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CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3.1. ASPECTS ÉPISTÉMOLOGIQUES

3.1.7. L’heuristique : laisser advenir

Cette approche [l’heuristique] affirme et reconnaît la valeur du matériel et des documents qui prennent en compte les sentiments aussi bien que la pensée, le processus aussi bien que le contenu, les expériences aussi bien que les résultats, l’expression créatrice aussi bien qu’une présentation organisée. (Craig,

1988, p. 190)

La sécheresse de l’objectivité scientifique (quantitative) tuait mon envie de (me) chercher. L’oasis de la subjectivité (dans laquelle je peux me sentir exister pleinement) rencontré en recherche qualitative, à la première personne, me donnait espoir de pouvoir m’abreuver en ma source enfin (re)trouvée. Imaginer ma recherche comme un voyage au cœur de mon univers me faisait sentir telle le « Petit Prince » (St-Exupéry, 1999) : « Il s’agit d’un voyage, d’une route à faire, mais dont on ne connait au départ ni toutes les étapes ni même, le plus souvent, la destination précise » (Boutet, 2016, p. 86). En perpétuelle quête de sens, il m’était bon de me sentir encouragée : à suivre ma boussole intérieure et à honorer mes intuitions ainsi que mes élans créatifs, à poursuivre ma quête en me donnant la possibilité de consentir à mon rythme, à accéder petit à petit à des couches plus profondes de ma conscience vers mon cœur et vers mon essence, à me laisser apprivoiser par mon propre mouvement, dans l’espoir que ces processus me permettent d’avoir l’honneur de percevoir ce qui à une époque était invisible à mes yeux.

Contrairement aux chercheurs qui s’interrogent sur un sujet et émettent des hypothèses, ma recherche n’était pas basée sur un canevas de recherche prédéterminé. Ma recherche a plutôt été menée telle une quête heuristique (c’est-à-dire en suivant mes intuitions, ma créativité et en faisant confiance aux synchronicités). Découvrir la méthode heuristique me réconfortait dans mon choix de m’inscrire à cette maîtrise : je sentais que je pouvais enfin m’ouvrir sans crainte et explorer ce qui fait ma force sans redouter qu’on me dise que mes intuitions, ma sensibilité et ma façon d’être au monde n’avaient pas leur place

dans la démarche que j’avais (à nouveau) entreprise. Craig nous dit que le sens et l’esprit de l’investigation heuristique est de :

[…] mettre la personne au défi de croire en elle-même, en ses propres ressources et potentialités au point qu’elle soit prête à tout risquer et qu’elle investisse ouvertement et directement les qualités les plus riches de l’expérience humaine dans une aventure imprévisible, une quête personnelle de croissance et de découverte, vers une nouvelle connaissance et une meilleure compréhension. (Craig, 1988, p. 200)

Je me souviens d’avoir eu le fort sentiment que la méthode heuristique serait, parmi toutes celles que je connaissais jusqu’à maintenant, celle qui conviendrait le mieux au type de recherche que je portais en moi (même si à ce moment-là, je n’avais pas encore une idée claire de ce que je portais). Je devinais la liberté que permettait cette démarche et je me disais que c’était ce dont j’avais besoin pour réussir à toucher à l’essentiel.

Le travail heuristique se reconnaît à plusieurs caractéristiques qui lui sont propres. Selon Craig (1988), le chercheur qui vit sa recherche de façon heuristique se place au centre de sa recherche et il la dirige selon ses intuitions et sa créativité. Il est à l’écoute de ce qu’il vit et ressent, particulièrement lorsqu’il s’immerge dans l’expérience qu’il tente de décrire. Lors de cette exploration heuristique, le chercheur tente de s’approcher le plus possible de l’expérience telle qu’elle se déroule et il évite de l’analyser ou de tenter d’expliquer son expérience. Le chercheur explore en ayant « … foi que quelque chose se produira, qu’une réalité inconnue se fera entendre et que je [le chercheur] serai là pour l’écouter » (Craig, 1988, p. 186).

La recherche heuristique donne donc une grande latitude à celui qui décide de l’adopter, mais celle-ci s’accompagnera inévitablement, de temps en temps, d’un grand sentiment de solitude, laissant le chercheur seul face à sa propre expérience et à ses propres défis (Craig, 1988).

D’une façon plus concrète, selon Craig (1988), la recherche heuristique comporte principalement quatre processus : la question, l’exploration, la compréhension et la communication. Ces processus sont tous en interaction les uns avec les autres et, selon la

phase de la recherche, prendront chacun à leur tour prédominance sur les autres. Ainsi, lors d’une recherche heuristique, la question (1) apparaitra au chercheur au fur et à mesure qu’il baigne dans son expérience. Il découvrira alors la « question qui le cherche » comme se plaisent à le dire plusieurs professeurs qui ont guidé mon cheminement à la maîtrise. Le chercheur, se laissant guider par cette esquisse de question qui se transformera encore plusieurs fois durant le processus de recherche (et si je me fie à mon expérience, cette transformation peut avoir lieu jusqu’à la toute fin), est dirigé par « un élan personnel, un élan intuitif vers une potentialité anticipée mais pas encore révélée » (Polanyi, 1964a, p. 178, cité dans Craig, 1988, p. 184). Il explore (2) ainsi son expérience qu’il tentera de comprendre (3) en clarifiant, intégrant et conceptualisant les découvertes faites lors de son exploration. À travers l’exploration et la compréhension, la question se précise et devient de plus en plus proche de ce qui habite réellement le chercheur qui pourra alors finalement communiquer (4) ses découvertes aux autres en prenant soin de bien articuler les éléments de son expérience. Selon Craig (1988, p. 196), pour passer à travers ces étapes de recherche : « L’individu réunit toutes ses ressources personnelles pour affronter le défi que représente la compréhension de ses découvertes, l’intégration, la clarification et l’articulation des données significatives de son exploration ».

En écrivant cette section sur l’heuristique, je me rends compte que sans avoir initialement fait des choix conscients pour que ma recherche s’inscrive dans une démarche heuristique, c’est quand même ce qu’elle a naturellement été. En fait, en me laissant guider par cette quête de sens que je porte, dans un premier temps, j’ai découvert le type de rapport que j’avais avec mon monde intérieur pour ensuite laisser advenir ce processus heuristique qui œuvre en moi, avec une confiance grandissante, venant mettre en culture le rapport que j’ai avec moi-même ; cela engendrant, au fur et à mesure que la recherche avance, un rapport plus intime et plus lucide avec moi-même. Je crois donc que la puissance d’une recherche dont le chercheur est son propre sujet d’étude réside en sa capacité à accepter et à percevoir cette « véritable maïeutique du sujet chercheur par le sujet de la recherche » (Galvani, 2008, p. 10).