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L’ EXERCICE DU DROIT MORAL DU PARTICIPANT – INTERPRETE

134. Le législateur, au titre du droit voisin du droit d’auteur, a conféré à l’artiste-interprète un quasi-droit moral. En effet, le participant-interprète bénéficie d’un droit moral sur son interprétation,

356 Art L. 121-4 CPI.

357 Les contrats doivent être respectés par les parties qui les ont conclus.

358 Art 1103 C civ (ancien article 1134) : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. ».

359 André Lucas, Henri-Jacques Lucas, et Agnès Lucas-Schloetter, supra note 77, à la p 463, au para. 525. Christophe Caron, supra

note 79, aux pps. 233-234, au para 266.

360 Art L. 121-4 CPI : « Il ne peut toutefois exercer ce droit qu'à charge d'indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice

que ce repentir ou ce retrait peut lui causer. ».

seulement dans les prérogatives liées au respect de cette dernière (§ 1), ne pouvant se prévaloir de prérogatives liées à la divulgation de son interprétation (§ 2).

§ 1) Les prérogatives liées au respect du participant sur son interprétation

135. La mise en œuvre du droit à la paternité – L’article L. 212-2 relatif aux droits voisins

du droit d’auteur, énonce que « L’artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation »362. Tout comme l’auteur, l’artiste-interprète a le droit de voir son nom lié à son

interprétation. Il a, dans un versant négatif, la possibilité d’utiliser un pseudonyme, ou de ne pas apposer son nom. L’artiste-interprète a également le droit au respect de sa qualité, de la même façon que l’auteur. Cette prérogative suppose que son nom soit associé à son interprétation, tant sur le support de fixation de l’interprétation, que sur les documents s’y référant363. En outre, elle suppose que le nom ou la qualité de

l’interprète ne soit ni altéré, ni modifié, ni déformé364. Or, les participants d’une œuvre d’art participatif

de catégorie 4 a) peuvent prétendre au statut d’artiste-interprète. Il conviendrait d’apposer leurs noms sur tous les documents liés à l’œuvre. Cependant, ils peuvent être dix comme dix milles. Il est ainsi impossible de mentionner tous les noms des participants sur l’œuvre, ou sur les documents s’y référant. En outre, ces derniers sont bien souvent de passage, et anonymisés dans parmi les passants. Il conviendrait alors de mettre en place un dispositif de renseignements sur la personne avant toutes interactions avec l’œuvre proposée par l’artiste, pour faciliter la mise en œuvre de son droit à la paternité. Le Traité de l’OMPI envisage de telles situations. L’article 5 § 1 énonce que l’artiste-interprète a le droit au respect de son nom « sauf lorsque le mode d’utilisation de l’interprétation ou exécution impose l’omission de cette mention ». La jurisprudence française a notamment fait application de cette exception dans le domaine de l’audiovisuel365. Il serait judicieux, au regard des difficultés pratiques, de permettre

l’application de cette exception aux œuvres participatives de catégorie 4a). Cependant, il apparaitrait logique que ce droit renaisse au profit du participant-interprète lorsque seule son interprétation est visée dans un document, et non l’œuvre participative d’une manière générale. Le recours à un formulaire avant toute participation du public s’avère ici pertinent afin de faciliter le respect de ce droit. L’artiste-interprète bénéficie également d’un droit au respect de son interprétation, comme l’auteur sur son œuvre.

136. La mise en œuvre du droit au respect de l’interprétation – L’article L. 212-2 du

CPI366 permet à l’artiste de s’opposer, en application de son droit au respect de son interprétation, à toute

altération, dénaturation367, ou déformation368 de sa prestation. Par un jugement du 10 janvier 1990, les

juges du fond ont même fait primer le droit de l’artiste-interprète sur celui de l’auteur en énonçant que « les droits de l’auteur ne font pas obstacle au droit au respect de l’interprétation énoncé à l’article 17

362 Art L. 212-2 CPI.

363 Trib. gr. inst. Paris, 1er juin 1987, (1987) Images Juridiques 8.

364 Trib. gr. inst. Paris, 22 mai 2002, (2003) RIDA 1.317 (obs. André Kerever) ; (2002) Légipresse 195.I 115. CA Versailles, 4 avril

2002, (2003) RIDA 2.217.

365 CA Paris 4e ch. sect. B., 14 décembre 2001, Sté Nationale de télévision France 3 c/ Giuliani, inédit : « il n’est d’usage de

mentionner le nom des auteurs et artistes-interprètes d’œuvres musicales faisant l’objet d’une utilisation à la télévision que lorsque cette utilisation donne lieu à un générique ».

