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L’extinction de la chaux, son transport et ses usages Extinction

Archives communales de Vermes (ACV)

12.1 La chaux : procédés de fabrication et usages .1 Introduction

12.1.6 L’extinction de la chaux, son transport et ses usages Extinction

Aucun site n’a livré de fosse d’extinction de la chaux, ce qui implique que le produit était transporté sous forme de chaux vive. L’absence de telles fosses a du reste souvent été souli-gnée dans la littérature 145. L’extinction de la chaux n’est nul-lement nécessaire pour le transport. Elle peut se faire sur le site de consommation et y être conservée pendant plusieurs années dans des fosses étanchéifiées, pour garder une humidité constante. De toute manière, l’eau n’était pas toujours dispo-nible sur les lieux de production.

Mais la principale raison est d’ordre économique. Le transport de chaux hydratée impliquait un surcoût puisque 15 à 20 % de la matière conditionnée – dans des barriques ou des réci-pients – étaient constitués d’eau. On a estimé la quantité de chaux produite à Chevenez - Combe Ronde à environ 22 tonnes (chap. 12.1.5). Avec des chars tractant une charge utile de 800 kg, il fallait près d’une trentaine de trajets pour acheminer la chaux du lieu de production à son (ses) commenditaire(s).

Transport

On comprend mieux l’importance de la voierie, et l’avantage d’élever les fours à proximité de chemins praticables. Dans le cas de Boncourt néanmoins, où l’activité des chaufourniers a traversé les âges, on peut se demander si ce ne sont pas les voies qui ont été construites en raison d’une intense production de chaux, sans doute pérenne. L’idée d’une production de chaux sans discontinuité de l’Antiquité aux Temps modernes ne peut être prouvée puisque la combe n’a pas été intégralement fouillée. Elle est néanmoins suggérée par les nombreux étale-ments de déchets (nodules de terre cuite, calcaires chauffés et charbons de bois) caractéristiques de l’exploitation de la chaux (p. ex. ST 11, chap. 3.2.3.4), tout comme par une dépression remplie de cailloux, qui fait penser à la fosse de travail d’un chaufour (fig. 148).

L’importance accordée à la voierie s’est surtout remarquée à Boncourt - Combe Feuillerée, où de vastes surfaces empierrées ont été observées sur presque toute l’étendue des fouilles. Elles se superposent parfois de 50 cm sous le niveau actuel jusqu’à

137 Biston 1836, p. 108-109. 138 Suméra et Veyrat 1997, p. 118. 139 Sweingruber 1976.

140 Les calculs sur la hauteur des fours et les capacités des fours ajoulots ont été effectués par Pierre-Alain Borgeaud.

141 Biston 1836.

142 Gerber, Portmann et Kündig 2002, p. 47. 143 Ibid.

144 Ibid., p.46, note sous le tableau 3.

Fig. 149. Pointe de javelot, trouvée à proximité des em-pierrements dans la couche 3, de Boncourt - Combe Feuillerée. Haut Moyen Age ?

0 2cm

1,80 m de profondeur 146. Ces chemins, d’une largeur de 3,50 à 5,50 m, appartiennent à sept phases différentes, parfois séparées par des limons d’inondation. La phase centrale a été datée par 14C de 1010 à 1210 ap. J.-C., servant ainsi de terminus post- et

ante quem pour les empierrements antérieurs et postérieurs. Les

premiers niveaux pourraient remonter au Haut Moyen Age : rap-pelons la présence, à Grand’Combes, d’une voie datée de cette période (chemin ST 6, chap. 3.2.2.5 ; fig. 149). Pour l’Epoque romaine en revanche, les quelques ornières observées près des fours ont été imprimées à même le sol, et ne laissent entrevoir que de simples chemins de terre 147.

146 Othenin-Girard, Aubry et Detrey 2004, p. 52. 147 Ibid., p. 53-56.

148 Site internet de l’Union des producteurs de chaux, http ://upchaux.fr/ 149 Herbinet 2013.

Fig. 148. Boncourt - Grand’Combes. A

proximité des fours F4 et F5 (à droite, en cours de fouille ; voir détail fig. 60), une fosse aux limites nettes a été mise en évidence (à gauche). Elle était remplie de cailloux calcaires, certains en partie calcinés. Sa présence, tout comme d’autres indices, rendent vraisemblables l’existence d’autres chaufours en dehors des limites de fouille.

Usages

Les usages de la chaux sont nombreux et variés. Aujourd’hui, c’est surtout dans le domaine industriel qu’elle est utilisée, ainsi que dans le génie civil. L’industrie de la fonte en est une grosse consommatrice, tout comme que celle du verre. On retrouve fré-quemment la chaux dans la construction des routes, pour stabi-liser l’assise des chaussées, les terrassements et les remblais 148. Notons encore, pour une part non négligeable, l’emploi de la chaux en agriculture. Cette matière combat l’acidité du sol et facilite l’absorption des éléments nutritifs par les plantes, qui développent des racines plus profondes et deviennent ainsi plus résistantes à la sécheresse. Avec l’intérêt croissant pour les cultures biologiques, ce produit devient de plus en plus d’actualité, parce qu’il préserve l’environnement et la santé des agriculteurs 149. Enfin, à côté de ces activités qui engloutissent plus de la moitié des quantités de chaux produites, il existe toute une série de pos-sibilités d’emploi, comme par exemple dans les appareils respi-ratoires médicaux, pour absorber le dioxyde de carbone. Mais jusqu’au XVIIIe siècle, elle servait de manière privilégiée dans la construction, pour la fabrication de mortier et d’enduits. Comme désinfectant, on l’utilisait en chaulage sur les murs des écuries, voire dans les habitations lors d’épidémies graves.

