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PARTIE 1 REVUE DE LA LITTERATURE

2. Les retentissements du rôle de proche-aidant

2.1. L’impact négatif du rôle de proche-aidant

2.1.1. La notion de fardeau, ses alternatives et ses implications

L'aide apportée par les proches-aidants aux personnes souffrant de maladies neurodégénératives est souvent une source de stress. Le terme de « burden » ou « fardeau » est employé dans la littérature pour caractériser la charge qui pèse sur les personnes aidantes et qui compromet leur qualité de vie et leur santé (Bocquet & Andrieu, 1999). Plus précisément, le fardeau est défini comme l’ensemble des conséquences physiques, psychologiques, émotionnelles, sociales et financières supportées par les proches-aidants (Zarit, 2002). La notion de fardeau renvoie à une conception négative de l’impact de la relation d’aide. Bien que les conséquences négatives soient vécues par les proches-aidants, leur ressenti est souvent nuancé par les effets positifs procurés par l’aide. Ces dix dernières années, les études centrées sur le vécu des proches-aidants n’ont cessé de montrer cette ambivalence entre la charge ressentie et les aspects positifs de l’accompagnement d’un proche (Abdollahpour, Nedjat, & Salimi, 2018; Carbonneau, Caron, & Desrosiers, 2010; Cheng, Mak, Lau, Ng, & Lam, 2016; Lloyd, Patterson, & Muers, 2016; Semiatin & O’Connor, 2012; Yu, Cheng, & Wang, 2018). Nous n’utiliserons pas ici le terme de fardeau, mais nous discuterons par la suite de l’impact et des aspects positifs ou négatifs de l’accompagnement d’une personne malade.

Classiquement, l’impact négatif de la situation d’aide est évalué avec l’échelle de Zarit (Zarit, Reever, & Bach-Peterson, 1980). La version francophone de cet outil comporte vingt-deux items ou douze dans sa version abrégée (Hébert, Bravo, & Préville, 2000). Ils explorent les conséquences de l’aide au travers de plusieurs aspects : physique, psychologique, relationnelle, sociale et financière. Cette échelle apparait intéressante pour donner un aperçu global de l’impact négatif de la situation d’aide. Cependant, elle ne prend pas en considération les dimensions positives de la relation d’aide et ne permet pas de rendre compte des aspects évolutifs et dynamiques de la situation.

Une autre échelle permet d’apprécier l’impact subjectif de la situation des proches-aidants, il s’agit de la Caregiver Reaction Assessment (CRA) (Given et al., 1992). La version française se compose de 24 items auxquels les répondants évaluent l’impact de leur rôle sur une échelle de type Likert en cinq points : de 1 (fortement en désaccord) à 5 (fortement d'accord) (Pascal Antoine, Quandalle, & Christophe, 2010). Cet outil explore cinq dimensions : la satisfaction liée au rôle du proche-aidant, l’impact sur l’emploi du temps, le soutien familial, l’impact sur la santé et l’impact sur les finances. La particularité de la CRA est de prendre en compte les dimensions positives et négatives de l’expérience du proche-aidant face à la maladie.

Les proches-aidants doivent relever de nombreux défis. Certains entrainent des difficultés objectives et concernent notamment la gestion de tâches concrètes liées aux changements qu’implique la maladie. D’autres amènent des difficultés subjectives et renvoient au vécu émotionnel lié à ce nouveau rôle (Andrieu et al., 2003). D’après l’étude de l’Espace national de réflexion éthique et maladies neurodégénératives (2015), les proches-aidants consacrent en moyenne 17 heures par semaine à

Exemples d’items proposés dans l’échelle Zarit À quelle fréquence vous arrive-t-il de …

1. sentir que votre parent vous demande plus d’aide qu’il n’en a besoin ? 4. vous sentir embarrassé(e) par les comportements de votre parent ?

