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Chapitre 1 Contexte théorique

1.3. Le rôle de l'excitation sexuelle dans la coercition sexuelle

1.3.2. L'explication du rôle de l'excitation sexuelle

Myopie motivationnelle et théorie du choix rationnel

Parmi les explications avancées pour rendre compte des effets de l'excitation sexuelle, la première s'inscrit directement dans la lignée des propositions de Loewenstein (1996) et souligne avant tout l'importance des processus attentionnels. Il a ainsi été proposé que l'excitation sexuelle serait à l'origine d'une forme « myopie motivationnelle » (Ditto, Pizarro, Epstein, Jacobson, & MacDonald, 2006, p. 111). Sous l'effet de l'excitation sexuelle, et de manière similaire à la myopie alcoolique, une attention particulière serait alors portée aux indices associés à cet état, et ce, au détriment d'une intégration de différentes sources d'informations ou d'un traitement de l'information plus exhaustif. Les indices susceptibles d'inhiber l'excitation sexuelle et plus largement la recherche de comportements alternatifs à un comportement sexuel seraient alors traités comme des informations périphériques, voire seraient ignorés (Ariely & Loewenstein, 2006). L'idée d'une myopie motivationnelle est d'autant plus intéressante qu'elle s'articule relativement bien avec le rôle de la perception erronée des intentions comportementales. Ainsi, et de manière à nouveau similaire aux effets de l'alcool, l'excitation sexuelle pourrait augmenter la probabilité d’une perception erronée des intentions comportementale qui, à son tour, augmenterait le risque de coercition sexuelle (Bouffard & Miller, 2014; Maner et al., 2005).

Toutefois, au-delà d'une seule perception erronée, et plus largement d'une attention portée aux seuls indices instigateurs d'un comportement sexuel, il a été proposé que le rôle de l'excitation sexuelle s'explique plus largement par ses effets sur la perception des conséquences associées à la coercition sexuelle. Cette explication s'inscrit directement dans la lignée de la théorie du choix rationnel (Clarke & Cornish, 1985; Cornish & Clarke, 1986). D'après cette théorie, dominante en criminologie, la décision de commettre une infraction s'expliquerait par la perception des coûts et des bénéfices associés au passage à l'acte. Plus exactement, et au travers d'un processus fondamentalement subjectif, les individus prendraient en compte les conséquences d'un éventuel passage à l'acte et effectueraient une sorte de pondération entre les coûts (i.e. les conséquences négatives) et les bénéfices (i.e. les conséquences positives). La décision de passer à l'acte surviendrait lorsque les bénéfices

dépassent les coûts. Il a alors été proposé que l'excitation sexuelle puisse avoir pour effet d'augmenter la perception des bénéfices (par exemple, prendre du plaisir) et de diminuer la perception des coûts (par exemple, un sentiment de culpabilité ou être arrêté), précipitant ainsi la décision d'utiliser des stratégies coercitives. Toutefois, les résultats disponibles n'offrent qu'un soutien très partiel à ce mécanisme, dans la mesure où l'excitation sexuelle pourrait être associée à une perception plus importante des bénéfices, mais n'aurait pas d'effet sur la perception des coûts. Par ailleurs, seules quatre études recensées se sont intéressées à l'effet de l'excitation sexuelle sur la perception des conséquences, et une seule a utilisé des analyses de médiation (Bouffard, 2014), de telle sorte que la validité de ce mécanisme reste encore une question ouverte. À cet égard, la distinction introduite par Bouffard (2011, 2014) entre un rôle médiateur des bénéfices et un rôle modérateur des coûts est particulièrement intéressante.

Autorégulation et processus duaux

La théorie du choix rationnel et la myopie motivationnelle, si elles constituent des explications intéressantes, n'apparaissent pas entièrement satisfaisantes. En effet, si elles permettent de rendre compte de la manière dont des informations peuvent être ignorées ou minimisées, ces explications ne permettent pas de rendre compte du rôle de la régulation de l'excitation sexuelle. À cet égard, la perspective de l'autorégulation apparait particulièrement intéressante. De manière générale, l’autorégulation correspond à la capacité de moduler, voire d’inhiber, des réponses automatiques afin de maintenir la poursuite et l'atteinte d'un objectif fixé (Carver & Scheier, 2011). L'explication des effets de l'excitation sexuelle en termes d'autorégulation cognitive et comportementale permet alors de souligner que loin d'être univoques, ces effets tiendraient avant tout à une modification de l'équilibre entre des processus ascendants et des processus descendants (Heatherton & Wagner, 2011). Plus exactement, des différences individuelles ou des facteurs situationnels, susceptibles d'affecter l'un de ces processus, pourraient alors expliquer la modification de cet équilibre en faveur des processus ascendants et, ultimement, les effets de l'excitation sexuelle (Nolet, Rouleau, Benbouriche, Carrier-Emond, & Renaud, 2015).

