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L’identification du rôle des chimiokines dans la chimiorésistance des cellules tumorales

Les résultats obtenus montrent que dans le cancer ovarien, comme dans de nombreux types de cancers, les MSC jouent un rôle pro-tumoral et notamment chimioprotecteur. De nombreux mécanismes peuvent être impliqués dans la chimiorésistance induite par les MSC. Dans notre modèle de cancer ovarien, il semble que les MSC acquièrent leur capacité chimioprotectrice que parce qu’elles ont été « activées » en présence d’un environnement tumoral. En effet, seules les CA-MSC ou les CA-MSC « induites » (par culture dans un milieu simulant un environnement tumoral ovarien) sont capables de protéger les CTO du traitement par carboplatine contrairement aux BM-MSC d’origine, maintenues dans du milieu contrôle. Ces CA-MSC et CA-MSC « induites » sont capables d’induire cette chimiorésistance in vitro via leur milieu conditionné. Ainsi, cette chimiorésistance implique des facteurs sécrétés par ces cellules. Dans la bibliographie, de nombreux facteurs sécrétés par les MSC ont pu être identifiés comme étant potentiellement chimioprotecteurs tels que le SDF-1, l’IL-6, des acides gras polyinsaturés, des acides aminés, etc.

167 Pour identifier les facteurs sécrétés par les MSC et responsables de la chimiorésistance, l’analyse des CA-MSC « induites » générées par notre modèle semble être adéquate. En effet, la mise en place de ce modèle rend possible la comparaison de différentes MSC issues d’un même donneur, permettant ainsi de s’affranchir de la variabilité interindividuelle.

Nous avons pu observer qu’en présence des sécrétions de CTO, la voie NF-κB est activée très rapidement dans les MSC. Cette voie est responsable d’une augmentation de la transcription de nombreuses protéines telles que les chimiokines230,231. L’activation de cette voie pourrait donc être responsable de l’augmentation de la transcription de chimiokines dans les MSC. Toutefois, il serait intéressant de regarder si cette activation de la NF-κB perdure durant les 21 jours de culture des MSC dans un environnement tumoral. En effet, si cette activation de la voie NF-κB est impliquée dans l’augmentation de la transcription des chimiokines, elle devrait se prolonger durant 21 jours minimum, moment où les analyses transcriptomiques ont été réalisées. Ces 21 jours avaient été choisis par rapport au « cycle de culture » classique des MSC. Ainsi, une étude sur des temps plus courts serait intéressante afin de déterminer le temps nécessaire aux MSC, lorsqu’elles sont dans un environnement tumoral ovarien, pour acquérir un phénotype de CA- MSC.

Une analyse transcriptomique comparant des BM-MSC saines avec des CA-MSC « induites » issues du même donneur a permis d’identifier des candidats potentiellement impliqués dans cette chimiorésistance. L’identification d’une surexpression de nombreuses chimiokines, notamment celles se liant aux récepteurs CXCR1 et CXCR2 a orienté la recherche vers les molécules CXCL1, CXCL2 et l’IL-8. De plus, le rôle protecteur de l’IL-8 sur des CTO vis-à- vis des sels de platine et du paclitaxel229 suggérait un rôle potentiel de ces chimiokines dans la chimiorésistance. Toutefois, d’autres facteurs différentiellement transcrits, et qui n’ont pas été explorés ici, pourraient également être impliqués dans la chimiorésistance et constituer des cibles thérapeutiques intéressantes.

En plus de l’augmentation de leur transcription, une augmentation de la sécrétion des chimiokines CXCL1, CXCL2 et IL-8 par les CA-MSC a pu être mise en évidence en comparaison à des BM-MSC.

Le dosage de CXCL1, CXCL2 et IL-8 dans le sérum de patientes au moment du diagnostic a soutenu également le rôle potentiel de ces chimiokines dans la résistance des cancers ovariens à la chimiothérapie à base de carboplatine et de paclitaxel. En particulier, il semble que la somme des concentrations de ces 3 chimiokines soit un marqueur statistiquement associé à la réponse à la chimiothérapie. Une analyse rétrospective de plus grande ampleur et incluant différents centres impliqués dans le traitement de carcinomes ovariens serait nécessaire pour valider ces chimiokines en tant que marqueurs prédictifs de la réponse aux traitements à bases de platine. Une analyse prospective pourrait s’avérer informative. Cependant, compte tenu du temps nécessaire à la réalisation de tous les cycles de chimiothérapie puis de la période minimale de 6 mois (ou plus si on veut étudier une relation entre la concentration en chimiokines et le nombre de mois avant la récidive) nécessaire afin de déterminer la sensibilité des tumeurs au traitement, ainsi que l’échelonnement du recueil des échantillons, les contraintes

168 semblent constituer un frein important pour la validation de l’intérêt de ce dosage en tant que valeur pronostique de réponse aux traitements.

Pour compléter les résultats obtenus avec les concentrations sériques en CXCL1, CXCL2 et IL- 8, il serait intéressant de doser également les autres ligands des récepteurs CXCR1 et CXCR2, que sont CXCL3, CXCL5, CXCL6 et CXCL7. Cette concentration totale en ligands pourrait probablement améliorer la prédiction de la réponse à la chimiothérapie. L’établissement d’une valeur seuil pourrait permettre de définir une concentration totale en ligands à partir de laquelle une thérapie « classique » ne serait pas recommandée. En effet, si le risque de survenue d’une résistance au traitement était trop élevé, la stratégie thérapeutique pourrait être adaptée, avec, pourquoi pas, l’association d’un inhibiteur des récepteurs CXCR1 et CXCR2 au traitement de référence.

