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CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3.3. A SPECTS MÉTHODOLOGIQUES : OUTIL D ’ INTERPRÉTATION DES DONNÉES

3.3.1. L’analyse en mode écriture

L’analyse en mode écriture est l’approche d’analyse qui opère une herméneutique de la manière la plus naturelle et « universelle », c’est-à-dire qu’elle reproduit une activité interprétative qui peut être exercée sans contraintes techniques et qui est applicable à une infinité de situations d’analyse.

(Paillé et Mucchielli, 2016, p. 199)

Au fur et à mesure que je me renseignais sur l’analyse en mode écriture, un sentiment de justesse et de soulagement se faisait grandissant en moi. J’étais soulagée de savoir que ma recherche pourrait se poursuivre sur un mode heuristique, même pour l’étape de l’analyse des données :

Sa fluidité et sa flexibilité [en parlant du processus d’écriture comme méthode d’analyse] lui permettent d’épouser les contours parfois capricieux de la réalité à l’étude, d’emprunter des voies d’interprétation incertaines, de poser et de résoudre des contradictions, bref de faire écho à la complexité des situations et des événements. (Paillé et Mucchielli, 2016, p. 192)

L’écriture comme praxis d’analyse est un processus souple qui permet le doute et les remises en questions mais surtout, c’est un processus qui fait émerger des liens et invite donc à tisser la complexité grâce à laquelle peut finalement émerger le sens et les prises de conscience.

L’analyse en mode écriture se construit au fur et à mesure que les liens apparaissent au chercheur, il n’est pas possible de décrire à l’avance le chemin que le chercheur empruntera :

Cet univers [l’univers du chercheur] est constitué de référents très divers, actualisés en cours d’analyse à un rythme, à une ampleur et selon des modalités difficiles à prévoir. C’est le prix à payer pour une analyse vivante qui n’est pas réduite à une reconduction de prénotions et qui ne succombe pas à la tentation du compromis théorique consistant à écarter ce qui n’entre pas dans le cadre de départ. (Paillé et Mucchielli, 2016, p. 128)

Et c’est ce qui pourrait être reproché à ce type d’analyse par certains membres de la communauté scientifique plus attachés à l’opérationnalisation de la démarche d’analyse. Mais, en fait, c’est précisément la force de cette façon de faire, celle de jongler avec l’imprévisibilité d’une analyse qui a lieu dans le moment présent.

Quoi qu’il en soit, en recherche qualitative, l’écriture joue un rôle important à plusieurs niveaux, que ce soit lors de la transcription initiale de l’expérience vécue ou lors de la transposition de ces données par des annotations et réflexions, ou encore lors du processus de rédaction du rapport final. Cela dit, selon Paillé et Mucchielli, « le travail d’écriture le plus important et le plus délicat se situe au niveau de l’étape de transposition, qui couvre l’ensemble des opérations permettant de passer d’un matériau non-encore exploré à une analyse détaillée » (2016, p. 189-190). Et c’est lors de cette transposition qu’effectue le chercheur que se joue de trois façons le jeu de l’interprétation. D’abord, il y a l’appropriation qui est le moment où le chercheur relit ses données et attribue inévitablement plus de poids à certaines qu’à d’autres, selon la signifiance qu’il leur trouve en fonction de ses objectifs de recherche. Puis, il y a la déconstruction qui consiste en une décontextualisation des matériaux particulièrement signifiants, suivie de la reconstruction qui demande une recontextualisation des matériaux vers une théorisation des concepts (Paillé et Mucchielli, 2016). Le chercheur jongle donc avec ses matériaux de recherche, en boucle, jusqu’à ce que le tout s’organise et que lui apparaisse suffisamment de sens pour le communiquer aux autres par l’intermédiaire de son rapport de recherche : « L’écriture n’est donc pas uniquement un moyen de communication, ou même une activité de consignation, mais un acte créateur. Par elle, le sens tout à la fois se dépose et s’expose » (Paillé et Mucchielli, 2016, p. 190-191).

Plus concrètement, le travail du chercheur lorsqu’il utilise l’écriture comme praxis d’analyse peut être décrit en ces termes :

Dans l’analyse en mode écriture, au lieu de créer des entités conceptuelles, de générer des codes ou tout autre moyen de réduction ou d’étiquetage des données, l’analyste s’engage dans un travail délibéré d’écriture et de réécriture, sans autre moyen technique, et ce travail d’analyse tient lieu de reformulation,

d’explicitation, d’interprétation ou de théorisation du matériau d’étude. L’écriture devient ainsi le champ de l’exercice analytique en action, à la fois le moyen et la fin de l’analyse. (Paillé et Mucchielli, 2016, p. 187-188)

Pour arriver à ce travail d’analyse, le chercheur commence par produire des constats. Le constat consiste à prendre des notes lorsqu’apparaît un lien, une compréhension nouvelle. Concrètement, lors de ma recherche, lorsqu’émergeait un lien, une idée, un commentaire ou une réflexion, j’utilisais l’outil révision de mon logiciel de traitement de texte pour écrire dans un bulle à droite du texte concerné ce qui me venait à l’esprit. Puis, lorsque je relisais le texte, j’ajoutais d’autres notes ou je transformais le texte existant en prenant en considération la réflexion laissée auparavant. Puis, à un moment donné, il devenait évident qu’il me fallait réécrire ce qui était déjà écrit sous une nouvelle forme pour le présenter autrement:

L’analyse qualitative va donc progresser à mesure de l’écriture, de la réécriture et de l’accumulation, d’abord de constats, puis, de plus en plus, de notes et de textes plus longs. Au départ, la lecture répétée des matériaux à l’étude va, en effet, plutôt susciter chez l’analyste l’émergence de constats. Un constat, dans le contexte de la présente stratégie d’analyse, peut être défini comme une phrase ou une série de phrases tenant lieu de rapport descriptif ou analytique en lien avec la compréhension atteinte par l’analyste à un moment de son travail. (Paillé et Mucchielli, 2016, p. 195-196)

Alors j’ouvrais un nouveau document et redémarrais avec une page blanche, laissant mes idées me guider, et parfois, je retournais consulter des morceaux de phrases ou même des parties de texte de l’ancien document pour les ajouter au texte maintenant reformulé. Il arrivait aussi que ce que j’écrivais me renvoie à des travaux antérieurs que je consultais alors pour compléter l’idée que je poursuivais. Et à force de rapprochements et de regroupements se déploie l’analyse et se bâtit le sens : « Cette interprétation finale met tout ce qui a été présenté en cohérence. Cette mise en configuration (ou en relation) est en elle- même porteuse de sens car le sens final jaillit de l’ensemble de l’effort de configuration fait » (Paillé et Mucchielli, 2016, p. 201).

Ma quête en est une de sens et l’analyse en mode écriture est l’outil par excellence pour une herméneutique en profondeur. Paillé et Mucchielli affirment que « L’écriture

permet plus que tout autre moyen de faire émerger le sens » (2016, p. 192). Et, ils ajoutent que l’analyse en mode écriture est particulièrement adaptée lorsque le matériau de recherche est biographique.