l’ensemble du territoire national, mais un développement en propre associé au rachat de plusieurs entreprises régionales de transport, avec notamment les nantais Drouin et vendéens Rochais Bonnet – entre autres Nuttin, Moiroud, Rivoire, Satra, Transco, Transchannel, Trans Service, Chatel Transport, etc. (OT 2134, 2086, 2097). En 1999, les différentes filiales du groupe Ziegler représentent un chiffre d’affaires de 1,5 MdF sur le marché français de la messagerie, soit les deux tiers du chiffre d’affaires du groupe en France – plus que Graveleau, alors en cours de reprise par Dachser (1,44 MdF), ou que Joyau et Alloin cumulé (respectivement 896 et 576 MF) (OT 2068).

En 2001, Ziegler complète son réseau en reprenant Grimaud Logistique, alors placée en redressement judiciaire. L’histoire de ce messager vendéen est comparable à ceux de ses voisins Joyau et Graveleau, tout comme son poids sur le marché français de la messagerie à la fin des années 1990 (Beyer, 1999). Or, Ziegler est déjà implanté dans l’ouest de la France via les agences de Rochais-Bonnet (basé aux Herbiers) et Drouin (basé à Nantes). Ziegler dispose alors d’une pléthore d’agences dans l’ouest de la France, mais est absent d’une bonne partie du sud de la France (OT 2257). Faute de complémentarité, les activités de Grimaud et des autres

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filiales de Ziegler ne seront pas intégrées, les deux réseaux concurrents faisant chacun face à des coûts fixes élevés relativement à leurs chiffres d’affaires. Grimaud est liquidé trois ans après son rachat par Ziegler, la maison mère ayant auparavant pris soin d’en extraire le matériel roulant et le parc immobilier (OT 2005).

A partir de 2004, le réseau de messagerie de Ziegler se restructure, à partir du réseau originel de Ziegler et des actifs issus de la reprise de Giraud. Les différentes filiales prennent progressivement le nom de la maison mère, les agences doublons fusionnent, de nouvelles sont installées pour compléter le réseau de messagerie national (OT 2257, 2412, 2436). Le groupe diversifie ses activités – notamment dans la commission de transport à l’international.

En 2015, l’activité de messagerie ne représente plus que 47% du chiffre d’affaires global de Ziegler en France, soit 173 millions d’Euros. Une activité de messagerie plus de deux fois inférieure au cumul de celles des filiales de Ziegler et de Grimaud en 2001 (OT 2116, 2856).

Les arrivées sur le marché français de la messagerie traditionnelle de Dachser, Kuehne + Nagel et Ziegler ont été motivées par une même recherche d’économie d’envergure.

L’activité de messagerie traditionnelle représente 50% du chiffre d’affaires en France de Kuehne + Nagel et 80% de celui de Dachser en 2015, contre respectivement 75% et 100% en 2010 (OT). Dans le même temps, les chiffres d’affaires des deux groupes dans l’hexagone ont doublé (de 448 à 844 M€ pour Dachser, de 217 à 528 M€ pour Kuehne + Nagel). Si les numéros trois et quatre allemands du transport et de la logistique ont racheté les entreprises françaises de messagerie traditionnelle Graveleau et Alloin, c’est moins pour se placer sur le marché français de la messagerie traditionnelle que pour intégrer leurs réseaux d’agences à des réseaux de transport terrestre de marchandises à l’échelle européenne, dans une logique de complémentarité à la fois territoriale (complémentarité du réseau français avec ceux des pays voisins) et industrielle (complémentarité de l’activité de messagerie avec l’ensemble du spectre du transport et de la logistique).

L’activité de messagerie est la seule activité de transport routier de marchandises nécessitant intrinsèquement des ressources immobilières. Nul besoin d’immobilier logistique pour des activités de transport routier de lot complet ou partiel, encore moins pour la commission de transport ou l’affrètement. L’activité de logistique contractuelle peut, elle, être développée par à-coups, les locations d’entrepôts suivant les remplissages des carnets de commande. Pour ce qui est du transport de marchandises de moins de trois tonnes, il faut nécessairement disposer

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d’un réseau de terminaux de transports, et pour être à même de proposer une prestation globale et intégrée de transport et logistique à l’échelle européenne à ses chargeurs, il faut nécessairement disposer d’un réseau de terminaux de transport routier en France.

C’est en ce sens que les arrivées en France de Dachser, Kuehne + Nagel, mais aussi de DB Schenker comme nous l’avons constaté précédemment et de DHL comme nous le constaterons dans le prochain chapitre, soit les quatre principaux groupes allemands de transport et logistique (Fraunhofer, 2014), ont toutes débuté par l’acquisition d’entreprises de messagerie traditionnelle, disposant toutes d’un réseau intégré d’agences couvrant l’ensemble de l’Hexagone. Ces derniers venaient juste de finir de compléter leur réseau domestique pour être à même de proposer des produits de messagerie rapide à l’échelle nationale, et n’avaient pas entamé leur diversification dans la logistique, quand les dynamiques de marché étaient tirées par les prestations globales à l’échelle européenne. La revente à des groupes allemands, intégrés à l’échelle nationale, présents à l’international et proposant des activités diversifiées depuis plus d’une décennie, semblait être la seule issue. Elle peut aussi être motivée par l’absence de succession familiale pour la reprise des entreprises. La disparition de Mory Ducros leur a donné raison, les survies de Heppner et Mazet nuançant cet état de fait.

3. Les stratégies différenciées des derniers messagers : diversification