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PARTIE 1 REVUE DE LA LITTERATURE

1. Fonctionnement cognitif et vieillissement

1.3. Des troubles neurocognitifs aux maladies neurodégénératives

De nombreux termes permettent de nommer ou qualifier les troubles neurocognitifs. Le choix du lexique est parfois périlleux pour allier précision, justesse et bienveillance. Les paragraphes suivants définiront les termes utilisés communément et leurs particularités.

a. Les troubles neurocognitifs

Depuis le début du manuscrit, nous employons les termes de troubles neurocognitifs. En réalité, cette appellation générale est relativement récente puisqu’elle émerge dans le DSM-V (2015). Cet intitulé remplace le titre de la partie « Delirium, démence, trouble amnésique et autres troubles cognitifs » du DSM-IV (1996). Dans cette nouvelle nomenclature, les troubles neurocognitifs se distinguent en deux catégories : légers et majeurs. Le trouble neurocognitif léger est nouveau et correspond aux MCI décrits et discutés plus précisément dans d’autres publications ( par exemple : Jessen et al., 2014; Petersen, 2001; Yates et al., 2017). Le trouble neurocognitif majeur s’approche davantage de la notion de démence et sollicite la précision de la présence ou non de troubles du comportement. Les deux catégories nécessitent une spécification de la cause, due à :

- la maladie d’Alzheimer - une maladie à prion

- la dégénérescence lobaire

fronto-temporale - la maladie de Parkinson

- la maladie avec corps de Lewy - la maladie de Huntington

- une démence vasculaire - une autre condition médicale

- une lésion cérébrale traumatique - de multiples étiologies

- une substance ou un médicament - non spécifié.

- une infection au VIH

Dans la suite de nos écrits, nous utiliserons des termes plus spécifiques permettant de mieux identifier les pathologies et les retentissements qui leurs correspondent.

b. La démence

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (2019), la démence est « un terme générique utilisé pour évoquer différents syndromes principalement évolutifs qui affectent la mémoire, d’autres

fonctions cognitives et le comportement social et qui mènent à une dégradation importante de l’aptitude d’une personne à réaliser des activités quotidiennes. »

Il existe plusieurs manières de classifier les démences (Besozzi, 2014; Peeters, 2009). On peut, par exemple, distinguer les démences en fonction de leur étiologie :

• Les démences dégénératives correspondent aux pathologies dont la cause est en lien avec la disparition progressive des neurones sans que ce processus ne concorde avec un vieillissement dit normal. La maladie d’Alzheimer est la démence dégénérative la plus connue et la plus répandue (Bakchine & Habert, 2007). Toutefois, on distingue différentes pathologies en fonction de la région cérébrale atteinte. Ainsi les démences dégénératives regroupent principalement : la maladie d'Alzheimer, les Dégénérescences Lobaire Fronto-Temporale (DLFT), la maladie de Parkinson et les syndromes parkinsoniens dont la maladie à corps de Lewy ou encore la maladie de Huntington.

• Les démences non dégénératives vont également regrouper des maladies qui affectent les fonctions cognitives et qui ont un retentissement sur les activités de la vie quotidienne. Néanmoins, ces pathologies ne relèvent pas de la dégénérescence des neurones. Les démences non dégénératives regroupent :

o les démences vasculaires,

o les démences mixtes qui combinent une origine dégénérative et vasculaire, o les démences d’origine mécanique, liée à un traumatisme crânien ou une

tumeur par exemple,

o les démences liées à une infection (ex. : le VIH, maladie de Creutzfeldt-Jacob), o Les démences liées à la consommation de substance notamment le syndrome

de Korsakoff.

Chaque démence s’exprime de façon singulière. Ainsi, les personnes souffrant de démence présenteront chacune un tableau clinique unique, variant en fonction de la localisation des atteintes cérébrales et du rythme de progression. Les comportements induits par la maladie seront également propres à chacun en fonction de son histoire, son environnement et de ses capacités.

