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CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3.2. A SPECTS MÉTHODOLOGIQUES : OUTILS DE COLLECTE DE DONNÉES

3.2.3. L’entretien d’explicitation

L’entretien d’explicitation est un outil d’aide à la prise de conscience des savoirs implicites portés par l’expérience vécue développé par Vermersch (1991). Pour créer cet outil, il s’est inspiré de pratiques utilisées en psychothérapie, principalement en programmation neurolinguistique et par l’approche éricksonnienne. Vivre un entretien d’explicitation consiste à se laisser guider par l’interviewer vers un moment vécu spécifique et marquant, préalablement choisi par l’interviewé. Ce retour sur l’expérience vécue, grâce à la posture d’évocation18 initiée au début de l’entretien et à l’activation de la mémoire sensorielle, permet de découvrir des savoirs implicites qui accompagnaient l’action mais qui n’étaient jusqu’alors pas encore conscientisés (Faingold, 2004 ; Vermersch, 1991).

En s’appuyant sur les travaux qui étudient la microgenèse ou encore sur les travaux en ergonomie cognitive et particulièrement ceux de Piaget, Vermersch nous dit que :

[…] le sujet humain, quel que soit son niveau d’expertise n’a conscience que d’une partie des connaissances et des procédures qu’il met cependant en jeu dans son action. Cet état de fait est inhérent aux caractéristiques même du processus d’élaboration des connaissances à partir de sa propre expérience, de sa propre activité. (Vermersch, 1991, p. 276-277)

Utilisé en étude des pratiques, l’entretien d’explicitation permet ainsi aux praticiens de rendre explicites des savoirs qui jusqu’alors étaient implicites dans leur pratique :

La spécificité de l’explicitation est bien d’introduire une étape décisive de réfléchissement (Piaget, 1974 ; Vermersch, 1994) entre un vécu passé et sa mise en mots, réfléchissement qui va précisément rendre possible, à travers la re- présentification19 de la situation dans toute sa richesse factuelle, mais aussi

corporelle et émotionnelle, une prise de conscience d’éléments préréfléchis de l’expérience. (Faingold, 1998, p. 2)

Concrètement, pour arriver à déplier son expérience pendant l’entretien d’explicitation, le praticien est invité à choisir un moment de sa pratique et à revenir sur ce moment de son expérience en décrivant « comment » tout cela est arrivé, cette fois-là précisément.

Les questions posées lors d’un entretien d’explicitation doivent encourager le sujet à évoquer le déroulement de l’action (l’ordre temporel, la localisation spatiale) et/ou la sensorialité qui lui était liée. Les questions ainsi dirigées ont pour but de dévoiler le « comment » de l’action (Vermersch, 1991). Lors de cet exercice l’interviewer doit particulièrement éviter de ramener le sujet vers le « pourquoi », c’est-à-dire éviter d’utiliser des questions explorant le domaine du rationnel ou du causal:

Ce type de questionnement induit de manière très forte chez le sujet interrogé, une exigence de cohérence et d’explication, qui sollicite des réponses ayant le format de connaissances déjà conscientisées et par conséquent ne favorise pas ou même,

19 Présentifier un moment, c’est « le rendre à nouveau dans une qualité de présence vivante dans la représentation ». (Faingold, 2004, p. 82)

peut-être empêche l’accès aux informations non-conscientes. (Vermersch, 1991, p. 278)

L’interviewer doit donc être entrainé à poser des questions pertinentes qui pourront déployer la description de l’expérience et non encourager l’explication du geste posé.

De plus, pour que l’exercice d’explicitation soit pertinent, l’interviewer doit favoriser et reconnaitre la posture d’évocation chez son interlocuteur permettant à ce dernier « de faire appel à sa mémoire concrète » (Gusdorf, 1950, cité dans Faingold, 1998, p. 2).

[…] en créant les conditions d’une réémergence des éléments sensoriels (images, sons, ressentis corporels) de la situation passée : l’installation dans le contexte par un guidage de l’interviewer vers les éléments les plus concrets du moment exploré permet au sujet de recontacter le lieu, sa place dans l’environnement, sa posture, ses prises d’information. (Faingold, 1998, p. 2)

Cette posture d’évocation, aussi appelée posture de parole incarnée, se reconnaît au ralentissement du débit de la parole, au regard flottant dans le vide et à l’apparition de gestes liés à l’action évoquée. Le sujet semble immergé dans la situation évoquée et peu présent à la situation d’interaction de l’entretien d’explicitation en tant que telle (Faingold, 1998). Le sujet est ainsi « davantage tourné vers lui-même, dans un processus de réfléchissement, pour tenter de ressaisir et de mettre en mots les multiples facettes de son vécu » (Faingold, 2004, p. 83).

La description du vécu obtenue d’une personne se trouvant en posture d’évocation permet aussi d’accéder à un autre niveau expérientiel, celui qui relève du monde émotionnel. Le passage de l’action à l’émotion permet de donner de l’épaisseur au moment vécu et c’est à ce moment que le praticien peut alors avoir accès au sens que ce moment à pour lui :

Très souvent, c’est à partir de la reprise d’un geste que le sens émerge, et que l’émotion déjà présente emplit la personne tout entière, la laissant alors silencieuse dans la redécouverte des valeurs qui l’animent. Mon expérience est que, le plus souvent, dans ces moments essentiels, identité personnelle et identité professionnelle se confondent. (Faingold, 2004, p. 88)

Les trois entretiens d’explicitation que j’ai vécus ont été des moments révélateurs dans ma recherche. Lors des entretiens, à plusieurs reprises, la sensation de temps et d’espace devenait floue : l’ambiance du moment évoqué devenait palpable pour moi tout autant que pour l’intervieweuse, particulièrement dans les moments où le silence nous accompagnait. Durant ces précieux moments, le temps était au ralenti et il m’était alors possible de ressentir pleinement ces moments de ma pratique et de découvrir ce qu’ils avaient de si précieux.