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L’histoire du paysage en Chine et l’écriture de la vibration de l’univers

Un cinéma du paysage

1.4 L’histoire du paysage en Chine et l’écriture de la vibration de l’univers

Comme dans la peinture, le paysage apparaît pour le cinéma de Jia Zhangke comme une puissance expressive de l’espace, capable de saisir et de communiquer les complexes changements visibles et invisibles de la Chine actuelle. Même si ces sources se trouvent ancrées dans le passé d’une culture commune, le paysage est néanmoins une image de chevauchement, d’impureté, qui donne forme à la dialectique d’un processus de transformation historique.

“Le plus simple paysage et le plus banal des paysages est à la fois social et naturel, subjectif et objectif, spatial et temporel, production matérielle et culturelle, réel et symbolique, etc. Le dénombrement et l’analyse séparée des éléments constitutifs et des différentes caractéristiques spatiales, psychologiques, économiques, etc., ne permettent pas de maîtriser l’ensemble. La complexité du paysage est à la fois morphologique (forme), constitutionnelle (structure) et fonctionnelle et il ne faut pas chercher à la réduire en la divisant. Le paysage est un système qui chevauche le naturel et le social. […] Le paysage apparaît de moins en moins comme une structure écologique et sociale et de plus en plus comme un processus de transformation, donc comme un phénomène inscrit dans l’histoire.”54

En effet, le paysage n’a jamais été une donnée universelle et atemporelle. Il s’établit à partir des relations culturelles, politiques et économiques qu’entretient une société avec son environnement, l’être humain avec la nature. Il peut paraître étrange de dire cela aujourd’hui, mais le paysage n’est sans doute pas présent dans toutes les sociétés ni tout au long de leurs histoires; on trouve curieusement assez peu d’exemples d’une relation esthétique entre l’homme et l’environnement (naturel ou pas) qui amorce une reconstruction affective de l’espace outrepassant son usage matériel.

La relation subjective entre l’être humain et le monde ne repose pas sur la seule existence historique et matérielle d’une société, mais sur sa compréhension du temps et de l’espace, et sur la relation qu’une culturelle entretient avec la nature. Augustin Berque à plusieurs reprises donne l’exemple des paysans, qui “transforment la nature avec leurs mains calleuses, au lieu de l’apprécier en tant que ‘nature’ et paysage”55. Cette appréciation demande donc le développement d’un certain goût, qui doit venir surtout de l’intellect et de la culture. Il n’est pas anodin que le terme de paysage ait vu le jour parmi les lettrés du Sud de la Chine au IVème siècle de notre ère. Le poète Xie Lingyun (385-433), par exemple, a écrit que la beauté du paysage n’est pas dans l’environnement en soi, mais demande un goût (shang, littéralement une façon d’apprécier) particulier 54 Georges Bertrand, “ Le paysage entre la nature et la société ”, dans ROGER, Alain (dir.), La Théorie du paysage en France 1974-1974, Paris, Champs Vallon Seyssel, 1995, p. 99.

55 Augustin Berque, How not to 殺風景 (kill the landscape) ?, Environnement, engagement esthétique et espace public : l’enjeu du paysage, Colloque international, Paris, ENGREF, 9-11 mai 2007.

dans la façon dont on le regarde : “Le sentiment, par le biais du goût, crée la beauté (情 用賞為美, qing yong shang wei mei).”56

Le paysage est donc né en Chine environ 1200 ans avant d’apparaître en Europe, émergeant d’abord de la poésie (et non de la peinture comme en Occident), ce qui était naturel dans une culture où les arts dérivaient de l’écriture, surtout à partir du moment où la dynastie des Han a opéré une centralisation du pays qui s’appuyait sur les lettrés (wenren 文人) : “La Calligraphie est devenue un art autonome sous la dynastie des Han, entre le deuxième siècle avant et le deuxième siècle après J.C., en superposant à celui de support de la langue un rôle ludique et esthétique.”57 La calligraphie (shufa, 书法), en effet, consiste à écrire à l’aide d’un pinceau des caractères chinois et ne se distingue que difficilement de l’écriture. Les traités de calligraphie seront pionniers et déterminants pour la peinture et les autres arts chinois.

