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L’exemple d’un dossier à réaliser

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 191-199)

La coopération des enseignants

2. L’exemple d’un dossier à réaliser

Lors de notre immersion en observation participante, nous avons pu constater différents obstacles rencontrés lors d’un cours intitulé « Interactions et technologies ». Dans l’exemple qui suit, nous verrons les difficultés auxquelles l’étudiant s’est trouvé confronté pour pouvoir suivre l’enseignement de ce TD.

Lors de la première séance de cours, l’enseignant a distribué des articles à lire sur lesquels il posait des questions. Au vu de la longueur du texte, l’assistant a choisi de lire les articles

191 dans sa tête puis de les résumer à l’étudiant afin qu’il puisse en prendre connaissance.

Toutefois, il en a résulté une perte d’informations pour l’étudiant qui n’est alors pas en mesure de prendre connaissance de la totalité du texte. Peut-être aurait-il fallu qu’il soit proposé que les étudiants fassent une lecture à voix haute avant de leur donner un temps de réflexion. Pour les séances à venir, afin de remédier à ce problème, l’enseignant a alors proposé de mettre à disposition de l’étudiant les articles sur la plateforme d’apprentissage quelques jours avant le cours afin qu’il puisse en prendre connaissance avant de se rendre au cours. Le problème de la lecture des articles ayant été résolu, un autre problème s’est présenté. Ce cours propose des analyses de conversation à travers l’usage des technologies.

Des vidéos sont donc montrées dans le but de les analyser : tours de parole, gestualité associée dans la prise des tours, façon de s’imposer dans l’espace interactionnel… Cette ressource n’étant accessible par l’étudiant qu’au niveau de l’écoute, l’assistant pédagogique expliquait à ce dernier ce qui se déroulait sur la vidéo au fur et à mesure. Afin de décrire le visuel à un non-voyant il est alors nécessaire de faire appel à la fonction descriptive du discours; ce qui implique que l’étudiant doive s’appuyer sur les capacités d’analyse de son assistant. Cet exercice a duré deux séances de travaux dirigés, ce qui a été difficile pour l’étudiant qui a avoué ne pas vraiment comprendre ce qui se déroulait. Difficile cependant de substituer un autre élément à la vidéo sachant que l’analyse des interactions à travers les vidéos fait partie intégrante de ce cours. Il est effectivement demandé à l’enseignant de s’adapter au handicap de l’étudiant et c’est ce qu’il a fait dans un premier temps en anticipant l’envoi des articles mais cela s’est avéré difficile sur la présentation des vidéos.

Concernant les modalités d’examen de ce cours, il était proposé deux modalités au choix : 1. soit un devoir sur table de deux heures (questions de cours) ;

2. soit un dossier (pouvant être réalisé en binôme ou trinôme) à rendre en fin de semestre (date à préciser), comprenant :

un enregistrement audiovisuel d'une interaction (impliquant des technologies). Le fichier vidéo devant être transmis sur un format MPG4 ;

une transcription d'une minute centrée sur la dimension sonore de l’activité observée.

S’adaptant à l’étudiant, l’enseignant lui a alors proposé dans le cas où il choisirait la seconde solution, d’effectuer un enregistrement audio à la place de l’enregistrement audiovisuel. Malgré ce changement, l’accomplissement de ce devoir n’a pu se faire que grâce à l’aide de son tuteur. Faire une transcription consiste à écouter et noter ce que l’on entend, mais dans le cas de l’étudiant non-voyant cet exercice est compliqué puisque tout s’exécute sur l’ordinateur avec la synthèse vocale. Or, le fait d’écouter le texte à transcrire et entendre en même temps sa saisie par la synthèse vocale fait double écho. Cela a d’ailleurs été remarqué lors de la séance de transcription :

CorpusVII

TUT 1. et tu sais que ça c’est impossible que tu le fasses tout seul en vérité 2. parce que comment tu fais ? ça parle tu ouvres une autre fenêtre où tu 3. écris en même temps pendant que la synthèse vocale te lit ce que tu

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4. écris ce que tu écoutes c’est un truc infaisable

Le travail effectué à deux se déroule de la façon suivante : l’étudiant est installé devant son poste d’ordinateur et il manipule le fichier à transcrire par des allers retours permettant de bien saisir toutes les données ; pendant ce temps son tuteur écrit les données sur une feuille.

