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Ambroise commença son discours d’une manière qui correspond aux indications de Ménandre : il fit une déploration qui, pour les auditeurs, souligna la dichotomie entre le présent malheureux et le passé empli d’espoir (§2), avant d’évoquer le deuil de l’ensemble de l’Empire434.

431 G. Nauroy, 1985, p. 378. 432 E. Peretto, 1989, p. 99.

433 Ibid. Cf. ibid., p. 100 : « Avere la certezza che Ambrogio è ligio al tenore del testo sacro è importante nell’analisi del De obitu Valentiniani ». Cf. Ambr., Ep. ex. coll. XIV, 78.

434 Men. Rhet., II, 413, 6-23 ; L. Pernot, 1993a, p. 292-293 : parmi les moyens pathétiques dont dispose le rhéteur, la réflexion sur le temps occupe une place essentielle. Elle consiste notamment, dans le contexte d’un discours funèbre, à opposer le présent au passé pour souligner le revirement de la fortune : c’est le τ πος κ το5 ναντου – l’amplification à partir du contraire – (cf. Men. Rhet., II, 423, 16). Ce contraste est le ressort principal de la lamentation, tel qu’on le voit notamment dans les §2 à 10, 11 et 12 de l’Eleusinios (Discours XXII) d’Aelius Aristide, construit dans son ensemble sur ce schéma.

Cependant, ce thrène, issu des traditions rhétorique et poétique435 est immédiatement suivi d’une page des Lamentations de Jérémie, ce qui sera l’occasion d’associer au deuil de l’Empire (§3-4) celui de l’Église, dont les membres pleurent eux aussi la perte du jeune souverain (§5-8).Le texte biblique servira longtemps de fil conducteur au discours d’Ambroise dans le développement consacré aux pleurs de l’Église. Ambroise associera à cette déploration l’éloge de la vie de Valentinien. Selon le modèle du Cantique des cantiques, Valentinien se voit promettre par l’Église de se faire escorter jusqu’au royaume céleste (§8) et il répondra à celle-ci d’après un passage des Lamentations de Jérémie (Lm 3, 22 ; 24-28), reprenant donc les paroles du prophète (§9). C’est cette citation biblique qui introduira l’éloge des vertus du jeune empereur, qui commence dès ce moment-là436.

Vers la fin du discours, Ambroise fera aussi un éloge de la beauté du corps et de l’âme de l’empereur défunt basé sur un commentaire du Cantique (§59-69). Selon J. H. W. G. Liebeschuetz, en utilisant le langage et les images sensuelles et fleuries de la description de la bien-aimée du Cantique dans un éloge élaboré de l’âme de Valentinien, Ambroise procura à son discours un effet unique qui n’avait aucun précédent dans les oraisons classiques437. Dans ce passage, Ambroise compare la beauté de Valentinien à une série de métaphores empruntées au Cantique des cantiques : par ce procédé, il rapproche deux réalités – celle du corps et de l’âme de l’empereur et celle évoquée par l’image biblique – et la comparaison pare la première des mérites de l’autre. Il s’agit donc d’assimiler l’objet comparé à ce qu’il n’est pas, comme on le fait dans l’hyperbole, afin d’exprimer de manière plus éloquente ce qu’il est : c’est précisément ce « mentir-vrai » qui fait toute la force argumentative de l’image438. Ainsi, les comparaisons et les métaphores sont des figures de style qui servent à amplifier l’expression d’une idée ou d’une réalité, ce qui les rend particulièrement appropriées aux besoins de l’éloge439. D’ordre stylistique, elles montrent, en les rapprochant l’un de l’autre, que deux objets qui sont de nature différente sont semblables sur certains points440. Ainsi, dans le De obitu Valentiniani, la beauté de Valentinien est décrite à l’aide d’une série d’images, d’une nature tout autre, tirées du Cantique.

435 Ambroise cite au §3 de son discours la déploration d’Anchise sur le sort de Marcellus, thème qui provient de l’Énéide (VI, 882-886) ; cf. infra, p. 98.

436 Y.-M. Duval, 1977, p. 263.

437 J. H. W. G. Liebeschuetz, 2005, p. 361-362 ; cf. Ambr., De ob. Valent. 64-69. Sur l’importance de la métaphore dans le discours chrétien, cf. Av. Cameron, 1994 (1991), p. 58-60.

438 L. Pernot, 1993a, p. 412.

439 Sur ce caractère approprié à l’éloge, cf. Arist., Rhet. III, 1405 a, 10-35 ; concernant l’usage des métaphores, cf. Ps.- Ael. Arist., Rhet. II, 138 ; Aelius Aristide présente un bon exemple d’amplification au moyen de comparaisons (Panath. [I] 199 : dans ce passage, il y a trois comparaisons suivies, au §200, par la métaphore de la « danse de guerre »).

L’orateur s’appuiera également sur ce livre pour décrire l’ascension de l’âme de Valentinien au ciel (§71-77) : se reposant sur ce texte biblique qu’il commente dans son discours, il évoquera l’âme du défunt qui brille d’un éclat comparable à celui des astres. Après avoir éclairé de ses vertus les ténèbres du monde qu’elle quitte, cette dernière emprunte la lumière du « soleil de justice », le chemin qui mène au monde céleste, pour rejoindre Dieu (§64).

Le De obitu Valentiniani est ainsi construit à partir de l’exégèse de textes bibliques et d’une interprétation allégorique de l’Écriture441. Une telle préférence pour le livre des Lamentations et le Cantique s’explique notamment par leur contenu qui procure à Ambroise une source abondante de prières, de lamentions et de suggestions pour décrire, à l’aide d’emprunts au texte biblique, la personnalité morale du jeune empereur défunt et louer la perfection de son âme.

Ambroise mobilise ainsi des passages de l’Écriture pour brosser une image nouvelle de l’empereur chrétien. Ces emprunts répondent à deux objectifs et sont soumis à certains principes : ils cherchent à définir les devoirs du souverain dans la conformité de la foi ainsi qu’à exalter sa grandeur en le parant de la lumière et de la poésie du Livre saint442. Ambroise se servit le plus souvent des textes de l’Ancien Testament pour définir la conduite de l’empereur ou lui proposer des modèles à adopter et à suivre443.