Ce miroir de l’écriture58, comme Danielle Elisseeff désigne la peinture chinoise, a connu son apogée à l’époque des Song (960-1279), période pendant laquelle peintres et calligraphes utilisaient les mêmes matériaux et les mêmes techniques, principalement le trait à l’encre noir sur fond blanc59 (baimiao, 白描) de la soie ou du papier ou le procédé du lavis (shuimo, 水墨), par laquelle les tonalités de gris (entre blanc et noir, ou foncé et claire dans d’autres teintes) varient en dégradés selon leur dilution dans l’eau. Les figures de la peinture devraient vibrer comme les traits du calligraphe pour exprimer le 56 Dans Le sentiment, par le goût, fait la beauté/Chose obscure avant qu’on la dise/ Oubliant à sa vue les soucis mondains/ L’avoir saisie vous motive. (Qing yong shang wei mei/ Shi mei jing shei bian/ Guan ci yi wu lü/ Yi wu de suo qian). (Traduction Augustin Berque, Idem).

57 Yolaine Escande, Le cœur et la main. L’art de la Chine traditionnelle, Paris, Hermann, 2000, p. 9.

58 Danielle Elisseeff le décrit bien ce caractère indissociable entre peinture et calligraphie : “Cette peinture-là est

une autre forme de l’écriture. Les artistes n’en font d’ailleurs pas mystère : pour rendre compte de leur démarche, ils disent qu’ils ‘écrivent’ (xie 写) […]; ces hommes revendiquent leur statut d’oisifs – du moins à l’heure précise où ils créent – et pratiquent un style libre, propre à exprimer le sens profond des choses (xieyi 写意).” Danielle Elisseeff, L’art chinois, Paris, Larousse, 2007, pp. 143-145.

59 En fait, c’était plutôt d’un blanc écru, mais la même question sur la définition et la pureté du blanc peut aussi être posée dans l’univers de la peinture occidentale. La photographie, le cinéma analogique et la vidéo viennent confirmer cette complexité, le blanc étant une question de référence (de température de couleur et d’espace colorimétriques). Nous allons, plus loin, aborder l’utilisation du blanc dans le cinéma de Jia à partir de l’expression à la fois spatiale et spirituelle du vide, riche à la tradition de la peinture de paysage.

sens et l’émotion. Ainsi, ces peintres lettrés “amateurs”, marquaient leur distance avec ceux qui peignaient (hua 画) des tableaux narratifs ou des œuvres de décoration. Jia reprend cette notion particulière d’artiste amateur60 en Chine pour revendiquer un cinéma

amateur et différencier la nouvelle esthétique numérique de sa génération et le cinéma

professionnel, coûteux et commercial fait par ses aïeux. Comme les peintres amateurs lettrés, les jeunes cinéastes amateurs pouvaient avoir la liberté de rompre avec les normes imposées par l’art officiel, dans une attitude à la fois esthétique et politique. En allant filmer ce qui se passe dans les rues, ils pouvaient exprimer la vibration de la vie (comme

les traits de la calligraphie expriment le sens et l’émotion du paysage), bien distante des l’artificialité

et de la distance des films d’époque faits par des réalisateurs de la cinquième génération, comme Zhang Yimou et Chen Kaige.