Puis, il les dicte à l’étudiant qui les saisit sur traitement de texte afin qu’il puisse les consulter et les travailler. Le problème central vient du fait qu’en se basant sur l’audition uniquement, l’étudiant se retrouve confronté à un flot d’informations quasi simultanées qu’il est alors très difficile à gérer. Nous comprenons la rapidité des actions dans la succession des verbes d’actions émis par le tuteur :

- [ligne 3] « parle » (la synthèse vocale) et « ouvre » et « écris » (l’étudiant) sont des actions quasi simultanées ; puis « lit » synthèse vocale et « cris » et

« écoutes » (l’étudiant).

La simultanéité est quant à elle marquée par l’adverbe de simultanéité « en même temps » et la conjonction temporelle « pendant que ». Par la suite, l’étudiant explique que lorsque deux solutions sont proposées et qu’une d’entre elles est impossible à faire, il lui reste évidemment la solution d’opter pour la seconde. Cette pratique montre en fait que le choix n’existe pas pour lui car ce sont des paramètres de faisabilité qui oriente l’évaluation.

D’ailleurs, il ne semble pas expliciter cette absence de choix.

Corpus VII

ET1 16. si je sais pas comment faire mon dossier je prends le devoir sur table 17. normal voilà quoi

TUT 18. donc tout seul t’aurais pas pu le faire ça

ET1 19. non la transcription non mais attention pas le reste TUT 20. oui la transcription

ET1 21. oui la transcription voilà exact

Ces propos sont ponctués d’un « normal voilà quoi » [ligne 17] qui vient marquer un caractère logique et évident. Et même si l’étudiant admet que, seule, la première option d’examen s’avérerait impossible, il tient à préciser que la restriction est uniquement due à la transcription. Nous pouvons penser que son besoin de préciser la non-faisabilité de la tâche de la transcription seulement [ligne 19] « non mais attention pas le reste», résulte d’une volonté de ne pas se mettre en situation d’incapacité qui le dévaloriserait aux yeux de son interlocuteur. Cependant, la présence d’un assistant lui a été nécessaire pour les Travaux Dirigés. En effet, nous avons vu que bien que l’aide de son assistant ait été indispensable pour qu’il puisse effectuer ce travail, il a tout de même bénéficié d’une adaptation de la forme du devoir par son enseignant. Les enseignants sont des acteurs importants de l’apprentissage universitaire qui peuvent représenter un réel soutien pour les étudiants déficients visuels.

193 3. Pratiques enseignante

L’adaptation de l’enseignant à la pathologie de l’étudiant prend des formes variées. En nous appuyant sur des extraits provenant du corpus recueilli dans cette recherche, nous en verrons différents exemples. L’extrait qui suit provient d’un entretien entre l’enseignant EN2, l’étudiant ET1 et son tuteur. La problématique est commune à celle du cours « Interactions, Travail et Technologie »1 en ce sens que le travail qui est initialement demandé consiste à analyser une vidéo.

Corpus IV

EN2 31. une observation suivie d’une analyse sur la façon dont une interaction 32. impliquant une pratique culturelle une pratique médiatique une pratique 33. communicationnelle ou médiatisée est produite donc qu’est-ce qui vous 34. intéresse le mieux ? qu’est-ce que vous pouvez mettre en œuvre ? 35. sachant que voilà pour ce qui concerne la transcription je ne vous 36. demanderai évidemment pas une transcription telle que celle que je 37. demanderai à vos autres collègues l’idée est que vous puissiez trouver 38. construire un matériau exploitable par vous et pour vous voilà que vous 39. soyez le plus à l’aise possible pour faire quelque chose d’essayer de 40. trouver quelque chose sur cette activité média culture communication

Le travail demandé par l’enseignant est un dossier comportant une analyse à rendre.

Tout d’abord, l’enseignant part de la généralité du cours en spécifiant les attentes inhérentes au dossier puis s’enquiert de la spécificité de l’étudiant. Nous retrouvons un procédé interrogatif qui signifie que l’enseignant attend la coopération de l’étudiant afin de mettre en œuvre les ajustements nécessaires. Les interrogations sont de deux ordres : premièrement l’enseignant questionne l’intérêt de l’étudiant, c’est-à-dire qu’il interpelle sa motivation intrinsèque [lignes 33-34] « qu’est-ce qui vous intéresse le mieux ? ». Ce procédé est intéressant car devant la difficulté, l’étudiant déficient visuel peut se sentir désemparé2 ; en appeler à ses centres d’intérêt est un moyen de le positionner dans une dynamique positive.

La seconde question se réfère aux capacités de l’étudiant, ceci est parfaitement illustré par le choix d’utiliser le verbe « pouvoir » [ligne 34] « qu’est-ce que vous pouvez mettre en œuvre ? ». L’enseignant souligne son choix de faire appel à une pédagogie différenciée : [lignes 35 à 37] « je ne vous demanderai évidemment pas une transcription telle que celle que

1 Partie IV – Chapitre 2 - 2

2 Notons que cet entretien a eu lieu à la demande de l’étudiant qui s’inquiétait du fait de ne pouvoir effectuer pleinement le travail demandé.