12.2 Les apports de la recherche archivistique

Qui étaient les chaufourniers, et comment exerçaient-ils leur métier ? Pour la région, aucune source n’est disponible avant le milieu du XVIe siècle. Néanmoins, en ce qui concerne l’Epoque romaine, on a la certitude qu’il s’agit d’artisans spécialisés,

des indépendants itinérants qui viennent d’eux-mêmes pro-poser leurs services ou qui se déplacent à la demande. Ils ont sans doute à la base une formation de maçon car l’une des étapes les plus délicates, lors de l’érection d’un four, est la construction de la voûte. Mal conçue, elle peut s’écrouler prématurément et faire échouer une cuisson ; mais surtout, au moment de son édi-fication déjà, il y a un risque d’effondrement qui peut être fatal à l’ouvrier.

Mais ce qui incite à y voir des professionnels de la chaux, c’est en premier lieu les caractères récurrents observés dans les fours gallo-romains de Boncourt, en particulier les réfections iden-tiques constatées dans plusieurs fours pas forcément contempo-rains. Certains de ces caractères ont aussi été relevés sur le site de Porrentruy - La Perche 150.

Les sources antiques disponibles sont rares et, de surcroît, elles ne sont pas homogènes. Mais elles laissent entrevoir une divi-sion du travail. Il semble que dans la chaîne opératoire, ce ne sont pas les mêmes personnes qui extrayaient la pierre, qui conduisaient le feu et qui transportaient le produit fini.

Nous ignorons bien sûr la manière dont les chaufourniers se fai-saient payer : au poids de produit livré ? Caton parle d’un contrat partiaire, à savoir que l’artisan mandaté par un commanditaire garde pour lui une certaine quantité de chaux. Mais il reste délicat d’extrapoler ce renseignement à l’ensemble des pro-vinces, de la République à l’Antiquité tardive 151. Le seul indice d’ordre économique provient de L’édit du maximum, promulgué par Dioclétien en 301 ap. J.-C. On y apprend qu’à cette époque, un chaufournier salarié gagnait 50 deniers par jour (plus un repas), soit la même chose qu’un maçon, un menuisier ou un boulanger 152. Il s’agit là d’un salaire qui semble être la norme pour les activités artisanales de base. Le Code de Théodose, édicté en 438, atteste qu’à cette période en tout cas, les chaufourniers formaient une corporation 153.

Il faut ensuite attendre les années 1550-1560 pour qu’appa-raissent les premières mentions de la production de chaux dans l’ancien Evêché de Bâle (chap. 11). Comme il ressort clairement des archives, la construction d’un chaufour est soumise à auto-risation princière et fait l’objet d’une taxe, au moins dans les seigneuries de Porrentruy et de Delémont. Les demandes d’au-torisation proviennent aussi bien de communautés villageoises que de particuliers.

L’attitude de l’administration princière face à la production de chaux semble dictée par une volonté de préserver les forêts, domaniales ou privées. De grandes surfaces boisées avaient en effet été exploitées pour alimenter en charbon et en cendres les forges et les verreries des princes-évêques.

Au XVIIe siècle, il semble que les chantiers publics fonctionnent surtout avec des corvéables, une main-d’œuvre bon marché, près de deux fois moins chère que des ouvriers libres, mais peu expé-rimentée. Un accident mortel est du reste attesté à Bressaucourt. Le XVIIIe siècle se caractérise par la généralisation, en Ajoie et dans la vallée de Delémont, d’une pratique déjà ponctuellement attestée aux XVIe et XVIIe siècles : la calcination de la chaux dans les fours de tuiliers, lors des mêmes fournées que les briques et les tuiles. On peut supposer que ceci est lié, encore une fois, à une volonté de ménager le combustible en rentabilisant les fours au maximum, d’autant plus que les tuiliers semblent avoir eu une meilleure maî-trise du feu. Néanmoins les tuileries n’ont jamais entièrement sup-planté les chaufours. La manière de travailler des tuiliers n’est pas connue. Mais on peut envisager que le procédé devait être proche de celui encore utilisé en Tunisie au XXe siècle. Certains fours ser-vaient en effet à la cuisson commune du calcaire et des briques. Les pierres, qui ont besoin des plus hautes températures pour se calciner, étaient disposées à même la sole, là où la chaleur était la plus forte, et les briques étaient entassées par-dessus 154.

Un dernier changement apparaît dans les années 1780-1790 : la venue de chaufourniers itinérants originaires de la région de Saint-Claude (Jura, F). Les mentions de leurs passages se mul-tiplient au XIXe siècle. Les maîtres d’œuvre sont alors les com-munes, qui revendent la chaux aux particuliers. La question, qui reste ouverte à l’heure actuelle, est de savoir si la venue de ces chaufourniers français est liée à un arrêt de la production de chaux dans les tuileries. Mais en marge de ces spécialistes qui érigeaient des structures de très grande capacité, les maçons autochtones ont sans doute continué à produire de la chaux dans des installations privées et ont fait perdurer leur savoir-faire jusqu’au début du XXe siècle (fig. 150).

150 Fouilles inédites, direction V. Légeret.

151 Pour l’organisation du travail des chaufourniers à l’Epoque romaine, voir en particulier Lavergne et Suméra 2000, p. 464-468.

152 Lauffer 1971. 153 Adam 1989, p. 83. 154 Ibid., p. 71.

1 Introduction

La question posée par l’archéologue était de savoir quelle chaux a été produite dans les chaufours ajoulots. La production de chaux aérienne était attendue, mais se posait la question de la chaux hydraulique. Les analyses effectuées par T. Adatte per-mettent d’aborder la problématique (chap. 10).