Les individus atteints de démence sont communément appelés les déments ; or, ces personnes et leurs proches demandent d’abandonner le mot « dément », car il fait référence à celui qui est privé d’esprit, et préfère être reconnu comme « personne malade » (Billé, 2012).

c. Les maladies neurodégénératives

Aujourd’hui, le terme de démence dégénérative s’efface peu à peu des discours et laisse la place aux « maladies neurodégénératives ». Les deux expressions ne renvoient pas à la même définition. Les maladies neurodégénératives correspondent aux différentes pathologies impliquant la mort des neurones et la destruction du système nerveux (Cartier-Lacave & Sevin, s. d.)4. Il existe plus d’une centaine de maladies concernées par cette définition (Przedborski, Vila, & Jackson-Lewis, 2003). Les plus connues sont : la maladie d’Alzheimer et les troubles apparentés, la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques, la maladie de Huntington et la sclérose latérale amyotrophique.

Face à la difficulté de « bien nommer », des réflexions éthiques ont contribué à faire émerger le terme de « maladies neuro-évolutives » afin de s’approcher au plus près de la réalité vécue par les personnes touchées par ces différentes maladies et diminuer l’impact négatif du mot dégénératif (Clanet, 2019). Toutefois, l’utilisation d’un nouveau terme pourrait obscurcir un lexique déjà complexe et minimiser ou dissimuler l’inéluctable (Antoine, 2016).

Dans les travaux de cette thèse, nous nous focaliserons uniquement sur la maladie d’Alzheimer et les troubles apparentés qui sont définis dans la figure 1 ci-dessous :

Figure 1 - Parcours diagnostic suite à une plainte cognitive

1.3.2. Epidémiologie, facteurs de risque et de protection

Dans le monde, 46,8 millions de personnes sont atteintes de maladies neurodégénératives et ce chiffre devrait atteindre 131,5 millions en 2050 (Prince, 2015).

En France, les projections démographiques annoncent une augmentation de 80% des personnes de plus de 60 ans en 2060 (Blanpain & Chardon, 2010). Comme nous l’avons vu précédemment, l’avancée en âge constitue un facteur de risque de développer une maladie neurodégénérative. Le nombre de cas de démences est évalué approximativement à un million en 2020 et estimé à 1 813 000 cas en 2050 (Mura, Dartigues, & Berr, 2010). L’intérêt des études épidémiologiques réside dans la capacité à mettre en évidence des facteurs de risque et de protection. Au vu de ces chiffres croissants, il semble donc impératif de proposer dès à présent des mesures de prévention permettant d’agir sur ces différents facteurs (Amieva, 2018).

Un facteur de risque est un élément qui augmente la probabilité de développer une maladie. A contrario, un facteur de protection est un élément qui contribue à réduire le risque d’apparition de la maladie. Dans le cas des maladies neurodégénératives, plusieurs facteurs ont été mis en évidence. Certains facteurs sont non modifiables, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’agir sur ces facteurs. Les facteurs non modifiables regroupent (Norris, 2015) :

• L’âge : l’avancée en âge augmente le risque de développer une maladie d’Alzheimer ou un trouble apparenté.

• Le sexe : les femmes sont plus à risque que les hommes notamment après 80 ans (Clément, 2007). Toutefois, cette différence n’est par corroborée par l’ensemble des études. Compte tenu de l’espérance de vie des femmes comparativement aux hommes et de leur prépondérance à développer d’autres facteurs de risques (dépression, diabète, …), les femmes pourraient avoir davantage de risque de développer une maladie d’Alzheimer ou un trouble apparenté sans que cela ne soit directement lié au sexe.

• Les aspects génétiques : plusieurs gènes sont impliqués dans le développement des formes précoces de démence. La présence de l’allèle 4 du gène APOE représente un risque de développer la maladie d’Alzheimer.

• La présence de traumatismes ou d’accidents vasculaires cérébraux : les accidents vasculaires cérébraux (AVC), les troubles cognitifs existants et les traumatismes crâniens entrainent des lésions cérébrales qui augmentent le risque de développer une maladie d’Alzheimer ou un trouble apparenté.

Les principaux facteurs modifiables impliqués dans l’apparition d’une maladie d’Alzheimer ou un trouble apparenté peuvent se regrouper en cinq thèmes (Dubois & Michon, 2015) :

• Les facteurs de risque vasculaire : l’hypertension artérielle, le diabète, la dyslipidémie, le tabagisme et l’obésité favorisent la survenue de la maladie. Une bonne prise en soin de ces facteurs de risque permettrait de retarder l’éventuelle apparition de la maladie. • Les facteurs nutritionnels : l’adoption d’un régime dit « méditerranéen » et une

consommation modérée d’alcool ont un effet protecteur.