La distinction entre des processus ascendants et des processus descendants s'inscrit dans une conception somme toute classique des processus cognitifs, généralement définie comme un modèle des processus duaux (pour une recension, voir Evans, 2008). Les processus ascendants, également nommés processus implicites ou Système 1, rendent compte d'un traitement de l'information soumis à l'influence des stimuli et plus largement de la situation immédiate. Le traitement de l'information est alors plus superficiel et favorise les indices les plus saillants. À l'inverse, les processus descendants, également nommés processus explicites ou Système 2, rendent compte du contrôle cognitif et plus largement du maintien d'objectifs à long terme (i.e. non déterminés par les stimuli immédiats). Le traitement de l'information est plus exhaustif et permet de traiter aussi bien des indices centraux que des indices périphériques; la situation n'est pas ici restreinte qu'à ses considérations immédiates. Cette distinction permet alors de souligner que la seule excitation sexuelle n'apparait pas suffisante pour en expliquer les effets dans la mesure où elle ne dit rien de la capacité à moduler, voire inhiber, les processus ascendants. Autrement dit, et malgré un état d'excitation sexuelle même particulièrement intense, des effets sur le traitement de l'information et la prise de décision pourraient ne pas être observés si les processus descendants peuvent produire un contrôle cognitif suffisant. À titre d'exemple, les effets de l'excitation sexuelle pourraient être régulés par la disponibilité d'indices inhibiteurs (niveau situationnel) ou par des différences individuelles quant à la capacité des individus à mobiliser des processus explicites (niveau individuel). De manière similaire, et malgré un contrôle cognitif le plus souvent efficace, des effets pourraient être observés si l'excitation sexuelle apparaissait si intense qu'elle ne peut plus être régulée ou si l'efficacité du contrôle cognitif était temporairement affectée.

De manière quelque peu schématique, cela revient ainsi à souligner que des individus, bien qu'ils soient excités sexuellement, pourraient tout à fait maintenir un contrôle cognitif suffisant, de telle sorte que l'excitation sexuelle n'ait aucun effet sur le traitement de l'information et, ultimement, la coercition sexuelle. À cet égard, l'étude de Spokes et al. (2014) est particulièrement intéressante dans la mesure où elle souligne le rôle des fonctions exécutives, et en particulier de la mémoire de travail, comme facteur modérateur. La mémoire de travail correspond à la charge maximale d'informations qui peut être traitée sans nuire à l'efficacité du fonctionnement cognitif. La mémoire de travail a alors été définie comme un

élément central de l'autorégulation (voir par exemple, Engle & Kane, 2004). Les résultats de l'étude de Spokes et al. (2014) suggèrent que les individus avec une forte capacité de mémoire de travail pourraient maintenir un contrôle cognitif suffisant, de telle sorte que bien qu'ils soient excités sexuellement, leur excitation n'aurait pas d'effet sur le temps de latence pour indiquer qu'un homme devrait arrêter ses avances sexuelles. Toutefois, chez les individus présentant une faible capacité de mémoire de travail, l'excitation sexuelle aurait un effet dans le sens attendu, car ces individus ne seraient pas en mesure d'exercer un contrôle cognitif suffisant.

De manière plus générale, la perspective de l'autorégulation est d'autant plus intéressante qu'elle s'accommode relativement bien de la myopie motivationnelle et de la théorie du choix rationnel (i.e. en tant que processus ascendants) tout en relativisant les effets l'excitation sexuelle en matière de coercition sexuelle (i.e. une prégnance plus importante des processus ascendants peut ne pas être suffisante). Plus exactement, chez les individus présentant un contrôle cognitif relativement faible (voire modéré, d'après les résultats de Spokes et al., 2014), l'effet de l'excitation sexuelle serait (plus ou moins) directement dépendant de son intensité, cette intensité déterminant l'intensité de la myopie motivationnelle ou une modification de la perception des conséquences en faveur des bénéfices de la coercition sexuelle. Toutefois, chez les individus présentant un contrôle cognitif suffisant, l'excitation sexuelle pourrait ne pas entrainer une myopie motivationnelle ou une modification de la balance des coûts et des bénéfices. Par ailleurs, même si des effets étaient observés sur le traitement de l'information et la prise de décision, un contrôle cognitif suffisant pourrait permettre de rejeter ou modifier le comportement initié sous l'effet de l'excitation sexuelle. En effet, et comme le rappellent Exum et Zachowicz (2014) :

[Les décisions] qui sont initiées par le Système 1 sont soumises au Système 2 pour une révision (Kahneman, 2003, 2011), durant laquelle elles peuvent être acceptées (aboutissant à un comportement), altérées (aboutissant à un comportement modifié) ou rejetées (aboutissant à une absence de comportement). (p. 113)

Enfin, la perspective de l'autorégulation s'avère également intéressante pour rendre compte des effets d'interaction entre l'alcool et l'excitation sexuelle. Au regard de ses effets sur les fonctions exécutives, l'alcool pourrait ici être compris avec un facteur situationnel à même

de modifier l'efficacité des processus descendants et du contrôle cognitif6. Ainsi, suite à la

consommation d'alcool, les individus se trouveraient davantage soumis aux effets de l'excitation sexuelle et de la situation immédiate.

1.4. Le rôle des distorsions cognitives dans la coercition sexuelle