366 Art L. 212-2 CPI : « L’artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation ».

367 Cass soc, 8 février 2006, (2006) Comm. com. électr. comm.57 (note Christophe Caron) ; (2006) D 3000 (obs. Pierre Sirinelli). 368 Patrick Tafforeau, Droit de la propriété intellectuelle, 4e éd, coll. Master, Paris, Gualino, 2015, à la p 239, au para 293.

de la loi du 3 juillet 1985 »369. Le participant d’œuvre participative de catégorie 4 a) peut ainsi

revendiquer le droit au respect de son interprétation. Or, la difficulté survient quand l’interprétation qui est donnée par l’un est la source de l’interprétation d’un autre. En effet, le public de l’interprétation pouvant lui-même devenir interprète, il arrive qu’il s’inspire de ce que le précédent participant a effectué. Il peut même être amené, sans mauvaise intention, à modifier l’interprétation du premier, à la déformer, tant dans sa forme matérielle que dans sa forme spirituelle. Bien que souvent cette déformation se passe en présence du premier participant, devenant à son tour public de l’interprétation du second, et avec son accord, il est possible que ce dernier allègue le droit au respect de son interprétation. Dans un tel cas d’école, la preuve serait difficile à rapporter par le premier interprète en raison du caractère éphémère de l’œuvre participative et de l’interprétation qui en est donnée. Ici, l’œuvre participative peut être rapprochée d’une œuvre de spectacle vivant, exceptée en ce que l’interprète n’a que rarement conscience de sa qualité et de ses droits. Il peut ainsi exiger que son interprétation soit respectée tant par l’entrepreneur de spectacle (ici l’organisme accueillant l’œuvre participative), le metteur en scène (l’artiste de l’œuvre participative), que par le public (simples spectateurs, intervenants, ou futurs interprètes)370.

137. Respect du participant-interprète sur son interprétation – Il apparait, à l’aune de ces

développements, que tout comme l’auteur de l’œuvre participative de catégorie 4a), le participant- interprète dispose d’un droit à la paternité et d’un droit au respect sur son interprétation. De telles prérogatives sont également octroyées par le droit canadien aux artiste-interprètes371. Bien que quelques

difficultés pratiques soient soulevées par la mise en œuvre de ces deux prérogatives, elles s’avèrent rapidement résolues au regard de la souplesse admise en jurisprudence et du public auquel l’œuvre participative s’adresse. Il convient ensuite de rechercher si le participant peut prétendre, tout comme l’auteur, à des prérogatives morales liées à la divulgation de son interprétation.

§ 2) L’absence de prérogatives liées à la divulgation de l’interprétation

138. L’absence de droit de divulgation – Dans les dispositions du CPI ayant trait au droit

moral de l’artiste-interprète, rien n’indique que ce dernier dispose d’un droit de divulgation, à l’instar de l’auteur372. Une partie de la doctrine373 considère cependant qu’une telle prérogative lui est accordée, dans

le silence du législateur, notamment au regard de l’article L. 212-3 du CPI374. La jurisprudence375 a

369 Trib. gr. inst. Paris, 10 janvier 1990, (1990) RIDA 3.368 ; (1991) D jurispr.206 (note Bernard Edelman) ; (1991) D somm.99

(obs. Claude Colombet). Xavier Daverat, « L’impuissance de la gloire, Remarques sur l’évolution contemporaine du droit des artistes-interprètes », (1991) chron.93 D

370 Sarah Noviant, supra note 131, à la p 375, au para 403. 371 Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42., art. 17.1 (1). 372 Voir paras. 134 à 136, ci-dessus. Art L. 121-2 CPI.

373 Xavier Daverat, L’artiste-interprète, Thèse de doctorat en droit, Bordeaux 1, 1990, à la p 737 ; Daniel Becourt, « Réflexions sur

la loi du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins », (1986) II 14722 JCP E.

374 Art L. 212-3 CPI : « Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa

communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image. Cette autorisation et les rémunérations auxquelles elle donne lieu sont régies par les dispositions des articles L. 762-1 et L. 762-2 du code du travail, sous réserve des dispositions de l'article L. 212-6 du présent code.