194 je demanderai à vos autres collègues ». Puis, nous retrouvons dans les propositions de l’enseignant un objectif en termes de capacité [ligne 37] « que vous puissiez trouver », et une marque de différenciation [ligne 38] « par vous et pour vous ». L’enseignant n’a pas de proposition d’adaptation toute faite, il demande à l’étudiant d’y réfléchir ce qui peut signifier qu’il est difficile pour l’enseignant d’appréhender ce que peut faire l’étudiant ou bien qu’il ne souhaite pas lui imposer quelque chose. C’est ce que peut nous laisser à penser ce qu’il dit [lignes 38-39] « que vous soyez le plus à l’aise possible ». Il lui paraitrait alors plus pertinent d’inciter l’étudiant proposer une solution. Dans tous les cas, l’intérêt de cet extrait nous apparaît dans l’acte de prise en compte de la situation spécifique de l’étudiant par l’enseignant et par le fait que ce dernier a besoin de la coopération du premier pour pouvoir l’aider au mieux. L’enseignant EN2 est également attentif à ce que l’étudiant puisse bénéficier du contenu de son enseignement.

Corpus IV

64. considérer ce que je vous propose comme une obligation + pour ce qui 65. concerne le cours est-ce que vous avez des difficultés ? est-ce que ça 66. va ?

ET1 67. en fait j’organise mes cours par semaine et la semaine prochaine c’est la 68. semaine du cours d’ethnographie de la communication

EN2 69. est-ce qu’il faut que je vous envoie le cours ou est-ce que les difficultés que pourrait rencontrer l’étudiant. La sollicitude de l’enseignant se retrouve dans les multiples interrogations qu’il formule. [Ligne 3] « est-ce que vous avez des difficultés?

est-ce que ça va? » Cela témoigne de sa volonté de soutenir l’étudiant, de prendre en compte les caractéristiques de sa situation, de pallier les problèmes qu’il pourrait rencontrer.

L’interrogation de l’enseignant [ligne 70] concerne plus précisément l’accès de l’étudiant aux contenus du cours. Les diaporamas mis en ligne sont une trace du cours, un résumé du contenu, mais ne sont toutefois pas suffisants pour cet étudiant qui ne peut prendre de notes du cours. La question de EN2 en termes de “suffisant” est donc bien ciblée. Nous voyons 10. faut pas non plus leur compliquer trop l’existence donc je suis attentive 11. je peux dire que ma technique c’est ça c’est effectivement si j’ai

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12. l’impression qu’elles sont accrochées à leur::: à leur machine 13. éperdument je fais en sorte de ralentir le débit

Cet enseignant affiche clairement sa volonté d’aider autant que possible ET8. Nous postulons qu’évidemment si l’enseignant est sensibilisé aux difficultés de l’étudiant, c’est qu’en amont il a bénéficié d’informations sur sa situation. Dans ces propos : « accrochées […]

éperdument » [lignes 12-13], nous trouvons l’idée de pression temporelle exercée par la vitesse requise par l’exercice de la prise de notes. Evidemment, « ralentir le débit » [ligne 13]

comme le fait l’enseignant est la meilleure option. Cet enseignant tient compte de la minorité et module son temps didactique. Pourtant dans l’extrait suivant, l’étudiant n°3 exprime son opinion et déclare que selon lui les étudiants font plus d’efforts d’adaptation que les enseignants.

Corpus XI

ENQ 442. en fait qui s’adapte ? est-ce que c’est vous qui vous adaptez aux profs 443. ou est-ce que c’est eux qui s’adaptent ?

ET3 444. la plupart du temps c’est nous qu’on s’adapte enfin moi je le ressens 445. comme ça hein parce que moi y’a beaucoup de profs dans l’ensemble je 446. vois quand je vais demander + quand je vois qu’ils ont pas envie et que 447. c’est forcé c’est moi qui m’adapte hein je prends mes notes comme je 448. peux ben voilà ou alors comme ce prof là j’ai décidé de ne plus y aller 449. parce que ça servait à rien

ENQ 450. moi j’ai l’impression qu’eux s’adaptent aussi

ET3 451. oh oui je dis pas le contraire […] y’a eu elle et puis une prof en 452. développement car j’étais en spécialité développement qui m’a fait 453. pareil des dessins sur le bonhomme sur plein de trucs avec de la pâte en 454. relief elle avait trouvé ça dans un magasin classique et elle a trouvé ça 455. ça c’était vachement utile pour faire du relief pour m’expliquer des 456. dessins d’enfants des représentations quand on avait travaillé sur les 457. angles enfin tout ça et du coup euh :: ça m’aidait aussi pour faire mon 458. TE1 de troisième année […]