• L’activité physique : la pratique d’une activité physique régulière et soutenue limite la survenue d’un déclin cognitif.

• L’éducation et les activités cognitives : certaines études mettent en évidence le lien entre un haut niveau d’éducation et un risque minoré de maladie d’Alzheimer. Il en va de même pour la pratique d’activités et de loisirs permettant une stimulation cognitive. Ces hypothèses vont dans le sens d’une plus grande réserve cognitive permettant d’exprimer la maladie différemment et plus tardivement.

• Le réseau social et les facteurs psychologiques : plusieurs études insistent sur l’importance de lien social comme facteur protecteur de la maladie. A l’opposé, les personnes avec des antécédents de dépression ont plus de risque de développer une maladie d’Alzheimer plus tard.

La figure 2 ci-dessous illustre les facteurs de risque et de protection au cours de la vie.

Figure 2 - Facteurs de risques et de protection de la maladie d’Alzheimer ou des troubles apparentés d’après (Fratiglioni et al., 2004).

En définitive, de nombreux facteurs influent sur l’apparition éventuelle d’une maladie d’Alzheimer ou d’un trouble apparenté. Toutes les études ne trouvent pas les mêmes effets et des travaux supplémentaires semblent nécessaires. Toutefois, plusieurs facteurs modifiables, notamment ceux associés au mode de vie peuvent d’ores et déjà s’inscrire dans les stratégies préventives de la maladie d’Alzheimer et des troubles apparentés. En effet, la prévention primaire consistant à réduire les facteurs de risque et à augmenter la réserve cognitive a les meilleurs effets sur la réduction de la survenue d’une démence tardive (Wu et al., 2016).

1.3.3. Les difficultés du diagnostic

Le diagnostic de démence ne peut être fait qu’à partir d’une combinaison de plusieurs éléments (Antoine & Pasquier, 2013) :

• la plainte subjective ;

• les modifications des capacités ou des comportements rapportées par l’entourage ; • l’anamnèse de la personne ;

• l’examen clinique d’un professionnel ;

• le résultat des neuro-imageries et des évaluations neuropsychologiques ; • le résultat d’analyses biologiques et parfois du liquide céphalo-rachidien.

Le début insidieux de la maladie rend l’accès à un spécialiste, puis à un diagnostic, difficile. En France, le délai moyen entre les premiers symptômes et le diagnostic est de vingt-quatre mois, ce qui est supérieur à la moyenne de la plupart des autres pays européens (Gallez, 2005). Plusieurs pistes contribuent à expliquer ce retard diagnostic qui affecte l’accompagnement de la personne malade et de ses proches. Le tableau suivant compile les hypothèses de retard diagnostic basé sur différents travaux (Dartigues & Helmer, 2009; Dubois, 2009) :

Acteurs du délai diagnostique Hypothèses

La personne malade • Pas de consultation car déni ou anosognosie • Peu d’espoir concernant les traitements

• Peur de la maladie et des représentations associées

• Isolement ne permettant pas l’accompagnement d’un proche dans la démarche

L’entourage • Difficulté à distinguer le vieillissement normal des premiers symptômes

• Famille éloignée qui perçoit peu l’impact des troubles sur la vie quotidienne

• Peu d’espoir concernant les traitements perçus comme peu ou pas efficaces

Les médecins

• Difficulté à distinguer le vieillissement normal des premiers symptômes

• Difficultés à distinguer chez les patients âgés les altérations cognitives dues à la démence de celles générées par des troubles sensoriels ou autres comorbidités

• Manque de temps

• Peur de choquer le malade ou ses proches, ou de l’effet néfaste de l’annonce

• Peur d’une décompensation si médicalisation de la maladie • Démuni par le manque de traitement à proposer

• Priorité à d’autres pathologies Les différents services :

social, sanitaire et judiciaire

• Difficultés de communication entre la sphère sociale, sanitaire et judiciaire

• Difficultés parfois à faire le lien entre le généraliste et le spécialiste

Tableau 2 - Hypothèses du retard de diagnostic de démence

Néanmoins, connaître le diagnostic semble primordial pour les patients et leurs familles : une annonce précoce facilite la planification des soins et apporte, par le biais d’un sentiment de maîtrise, un bénéfice psychologique pour le patient tout en déstigmatisant la maladie (Pepersack, 2008).