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PARTIE 3 ETUDES EMPIRIQUES

4. Discussion

Le but de cette étude était d’obtenir un retour d’expérience qualitatif à propos d’un programme d’accompagnement et de soutien spécifique pour les proches-aidants de personnes jeunes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Les objectifs de ce programme étaient de favoriser l’acceptation par le proche-aidant des changements conséquents de la maladie, une transition de rôle réussie et la communication au sein du couple. Pour ce faire, trois approches théoriques différentes sont combinées : la psychothérapie d’acceptation, la transition de rôle et la thérapie de couple. Comme conseillé par la littérature (Brodaty et al., 2003), chaque accompagnement est personnalisé en fonction des besoins décrits par le proche-aidant lors d’une première rencontre pour une plus grande efficacité de l’intervention. Cinq grands thèmes sont mis en évidence ; toutefois, à la lecture de l’ensemble du

corpus, chaque participant est plus ou moins sensible à une combinaison singulière de différents thèmes. Cela renforce la nécessité de s’appuyer sur les besoins et les obstacles qui sont pertinents pour chacun. Ces résultats appuient également l’argument en faveur de programmes aux approches multiples qui répondent aux besoins des proches-aidants dans différents domaines, notamment pour développer des compétences pour gérer les besoins de la personne atteinte de démence et améliorer la santé mentale des proches-aidants (Gitlin, Hodgson, Piersol, Hess, & Hauck, 2014).

Dans le premier thème « s’ouvrir à ses propres besoins et agir », les proches-aidants expriment leur capacité à avoir su s’arrêter d’éviter ou de lutter pendant un temps. Par conséquent, ils parviennent à observer et à reconnaître leurs difficultés. En parler devient alors possible, voire nécessaire. Partager un vécu personnel, qui plus est au sujet d’une situation douloureuse, n’est néanmoins pas toujours confortable et peut amener des émotions et des pensées désagréables. L’enjeu est alors de permettre aux proches-aidants d’appréhender plus efficacement ces pensées et émotions de sorte qu’elles aient moins d’impact sur ce qui compte dans leur vie (Hayes, Follette, et al., 2004).

Dans le deuxième thème « oser parler de la maladie », certains proches-aidants expriment les bienfaits de pouvoir parler à un tiers de leur situation nouvelle et bouleversante. Cette manifestation d’un besoin de partager son vécu est corroborée par le rapport de Dunbrack (2005) qui souligne les besoins des proches-aidants de parler et d’être soutenus par des personnes qui ne font pas partie de la famille ou du corps médical. De plus, comme nous avons pu l’entrevoir au travers des citations qui illustrent nos résultats, les proches-aidants manifestent également le besoin d’être entendus et apprécient que l’on accorde de l’attention à leurs propos, ce qui n’est pas toujours le cas lorsque l’accompagnement est centré sur leur proche atteint de démence (Ducharme et al., 2011).

Un troisième résultat « accepter d’autres façons d’aider » souligne l’importance de découvrir et de mettre en pratique des nouvelles stratégies pour aider son proche. Les proches-aidants se sentent alors mieux armés. Or, une meilleure confiance en leurs capacités à faire face aux situations, aussi bien émotionnelles qu’environnementales, peut contribuer à diminuer les manifestations dépressives en prévenant le sentiment de dévalorisation (Romero-Moreno, Márquez-González, Mausbach, & Losada, 2012). Une des stratégies mise en évidence est de faire appel à l’aide. La littérature précise que la détresse conduit certains proches-aidants à se retirer socialement (Ducharme et al., 2013; Lockeridge & Simpson, 2013). Bien qu’exprimant un besoin de soutien, les proches-aidants de personnes jeunes se montrent réticents quant à la mise en place d'aide, qu’elle soit familiale ou professionnelle, destinée

au proche (ex : aide à la toilette) ou au proche-aidant lui-même (ex : groupe de paroles). Ce refus peut

lien avec leur entourage ou des professionnels, le programme d’accompagnement permet aux proches-aidants de rompre l’isolement (Wawrziczny et al., 2016) et de faire appel aux autres pour diminuer leurs difficultés quotidiennes. Les résultats mettent également en évidence les différentes manières de s’approprier les stratégies d’acceptation. Ces dernières sont associées à un sentiment de fardeau et à un niveau de dépression moins élevés (Papastavrou et al., 2011). A contrario, les stratégies d’évitement expérientiel sont associées à un plus haut niveau de détresse psychologique dans le contexte de l’aidance (Spira et al., 2007). Dans notre étude, les participants font part de leur évolution concernant leur tendance à vouloir éviter ou contrôler les comportements de leur proche, les pensées sur la maladie, leurs émotions ou leurs difficultés à accepter leur situation, leurs besoins et leurs faiblesses. Ils prennent conscience de tout ce qu’ils ont mis en place jusqu’alors et qui n’a pas permis d’alléger leur souffrance. Fort de ce constat, certains conjoints aidants font le choix de tenter une nouvelle stratégie : l’acceptation. En faisant preuve de flexibilité psychologique (Kashdan & Rottenberg, 2010), ils choisissent de s’adapter à leur situation en élargissant leur répertoire comportemental et en s’engageant dans des comportements qui sont en accord avec leurs valeurs fondamentales.