semblé un temps aller en ce sens. Cependant, la doctrine majoritaire376 refuse de reconnaitre un tel droit

de divulgation à l’artiste-interprète sur son interprétation. Cette position a finalement été consacrée par un arrêt très clair de la Cour de cassation377. Reconnaitre un tel droit à l’artiste-interprète lui aurait permis de

s’opposer aux droits de l’auteur de l’œuvre qu’il interprète, notamment en n’autorisant pas la divulgation de son interprétation. Cette solution facilite la mise en œuvre des droits des participants d’une œuvre participative de 4ème catégorie, et le rapport entre l’auteur de l’œuvre et son public. Il aurait d’une part été

complexe de déterminer le public de l’interprétation que suppose un tel droit, notamment dans le cas où toutes les personnes présentes interagissent avec l’œuvre, ou lorsque les seules personnes présentes font partie du cercle de famille378 du participant. En outre, il aurait été délicat qu’un seul participant puisse

s’opposer à l’exploitation de l’œuvre participative par l’artiste l’ayant créée379. Ainsi, le participant, bien

qu’il décide du moment de réalisation de son interprétation de l’œuvre participative de catégorie 4 a), ne dispose pas à proprement parlé d’un droit de divulgation sur cette dernière, en ce qu’il ne peut s’opposer, une fois son interprétation effectuée, à sa divulgation. Il convient de regarder s’il dispose en revanche, comme l’auteur, d’un droit de retrait et de repentir.

139. L’absence de droit de retrait et de repentir – Le silence du législateur est également

patent vis-à-vis d’un éventuel droit de retrait et de repentir de l’artiste-interprète. Rien n’indique dans les articles liés aux droits moraux de l’artiste-interprète que ce dernier disposerait d’une telle prérogative, à l’instar de l’auteur d’une œuvre de l’esprit. La doctrine380 semble sur ce point unanimement interpréter ce

silence comme le refus d’octroyer un tel droit, même si un commentateur381 a semblé percevoir dans un

arrêt de la Cour d’Appel de Paris382 le positionnement inverse. Cette solution est salutaire du point de vue

des droits de l’auteur. En effet, le fait d’autoriser l’artiste-interprète à retirer ou modifier son interprétation après coup aurait inévitablement des incidences sur l’exploitation même de l’œuvre qu’il interprète. En outre, si une telle prérogative avait été admise à la faveur des participants-interprètes de l’œuvre participative de catégorie 4 a), sa mise en œuvre aurait été délicate. Ici encore, il aurait fallu que l’artiste garde trace de toutes les interprétations. Ensuite, l’artiste n’aurait pas pu exploiter par exemple les photos ou le film tirés de son installation dans lesquels un participant aurait exercé son droit de retrait sur son interprétation. Enfin, la modification d’une interprétation aurait été délicate à effectuer en pratique, en raison de la diffusion « en direct » de l’interprétation donnée par le participant.

140. Exercice des prérogatives morales du participant interprète – Le participant d’une œuvre participative de catégorie 4 a) se voyant octroyer le statut d’artiste-interprète peut prétendre aux prérogatives liées au respect de son interprétation, que sont le droit au respect de la paternité et le droit au respect de son interprétation. En revanche, à l’instar de l’auteur, il ne peut revendiquer le bénéfice de

376 Pierre-Yves Gautier, supra note 191, au para 147 ; André Lucas, Henri-Jacques Lucas, et Agnès Lucas-Schloetter, supra note 77,

au para 1171 ; Michel Vivant et Jean-Michel Bruguière, supra note 217, au para 1205 ; Stéphane Pessina Dassonville, L’artiste- interprète salarié (entre création intellectuelle et protection sociale), Paris, PUAM, 2006, au para 366 ; Frédéric Pollaud-Dulian, supra note 110, au para. 1607.

377 Cass civ 1re, 27 novembre 2008, (2008) JurisData 045980 ; (2009) Comm. com. électr. comm.13, aux pps 29-30 (note Christophe

Caron) ; (2009) RIDA 1.379 (note Pierre Sirinelli).

378 Art L. 122-5 CPI.

379 Notamment au regard de la clause de sauvegarde posée par l’art L. 211-1 CPI

380 André Lucas, Henri-Jacques Lucas, et Agnès Lucas-Schloetter, supra note 77, au para. 1029 ; Frédéric Pollaud-Dulian, supra

note 110, au para. 1606 ; Christophe Caron, supra note 79, au para 957 ; Tristan Azzi, « Le droit moral de l’artiste-interprète. Retour sur les silences troublants du législateur », (2008) PI 286.

381 Bernard Edelman, « Enquête sur le droit moral des artistes-interprètes », (1999) D 12.242. 382 CA Paris, 13 mai 1998, Bécaud c/ Société Paris Première, (1998) JurisData 021981.

prérogatives liées à la divulgation de son interprétation, que sont le droit de divulgation et le droit de retrait et de repentir. D’un point de vue moral, les droits conférés par le législateur, tant à l’auteur, qu’à l’artiste-interprète s’appliquent parfaitement bien aux œuvres participatives de catégorie 4 a). Il convient de rechercher s’il en est de même des droits patrimoniaux.