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L’hétéronormativité ou le déni de l’homosexualité en colo

PARTIE I – LE TEMPS DES COLOS, DES VACANCES ENTRE JEUNES

6. L’hétéronormativité ou le déni de l’homosexualité en colo

La jeunesse est « une période de la vie qui précisément socialise l’individu à l’hétérosexualité et aux rôles de sexe, les définitions sociales de la masculinité et la féminité demeurant étroitement associés à l’hétérosexualité » (Hamel, 2012). Si les animateurs sont vigilants aux rapprochements des jeunes adolescents entre eux, et plus particulièrement aux rapprochements des corps, ils n’envisagent les relations entre jeunes que sous l’angle de l’hétérosexualité. Ainsi, lors de l’enquête de terrain au centre des Galets fréquenté par 120 adolescents, nous avons pu constater que les préparatifs de la boum étaient essentiellement faits pour susciter, aider la mise en relation des jeunes. Sans s’en rendre compte, les remarques des animateurs rappellent violemment la norme hétérosexuelle.

Il est 18h, c’est l’heure des douches et des préparatifs en vue de la boum du soir. Les animateurs circulent dans les couloirs du bâtiment des garçons et les conseillent sur les parfums, le gel et les vêtements à mettre. « Va falloir pécho les gars, je veux pas vous voir

revenir en mode canard ». Du côté des filles, la situation est similaire :

les animatrices donnent leur avis sur les tenues. Ainsi cette animatrice s’exprime sur un haut échancré qui laisse deviner la poitrine : « Euh ça c’est très, très chaud on va dire ! Ils vont tous te courir

derrière si tu mets ça ! »

[Extrait du journal de terrain, centre des Galets, juillet 2011] Et il en va de même à travers les discours des animatrices.

« Il faut les aider tu comprends, ils osent pas trop se draguer. Donc avant de sortir, je vais voir les filles, je les conseille pour se pomponner et tout ça. Genre comment mettre du maquillage pour pas faire pute et draguer. C’est aussi le moment pour sonder un peu si elles veulent sortir avec des garçons, comme ça je peux faire un peu de prévention. Après genre hier, je suis aussi allée voir les garçons… je vois, je conseille pareil, genre non tu mets pas le même tee-shirt la journée et le soir pour draguer. Non. C’est comme ça, les filles aiment les mecs qui se lavent [rires]. Ça peut paraître débile, mais c’est ça aussi… ils ont besoin qu’on leur dise comment faire pour séduire et tout ça. Les garçons faut leur dire qu’il faut qu’ils s’épilent sous les bras… on appelle ça les “écureuils” ici, mais c’est ça qu’est drôle, après ça les aide pour la suite de leurs aventures. »

[Audrey, 26 ans, animatrice]

La façon dont les filles et les garçons sont habillés participe fortement à la construction des identités de genre. Pendant l’adolescence et la puberté, le travail du corps et de son apparence est particulièrement décisif, car les différences entre sexes correspondent à de nouveaux enjeux de séduction, de positionnement réciproque. C’est alors le moment où les jeunes tentent de s’approprier des apparences, des modèles, des comportements puisés

copains, copines, les comportements d’imitation entre amis sont alors perçus comme particulièrement importants pour apprécier la pertinence de la présentation de soi choisie. L’ensemble de ces situations ne laisse que peu de place à l’expression de sentiments ou de pratiques homosexuelles. En milieu clos, dans la colonie, l’homosexualité est ignorée par les adultes et n’existe pas pour la plupart des jeunes (exceptés ceux qui seraient concernés et qui par conséquent n’en font aucune publicité). « La situation des jeunes gays attire l’attention : la publicisation de l’homosexualité et son accueil restent problématiques même si l’homosexualité est moins difficilement dite. […] Les jeunes gays font l’expérience de situations paradoxales au sens où “ces acceptations de principe” se combinent avec de nombreux rappels à l’ordre hétérosexiste. Ceux-ci sont parfois violents et explicites, comme l’Enquête presse gay l’indique. Ils sont souvent plus implicites et peuvent émaner inconsciemment de ceux-là mêmes qui font part d’une acceptation de principe. » (Rault, 2011, p. 21) ce que l’on constate dans les propos des animateurs.

« Moi je pense que tous les jeunes, il faut être à leur écoute, savoir prendre du temps avec eux… avec leurs questions… et puis s’ils ont des questions sur la sexualité, faut les écouter…

Q : Ça t’es déjà arrivé de parler de la sexualité, de l’homosexualité avec des jeunes en colo ?

Euh ben de sexualité oui, en fait ça sert aussi à les rassurer. Et puis on est un peu des modèles pour eux donc faut faire avec. Donc on les aide à draguer les filles, à avoir des techniques pour séduire et tout, mais aussi pour danser et savoir respecter les filles… on dit bien aux garçons que pour plaire à une fille, faut la faire rire et faut l’écouter. C’est la base. Même si en même temps on leur dit “faut pas coucher en colo” [rires]. C’est le truc un peu contradictoire… Mais je sais bien qu’on a une influence sur les garçons avant les boums, avant qu’ils aillent draguer les filles. » [Mory, 20 ans, animateur]

« La période de jeunesse est marquée par l’apprentissage progressif de la sexualité ou plus exactement de l’hétérosexualité » (Hamel, 2012), mais on constate toutefois que dans bon nombre de colonies de vacances, le travestissement est autorisé voir organisé. On ne compte pas les récits de jeunes qui font part de veillées où le thème est « filles en garçons, garçons en filles ». Ces soirées font un tabac à chaque fois, dans la mesure où elles sont l’occasion pour chaque genre d’aller vers l’autre. C’est un temps où les filles et les garçons ont le droit de circuler librement dans la zone « interdite », celle de l’autre sexe, et ce dans le but de pouvoir obtenir des vêtements pour le déguisement. Les apparats sont alors associés à des paroles et à des comportements, il s’agit d’exacerber tout ce qui appartiendrait à l’autre sexe. C’est l’occasion de pouvoir observer les représentations qu’ont les adolescents

de l’autre et leur manière de le mettre en valeur (ou de le ridiculiser). Nous avons pu assister à une de ces soirées au centre des Galets.

Les filles déguisées en garçons portent des pantalons larges qui leur tombent sous les fesses et qui laissent ainsi des caleçons colorés apparents, elles ont des tee- shirts larges et ont la tête recouverte d’une casquette. Enfin, elles mâchent des chewing-gums et utilisent un vocabulaire vulgaire, symbole suprême de la masculinité. Quant aux garçons, ils portent tous des soutiens-gorge très rembourrés que le haut choisi laisse apparents, ils ont des minijupes, des chaussures à talon (ou des sandales) et surtout sont maquillés à outrance, symbole suprême de la féminité. Ces soirées sont l’occasion de renforcer les stéréotypes de genre déjà très présents dans les discours et les pratiques des jeunes.

En transgressant le cadre de l’identité et du genre par les jeux de travestissements, d’autres configurations identitaires sont possibles.