Les derniers résultats gravitent autour de la relation de couple et de la communication au sein de celle-ci. Pour retrouver le sentiment de sens concernant leur couple et le partenaire qu’ils ont choisi, les conjoints aidants vont cheminer vers l’acceptation. Trois aspects de l’acceptation sont à prendre en compte dans le contexte de l’aidance : l’acceptation du diagnostic de démence, des limites qu’entrainent la démence pour le proche-aidant et pour son proche, des réponses cognitives et émotionnelles qui se présentent quand le proche-aidant remplit son rôle (McCurry, 2006). Nos résultats soulignent l’intérêt de ces trois aspects, notamment par la compréhension du diagnostic. Les proches-aidants parviennent ainsi à avoir des attentes plus réalistes concernant le comportement de leur proche. Ce processus prend du temps et nécessite un ajustement constant au fil des évènements qui se présentent. Une plus grande flexibilité psychologique permet de s’adapter à ces nouvelles situations. Pour être plus flexibles, certains proches-aidants mettent en place de nouvelles méthodes de communication facilitées par le non-évitement et l’entrainement à observer. Or, une bonne communication entre le conjoint aidant et son partenaire est un facilitateur pour faire appel à des aides extérieures (Macleod, Tatangelo, McCabe, & You, 2017). De plus, des stratégies de communication efficaces permettent au proche-aidant de mieux comprendre l’inconfort ou la douleur de leur proche et de répondre adéquatement à ces difficultés (Macleod et al., 2017). Finalement, aider et aimer ne sont plus rapportés comme incompatibles.

Quelques limites à notre étude doivent être pointées. Il s'agit notamment pour les proches-aidants de la complexité de concepts tels que l'évitement expérientiel ou la nature contre-intuitive de l'acceptation. Ce phénomène est bien connu dans les programmes basés sur l'acceptation (Losada et al., 2015). En effet, cette approche nous invite à parler de situations, de pensées et d'émotions que le proche s'efforce d'éviter. L'approche d'acceptation implique de prendre le risque d'entrer dans une démarche qui conduit à être en contact avec ce qui fait mal dans la situation actuelle. Parfois, le proche-aidant n’est pas prêt à prendre le risque. La nature évolutive de la maladie et l'épuisement ressenti peuvent conduire le proche-aidant à se sentir privé des ressources cognitives et affectives pour adhérer à cette approche (Hayes & Strosahl, 2004). Il est important d'offrir ce type de programme aux proches-aidants ayant les niveaux de ressources internes nécessaires, c'est-à-dire qui ne sont pas en phase de dépression majeure. Une autre limite concerne la connaissance et la prise en compte de la relation de couple avant l'apparition de la maladie. Or, la littérature nous apprend qu’une relation conjugale satisfaisante avant l’apparition des troubles est associée à un moindre sentiment d'être surchargé et une perception plus positive des défis à relever au cours de la maladie (Harris et al., 2011; Lea Steadman et al., 2007). Par conséquent, lors des prochaines études avec ce matériel, il serait intéressant d’explorer la qualité de la relation de couple en amont de la situation d’aide. La durée de l’intervention et la fréquence des séances est également à questionner. En effet, d’autres auteurs ont montré que les interventions plus longues, incluant davantage d’heures d’intervention auprès des proches-aidants, avaient tendance à favoriser davantage la réduction de la symptomatologie, particulièrement en matière de manifestations dépressives. Un contact plus soutenu avec un professionnel favoriserait la diminution des symptômes (Sörensen, Pinquart, & Duberstein, 2002). La fréquence de l’intervention chaque semaine a permis de créer une alliance thérapeutique considérée comme un atout par plusieurs proches-aidants, toutefois le temps important investi n’est pas toujours conciliable avec la relation d’aide. De plus, bien que les approches multiples soient favorisées, il est difficile d’observer quels aspects du programme permettent d’améliorer la situation actuelle du proche-aidant. Il pourrait être alors intéressant de proposer des études centrées sur chaque approche distinctement pour vérifier les apports de chacune d’entre elles. Finalement, de par sa méthodologie qualitative, cette étude ne peut faire office de généralisation à l’ensemble de la population des proches-aidants. En effet, il s’agit ici d’une démarche plutôt exploratoire, par conséquent un essai clinique devrait être envisagé.