0 1 2 3 4

Jamais Rarement Quelquefois Assez souvent Presque toujours

Exemples d’items proposés dans la CRA

5. Depuis que je m'occupe d’elle/de lui, il me semble que je suis toujours fatigué(e). 23. Je prends plaisir à m'occuper d’elle/de lui.

1 2 3 4 5

Fortement en désaccord

En désaccord Neutre D’accord Fortement

l’accompagnement de leur proche. Pendant ce temps, le proche-aidant répond aux besoins physiques et affectifs de la personne malade, aide aux tâches ménagères, gère les démarches administratives, coordonne les services des professionnels, soutient la prise des traitements et tente de limiter les troubles du comportement. L’ensemble de ces activités implique une grande fatigue allant parfois jusqu’à l’épuisement (Day & Anderson, 2011).

Centrés sur le bien-être et les besoins de leurs proches, les proches-aidants ont parfois tendance à s’oublier et à mettre de côté d’autres activités importantes pour eux. Ils multiplient les activités de stimulation dans le but de préserver au maximum les capacités de leurs proches (Kimura et al., 2015). Certains proches-aidants renoncent à tout ou partie de leurs activités extérieures ou les partagent avec leur proche afin de ne pas laisser la personne malade seule au domicile (Hawkins, McAiney, Denton, & Ploeg, 2013). Les moments partagés en société avec le proche malade ont tendance à se limiter dès lors qu’ils procurent un sentiment de honte nourri par l’apparition des troubles du comportement (Secall & Thomas, 2005). Ces stratégies favorisent l’isolement social et le sentiment de perdre le contrôle sur sa vie (Antoine et al., 2010).

Plus la charge de l’accompagnement est perçue comme lourde par les proches-aidants, plus ils sont susceptibles de développer des symptômes anxiodépressifs ou des maladies augmentant leur risque de mortalité (Goren, Montgomery, Kahle-Wrobleski, Nakamura, & Ueda, 2016; Schulz & Beach, 1999). De plus, cohabiter avec la personne malade dans le même logement augmente le niveau de charge ressentie (Brodaty & Donkin, 2009). Concernant les symptômes de la personne malade, plus les troubles psycho-comportementaux sont présents, notamment l’agitation et les troubles de l’humeur, plus le niveau de stress perçu par le proche-aidant est élevé (Connors et al., 2020; Isik, Soysal, Solmi, & Veronese, 2019). A noter également que l’impact négatif du rôle d’aidant retentit aussi sur sa qualité de vie (Välimäki et al., 2016). Ainsi, l’épuisement du proche-aidant est associé à une moins bonne qualité de vie de la personne malade et à une institutionnalisation plus précoce (Gaugler et al., 2005; Srivastava, Tripathi, Tiwari, Singh, & Tripathi, 2016; Yaffe et al., 2002). En définitive, selon une estimation mondiale, 80% des proches-aidants vivent une situation de détresse (Alzheimer’s association, 2006).

Au niveau familial, tous les membres de la famille ne s’engagent pas de la même façon dans l’accompagnement de la personne malade (Samitca, 2004). Le système familial est bouleversé avec l’apparition de la maladie et l’adoption de nouveaux rôles pour chaque membre de la famille. Ces différents changements peuvent favoriser l’émergence d’une crise et faire ressortir les fragilités familiales d’avant la maladie (Pitaud & Valarcher, 2007). La nécessité de prendre des décisions

concernant l’accompagnement, les soins et les mesure de protection de la personne malade peut accroître les affinités ou les tensions au sein du groupe familial.

Sur le plan financier, aider un proche en perte d’autonomie représente un coût considérable. Bien que relevant de difficultés objectives de la situation d’aide, l’impact financier a également des répercussions sur le vécu subjectif du proche-aidant en étant une source de préoccupations supplémentaires (Stillmunkés et al., 2015).