Dans la peinture chinoise, le pinceau devait être capable de suivre le mouvement de l’univers et traduire cette énergie par la simplicité des traits : le calligraphe-peintre établit donc une sorte de lien entre ciel et terre. Ce pont créé entre l’homme et la nature projette le regard du peintre vers l’extérieur, dans une conception bouddhique et taoïste de la nature. Le paysage apparaît en effet comme un genre qui a promptement captivé l’intérêt des lettrés de l’époque. Gu Kaizhi (IVème siècle), considéré comme le premier de grands peintres de rouleau, dans ses Notes sur la peinture du mont de la terrasse des nuages ( 画云 台山记, Hua Yuntaishan ji), présentait déjà le paysage comme “un genre à ses yeux utile, car il permet de mieux faire comprendre la vie édifiante des immortels”61. Ce caractère spirituel éloigne le paysage chinois du paysage né en Europe, environ 1200 ans plus tard, même si, dans les deux cas, l’expression subjective occupait une place importante 60 Sebastien Veg cite Jia comme le porte-parole de cette nouvelle esthétique, en publient deux courts essais qui ont beaucoup circulé en 1998 : “L’âge du cinéma amateur est sur le point de revenir” (Yeyu dianying shidai jijiang zaici daolai) et “Maintenant que nous avons des VCD et des caméras vidéos numériques” (You le VCD he shuma shexiangji yihou). Veg souligne l’importance politique que Jia Zhangke attribue aux nouvelles technologies utilisé par ce cinéma amateur : “ […] Jia soutien que le progrès technique a entraîné une démocratisation radicale dans le visionnage des films (VCD) e dans leurs réalisation (caméra vidéo numérique), une évolution inattendue que les autorités ont été incapables de contrôler. Cette révolution, aux conséquences encore inconnues, peut être considérée de bien des manières comme une revanche ironique de l’histoire pour le mouvement démocratique réprimé de 1989. (Sebatien Veg, “Introducion- Ouvrir des espaces publiques”, in Perspectives Chinoises, 2010/1, n° 110, CEFC, HK, 2010, p. 6).

dans le processus créatif. Toutefois, en ce qui concerne la représentation artistique de l’environnement, le paysage révèle aussi la relation intime entre l’identité culturelle et le sentiment de la présence de soi au monde, relation qui trouve sa traduction dans le concept de représentation proposé par Stuart Hall : “Qu’elles soient des illustrations, des peintures ou des photographies, elles sont directement associées aux concepts de temps et d’espace qui sont, à leur tour, liés à la formation de l’identité humaine”62.

De plus, comme en Europe, l’époque de l’avènement du paysage comme genre en peinture fut décisive aussi dans le processus de formation de la nation chinoise. Tout comme le paysage est apparu en Occident au moment où les nations européennes se constituaient en États, la notion voit le jour en Chine quand le pays vient juste de s’unifier pour la première fois, durant la brève dynastie Qin et de se consolider comme nation avec les Han63. Se fit alors ressentir le besoin urgent d’une imagerie pour bâtir l’identité du tout nouveau pays, à une époque où la culture et l’art de la Nation étaient en voie de consolidation64.

En faisant le pont entre le numérique et le mont de la terrasse des nuages, Jia ne fait pas une simple mise à jour d’une culture ancienne, mais il exprime tout simplement la perception du temps et de l’espace par une identité culturelle changeante. Pour aborder le gigantesque impacte de la construction du barrage dans la région de Trois Gorges, Jia, avec une petite caméra vidéo (hi8), filme les nuages entourant les cimes des montagnes, comme pour avoir une vision plus étendue de ses changements en cours. Il construit ainsi 62 Stuart Hall, A identidade cultural na pós-modernidade, trad. de l’auteur, 7 ed. Rio de Janeiro: DP&A, 2003, p 37. 63 Le mot Han (汉) désigne aussi “les Chinois”, et c’est encore l’ethnie fortement majoritaire dans le pays. La langue chinoise est également appelée Hanyu (汉语), la langue des Han.

64 Certes, le paysage en Chine n’est pas non plus né de l’appréhension technique et objective de l’espace et du temps (la perspective linéaire et la physique mécaniciste) dans la finalité de représenter un morceau du pays, mais plutôt de la volonté de reconstruction de l’espace à partir de la relation entre l’homme et l’univers, basée sur des valeurs subjectives et spirituelles propres à l’observation méditative. La morphologie de cet espace n’est donc pas conforme à la notion purement géographique de paysage qui désigne une partie du pays et des éléments réels de son environnement ; elle exprime plutôt une relation culturelle et individuelle entre l’homme et la nature, basée sur l’équilibre spirituel des souffles vitaux exprimés par les rythmes et par l’intensité des traits (yin) de l’artiste et le vide laissé sur la blancheur de la soie (yang), en créant, comme dans la calligraphie, une dynamique harmonieuse avec le monde.