1 TE : travail d’étude

196 La première partie de cet échange [lignes 443 à 449] montre que les enseignants ne sont pas toujours disposés à s’adapter à une situation d’apprentissage différente. L’étudiant relate que lors de ses requêtes pour avoir les cours en format numérique, il se trouve confronté à la réticence de certains enseignants. Il énonce [lignes 446 et 447] «je vois qu’ils ont pas envie et que c’est forcé ». La contrainte que cela semble générer pour l’enseignant devient une gêne pour l’étudiant. Lorsqu’il rencontre ce type de réactions, l’étudiant s’adapte [ligne 447] ou alors il décide même de ne plus aller en cours « parce que ça servait à rien » [ligne 449].

Pourtant, la seconde partie met en avant la réussite d’une enseignante qui a su adapter son cours en suppléant les schémas classiques par des dessins en pâte à relief. Evidemment, cela implique que l’enseignant a mené une réflexion, qu’il a pris le temps de réfléchir sur ce qu’il était possible de faire pour pallier l’incapacité visuelle de l’étudiant. Sachant que les deux modalités supplétives sont tactiles et auditives, son choix paraît des plus pertinents.

L’étudiant affirme l’efficacité de cette action [ligne 455] « c’était vachement utile ».

L’adoption d’une pédagogie différenciée apparaît alors encore une fois comme un choix judicieux et approprié. Nous avons également recueilli l’opinion d’un chargé d’accueil sur la prise en compte des situations de handicap par les enseignants.

Corpus XIV

CA2 385. c’est vrai que souvent ben la biologie et chimie ça rencontre un grand 386. succès c’est une filière qui est très convoitée c’est là d’ailleurs où on a 387. le plus d’étudiants en situation de handicap donc ce qui fait que les 388. enseignants ben sont toujours un peu les même qu’on retrouve + chaque 389. année ils disent ben oui mais ça maintenant on sait on en a eu l’année 390. dernière des étudiants qui présentent le même type de handicap donc ils 391. sont de par le fait au fur et à mesure que les années passent ils ont 392. rencontré des situations où il y a eu des adaptations donc en fait d’année 393. en année ils savent voilà

ENQ 394. en fait ils s’adaptent

CA2 395. exactement puisqu’on a aussi un service d’interprétariat qui a une

Le chargé d’accueil nous fait partager son expérience vis-à-vis de l’adaptation des enseignants aux situations de handicap. En tant que personne référente de l’étudiant en situation de handicap, le chargé d’accueil fait souvent le relais entre l’étudiant et l’enseignant.

Il informe l’enseignant de la situation de l’étudiant et le sollicite lorsque des adaptations sont requises. Ce que ce chargé d’accueil raconte met en relation l’expérience acquise par l’enseignant, « on en a eu l’année dernière des étudiants qui présentent le même type de handicap » [lignes 389-390] avec la confrontation présente à une situation similaire

« maintenant on sait » [ligne 389]. Ainsi donc, le discours rapporté direct nous fait entendre la voix de ces enseignants qui s’adaptent progressivement aux situations qu’ils rencontrent en développant un savoir-faire (la mise en œuvre des connaissances) qui se développe dans la pratique, avec l’expérience. L’expérience se réfère à des savoir-être et/ou des savoir-faire qui s’acquièrent avec le temps, au fil de la vie professionnelle. Nous retrouvons les expressions

197 du champ de la progression chronologique : « au fur et à mesure » [ligne 391] et « d’année en année » [ligne 393]. Ainsi, la gestion d’étudiants en situation spécifique par l’enseignant transite par une phase d’assimilation où il intègre les données inhérentes à la rencontre avec la situation inédite, puis vient la phase d’accommodation où il ajuste son action aux besoins de l’étudiant (Piaget, 1967). Avec la pratique, l’assimilation est plus rapide. Comme le dit l’enquêteur [ligne 394] : « en fait ils s’adaptent ».

Pour conclure ce chapitre, nous résumerons ce qui a été précédemment énoncé en soulignant que finalement ce ne sont pas seulement les étudiants mais tous les acteurs de la vie universitaire concernés par la déficience visuelle qui s’adaptent. La rencontre avec la pathologie s’effectue petit à petit, au fur et à mesure de la rencontre avec les étudiants et en coopération avec ces derniers.

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Chapitre 3

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