2.1.2. Les différences de retentissement

Plusieurs études ont mis en évidence les différences du retentissement de l’« aidance »17 en fonction de certaines caractéristiques de la dyade : sexe, nature du lien ou âge de survenue de la maladie. La première différence oppose les femmes et les hommes. Les femmes proches-aidantes sont plus susceptibles de ressentir des effets négatifs sur leur santé physique et mentale (Pinquart & Sörensen, 2006). Elles rapportent davantage de sentiment de détresse (Baker & Robertson, 2008). Les troubles du comportement sont d’autant plus difficiles à gérer pour elles (Bédard et al., 2005). Elles ont également plus de difficultés à déléguer certaines tâches car elles se sentent responsables de l’accompagnement de leur proche et estiment plus facilement être les seules à pouvoir apporter de l’aide (Brown & Chen, 2008). Pour faire face, les femmes recherchent davantage de soutien social et utilisent plus de stratégies d’évitement que les hommes (Ashley & Kleinpeter, 2002). A l’opposé, les hommes ressentent une charge moins lourde même lorsque le déclin cognitif de leur proche est avancé (Pöysti et al., 2012). Cependant, lorsque les exigences leur paraissent trop élevées, ils ont davantage recours à l’utilisation de services de soin et d’institutions (Pinquart & Sörensen, 2006). Ces disparités ne font toutefois pas l’unanimité et certaines études ne retrouvent pas de différences significatives entre les hommes et les femmes (Baker, Robertson, & Connelly, 2010).

Une deuxième différence s’applique entre les conjoints-aidants et les enfants ou beaux-enfants-aidants. Certains auteurs rapportent un sentiment de charge plus élevé chez les conjoints que chez les enfants (Hong & Kim, 2008). Les conjoints-aidants sont majoritairement plus âgés que les enfants et sont plus enclins à avoir ou à développer des pathologies somatiques qui les fragilisent (Pinquart & Sörensen, 2011). De plus, les conjoints vivent plus communément avec la personne malade, apportent plus d’aide et bénéficient de moins de temps de répit (Pinquart & Sörensen, 2011). Cependant, les enfants-aidants rapportent plus de sentiment de culpabilité du fait de ne pas être dans le même domicile que leur proche (Conde-Sala, Garre-Olmo, Turró-Garriga, Vilalta-Franch, & López-Pousa, 2010). Cet éloignement permet des temps de répit mais alimente les inquiétudes quant à la sécurité et au bien-être de la personne malade. Concernant l’activité professionnelle, les conjoints sont moins impactés dans cette dimension étant donné qu’ils sont plus facilement à la retraite de par leur âge. A contrario, les enfants-aidants travaillent davantage et l’aide apportée à leurs parents se répercute sur leurs activités. Ils sont sujets à l’absentéisme et se voient lésés en termes d’opportunité de carrière (Schulz & Martire, 2004). Ils rapportent également de moins bonnes performances au travail dans le

contexte d’aidance (Sanders, Ott, Kelber, & Noonan, 2008) qui ont parfois des répercussions financières. Finalement, les enfants-aidants sont également parents à leur tour et doivent gérer leur propre famille et trouver du temps pour elle(Coudin, 2005).

Finalement, certains travaux ont établi que le contexte particulier où le patient et son proche-aidant sont jeunes (moins de 65 ans) est associé à un impact négatif élevé de la situation d’aide (Schneider, Murray, Banerjee, & Mann, 1999). Les proches-aidants de personnes « malades jeunes » rapportent davantage de sentiment de solitude et de ressentiments à l’égard de leur rôle (Fitting, Rabins, Lucas, & Eastham, 1986). Ces phénomènes pourraient être expliqués notamment par le fait que la charge ressentie est corrélée à l’anxiété, à l’insomnie et aux troubles du comportement de la personne malade qui sont plus importants chez les sujets jeunes (Arai, Matsumoto, Ikeda, & Arai, 2007). Les différentes pertes dues à la maladie (repères familiaux, rôles conjugaux, confiance en l’avenir, etc…) sont perçues plus importantes chez les aidants de personnes jeunes, ce qui pourrait contribuer à de plus grandes difficultés psychologiques.