une perception de ce paysage à travers d’un côté l’histoire de la région et de sa culture, par la mémoire que ces images dégagent et, de l’autre côté, l’éphémère et l’immutable capables de se mélanger dans cette tradition de representação. Par le principe de you et de wu, Jia crée des représentations entre image entre un il y a et un il n’y a pas, qui ne s’opposent plus, mais se transforment dans un processus continu et insaisissable d’interaction.

Le blanc de la vidéo ne mime pas les vapeurs-nuées-nuages des Maîtres des Song, mais restitue à cette scène contemporaine le dynamisme serein de représentations de paysages anciens, où tout est impermanent, qui se soient les forces et les formes les plus rigides ou les vérités et les discours les plus absolus. Jia est sensible au pouvoir imaginatif du blanc, en profitant des extérieurs brulés de la vidéo, pour créer des intérieurs plus intimes, fluides et riches de mémoire65. François Jullien donne l’exemple du peintre Dong Yuan pour illustrer cette image sans forme, qui s’ouvre à une perception désobstruée : “En baignant de brumes les cimes des arbres et des sommets, en saisissant les choses émergeant de leur indifférenciation primitive ou s’y replongeant, Dong Yuan offre à voir une présence espacée et, de ce fait, décantée, car libérée de l’opacité des choses et de leurs déterminations objectives.”66

Jia semble aussi chercher cette présence espacée ressentie dans le paysage pour libérer le spectateur de l’opacité des choses et de leurs déterminations objectives, et lui permettre de voir au-delà de représentations qui justifient toute destruction en affirmant le progrès. Bien qu’il soit lui-même un homme cosmopolite, Jia Zhangke démontre à plusieurs reprises l’importance qu’il donne dans ses films aux influences de sa culture. Dans un échange avec Tony Rayns, par exemple, Jia reconnaît que la philosophie du yin-yang a une l’influence majeure sur la structure de ses films. Interrogé sur les deux parties bien visibles de Still life (l’histoire de Han, le travailleur migrant, et celle de Shen, qui vient 65 Ses personnages aussi sont souvent en blanc (comme dans Han Sanming dans Stil Life et Zhao Tao dans I wish I knew. Voir aussi d’autres exemples d’utilisation du banc dans ce dernier film sur les Fig. 32 et fig. 33.

chercher son mari pour lui demander le divorce) et de Dong (la peinture de Liu Xiaodong sur les travailleurs qui démolissent des villes à Sichuan, dans la région des Trois Gorges, et le tableau qu’il réalise des jeunes femmes à Bangkok, en Thaïlande), il confie : “Nous avons peut-être tous deux subi l’influence de la philosophie chinoise ! Dans la culture chinoise, le monde est formé du yin et du yang, qui représente la différence entre l’homme et la femme. C’est aussi la base de l’esthétique dans l’art oriental.”67

Masculin-féminin, création-destruction, éternité-impermanence, objectivité- subjectivité sont des complémentarités fort présentes également dans l’œuvre de Jia, en particulier dans sa façon de composer ses personnages, ses cadrages, la durée de ses plans et la structure de ses films. L’exercice d’observation de la ville de Datong mis en ouvre dans In Public, révèle bien la superposition de différentes couches de signification, qui compose un lieu à partir de la subjectivité du vécu au fil du temps. Sans l’ajout du moindre commentaire, Jia filme la ville et ses gens, en captant, par des gestes et des textures, le temps de transformations et les nouvelles appropriations objectives et affectives des espaces. L’ancienne gare routière en est un exemple patent, devenue une salle de billard et de danse où les gens se rencontrent l’après-midi venu. Ce film est son premier tournage en numérique, dont la légèreté technique et la possibilité de tourner de longs plans dans la durée va vite devenir la marque des films de Jia qui l’a totalement intégrée à sa propre conception du cinéma.