Le rôle individuel de chaque chimiokine serait intéressant à déterminer. Nous avons ainsi entrepris d’étudier séparément, via l’utilisation de protéines recombinantes, le rôle de chaque chimiokine. Nous avons ainsi testé l’effet du CXCL1 et de l’IL-8 sur la chimiorésistance des CTO au traitement par carboplatine (données non montrées), mais l’augmentation de la résistance observée a été faible avec les concentrations utilisées (50ng/mL). En ce qui concerne l’IL-8, il semblerait que l’IL-8 recombinante serait sous forme monomérique mais également, et en quantité non négligeable, sous forme octomérique. Cette dernière forme rend sa détection difficile et on peut lui supposer un effet antagoniste à la forme monomérique. Cela peut expliquer le manque d’activité de l’IL-8 recombinante sur l’acquisition de la chimiorésistance par les CTO. Ces expériences devront être complétées avec différentes concentrations en chimiokines et en combinant plusieurs chimiokines, afin de savoir si ces protéines sont capables d’induire seules une chimiorésistance ou si leur activité nécessite également l’intervention d’autres partenaires. Une autre stratégie a été mise en place consistant à faire surexprimer ces chimiokines dans des BM-MSC, par introduction d’ADNc codant pour ces chimiokines. La génération de MSC surexprimant chacune de ces chimiokines est en cours et devrait permettre d’évaluer individuellement le rôle de ces chimiokines. De même, le ciblage uniquement d’une chimiokine, l’IL-8, par un anticorps monoclonal n’était pas suffisant pour permettre d’empêcher la chimiorésistance induite par les CA-MSC et pourrait s’expliquer par l’action des autres chimiokines sur les récepteurs communs avec l’IL-8.

Les résultats obtenus avec un inhibiteur des récepteurs CXCR1 et CXCR2 sont encourageants. En effet, son utilisation in vitro entraine une diminution de l’IC50 du carboplatine sur les CTO, traduisant une sensibilisation des cellules tumorales au traitement par carboplatine, malgré la présence des sécrétions des CA-MSC. De façon intéressante, l’IC50 du carboplatine est également diminuée dans les cellules IGROV-1 cultivées dans du milieu contrôle lors du traitement par un inhibiteur de CXCR1 et CXCR2. Cette sensibilisation des CTO au traitement par carboplatine induite par l’inhibiteur de CXCR1 et CXCR2 pourrait être due à l’inhibition des effets autocrines des chimiokines. Effectivement, la production autocrine d’IL-8 a été décrite comme pouvant entrainer une résistance des CTO aux traitements par carboplatine et paclitaxel229.

169 L’administration de reparixin, inhibiteur de CXCR1 et CXCR2, utilisé en association avec le carboplatine, a également entrainé une réduction significative de la charge tumorale dans le péritoine, la rate et le diaphragme des souris porteuses de tumeurs ovariennes ayant reçu une injection de MSC en comparaison au traitement par carboplatine seul. Cette diminution n’était pas significative lors de l’étude de la bioluminescence à travers le corps entier de la souris. Néanmoins, la sensibilité de cette dernière expérience, et notamment la luminescence, peut être perturbée par les différentes couches cellulaires présentes (épaisseur, densité, etc.), la présence de liquide (ascite, vaisseaux sanguins, etc.), la localisation tumorale (profondeur, derrière un organe, etc.) ou encore le diamètre, la densité de la tumeur, etc. Tous ces paramètres pourraient influencer les valeurs des intensités de bioluminescence captées et ainsi expliquer des résultats différents en termes de significativité entre les expériences sur le corps entier des souris et lors de la dissection des organes (qui permet de s’affranchir de beaucoup de situations pouvant altérer le recueil de la bioluminescence).

Donc, on peut affirmer que l’utilisation d’un inhibiteur de CXCR1 et CXCR2 a permis de sensibiliser les CTO au traitement par carboplatine que ce soit dans des expériences in vitro ou dans un modèle expérimental murin humanisé. Ainsi, un traitement inhibant la fixation des chimiokines sur leurs récepteurs semble être une stratégie intéressante pour augmenter l’activité cytotoxique du carboplatine sur les cellules tumorales. Puisque la sensibilité de la tumeur au sel de platine est un facteur déterminant dans la survie des patientes, l’identification de ces nouvelles cibles thérapeutiques, permettant de potentialiser l’action du carboplatine, pourrait améliorer la survie globale des patientes atteintes de cancer ovarien, dont la mortalité reste considérable.

Cependant, la chimiorésistance des CTO SKOV-3, plus résistantes au carboplatine que les cellules IGROV-1, évaluée in vitro avec les CA-MSC « induites », est assez faible voire absente. Néanmoins, la co-injection de MSC avec les cellules SKOV-3 conduit à une augmentation de leur résistance in vivo, observée dans un modèle expérimental murin. Cette différence de résultats, dans un contexte de tumeur ovarienne, est observée dans des expériences in vitro, avec un seul type cellulaire, et in vivo, permettant d’intégrer la globalité des effets potentiels des MSC sur toutes les cellules d’un organisme vivant. Ces effets divergents évoquent une action indirecte des MSC sur la chimiorésistance en impliquant un autre type cellulaire. De plus, l’augmentation de la production par les CA-MSC de chimiokines, connues pour interagir avec les cellules immunitaires, suggère également une interaction entre les CA- MSC et les cellules immunitaires.

G) Les CA-MSC peuvent polariser les macrophages en phénotype pro-