Cependant, le numérique n’est qu’un moyen actuel pour l’obtention d’une image méditative de l’espace chinois. En l’occurrence, l’importance conférée à l’espace et à la nature était toujours bien sensible dans les trois grands courants philosophiques et religieux du pays, comme elle l’est dans les anciennes religions primitives : la représentation du paysage offrait la possibilité de faire l’expérience de la transmission spirituelle de l’essence de l’univers à l’homme. L’art se voulait avant tout méditation. La poésie de Xie Lingyun (385-433), fervent bouddhiste considéré comme celui qui a importé dans l’art d’écrire l’approche spirituelle de la nature (dans sa poésie de paysage, 山水詩, Shanshui shi), va 67 Jia, op. cit., p. 197.

énormément influencer les peintres. Zong Bing (375-443), peintre et poète lui aussi, dans son Introduction à la peinture de paysage (画山水序, Hua Shanshui Xu), tout premier traité sur le genre, faisait déjà du paysage “le lieu où, par-delà des formes, l’esprit saisissait la nature de Bouddha qui s’y déployait souveraine : ‘Ce qui reconnu par l’œil et compris par l’esprit est la forme véritable des choses’.”68 Par son pinceau méditatif, le peintre devait communiquer l’esprit des choses (chenshen), en créant une liaison entre ciel et terre, afin d’apporter à l’homme les souffles vitaux de l’univers. Mais, à part toute expression spirituelle, le maître chinois avait déjà une intuition très complexe du caractère ambivalent de la communion entre le sensible et l’esprit dans l’appréhension des formes de la réalité et de leur représentation.

La nature apportait également une morale subtile à l’image, nuancée entre la vertu de l’homme et la qualité physique de l’espace et de ses éléments; la phrase attribuée à Confucius, “À l’homme intelligent plaît l’eau, à l’homme de bien, la montagne”, fut citée par nombre de théoriciens de la peinture des Song en raison de l’attachement à la fois à la sagacité et à l’éthique qu’ils conféraient à l’acte esthétique : “L’homme par son intelligence, s’accordait aux mouvements de l’eau et suivait le renouvellement constant et toujours différent des existences ; de même ; par sa conduite du bien, il rejoignait la stabilité de la montagne et définissait l’axe de la société des hommes.”69 L’idéal taoïste, à son tour, consistait à vivre retiré du monde, en se tournant vers la nature, comme l’explique Christine Kontler :“Pour Zhuangzi, le maître du Dao de l’antiquité, la nature inviolée et ses espaces infinis représentaient la liberté souveraine ; la première étape sur la voie du détachement était la rupture d’avec le règne artificiel de l’homme ; la société et ses mœurs policées.”70

Ce regard vers le paysage avait donc comme origine une rébellion méditative contre des sensibilités passives et des jugements imposés. Les sages, pour rencontrer la voie 68 Christine Kontler, Arts et sagesse de la Chine, Paris, Zodiaque, 2000, p. 188.

69 Ibid., p. 185. 70 Idem.

et devenir immortels, devaient, dans la mystique taoïste, chercher la montagne71 afin de retrouver la vérité de la nature. Le paysage correspond donc à la conscience de l’illusion humaine provenue des contraintes de la vie en ville (où se trouve la source des hégémonies faites par des mœurs policées) et de la recherche de la vérité dans la nature72. Au-delà d’un sentiment religieux et de l’idée d’un refuge, le paysage portait déjà une éthique, un contexte social libérateur de l’illusion des représentations dominantes, ce dont Jia Zhangke est conscient et atteste à travers sa construction cinématographique de l’espace.

Cette approche esthétique de la nature donne au paysage en Chine une autre spécificité, car les peintres y ont trouvé, dans la récurrence des motifs de la montagne et de ses cours d’eau, la façon adéquate de réfléchir sur l’impermanence de l’espace et du temps. En chinois, le mot créé par les poètes et utilisé par les peintres pour désigner le paysage (shanshui 山水) vient de la réunion des idées de la montagne (shan) et celle de l’eau