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3. La nature comme source de nouveaux composés bioactifs

3.6. L’ethnopharmacologie

L’ethnopharmacologie peut être définie comme une science interdisciplinaire étudiant les composés bioactifs dans les préparations ou d’après les connaissances traditionnelles des Hommes151,152,153. Dans ce domaine, les recherches débutent classiquement auprès des tradipraticiens, tentant par le biais d’enquêtes, de décrire

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avec un maximum de précision les espèces botaniques employées et leur utilisation pharmacologique (organe prélevé, caractéristiques du lieu de récolte, méthode de préparation du remède, posologie, maladie ciblée, etc.). Puis, les plantes identifiées sont récoltées et extraites pour subir une étape de criblage biologique afin d’évaluer leur potentiel pharmacologique (tests guidés par l’utilisation traditionnelle des plantes) et leur éventuelle toxicité même si les remèdes traditionnels sont rarement toxiques. Les extraits particulièrement actifs font ensuite l’objet d’une étude phytochimique visant à isoler et caractériser les composés actifs de ces plantes.

3.6.1. Historique

Les plantes sont depuis toujours utilisées par l’Homme pour se soigner. Ainsi, les pharmacopées traditionnelles représentent un savoir empirique, acquis par les Hommes au cours de centaines d’années d’expérimentation, dont la valeur est aujourd’hui reconnue par la communauté scientifique. L’étude des plantes médicinales s’avère efficace pour isoler des composés bioactifs qui sont rarement toxiques pour l’homme154 et ces recherches ont déjà fourni de nombreuses molécules prescrites en pharmacie155. Les principes actifs isolés des plantes médicinales sont de plus utilisés dans la plupart des cas en pharmacie pour traiter des symptômes identiques ou liés aux prescriptions traditionnelles154

. Ceci montre bien la valeur des données ethnopharmacologiques. Il nous serait impossible de lister l’ensemble des composés bioactifs isolés de plantes utilisées en médecine traditionnelle mais le tableau proposé par Fabricant et Farnsworth en 2001154, présente l’exemple de 122 composés issus d’études ethnopharmacologiques (annexe 1). On y retrouve de nombreuses molécules connues de tous pour leur efficacité thérapeutique telles que l’atropine (anticholinergique), la codéine et la

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morphine (analgésiques), la colchicine (anticancéreux), la digitoxine (cardiotonique), la khelline (bronchodillatateur), la quinine (antimalarique), la réserpine (antihypertenseur), etc.

3.6.2. Difficultés d’interprétation des informations de la médecine

traditionnelle

Dans le cadre actuel de la pharmacie, le criblage d’extraits de plantes médicinales est porteur de nouveaux espoirs pour découvrir de nouveaux médicaments156. Cependant, si l’efficacité des recherches en ethnopharmacologie n’est plus à démontrer, il n’en reste pas moins que la discipline cumule les difficultés de la botanique (identification certaine de l’espèce), de la phytochimie (accès à la ressource, purification, etc.) et celles propres à l’ethnopharmacologie. Ces dernières sont en grandes parties liées aux données issues des enquêtes auprès des guérisseurs traditionnels et du fossé qui existe entre les conceptions modernes et traditionnelles de la médecine157.

Les médecines traditionnelles et occidentales visent toutes deux à l’amélioration du bien-être et de la santé d’une personne atteinte par une maladie. Cependant, elles diffèrent radicalement quant au concept même de la maladie et à l’approche utilisée pour y remédier. La médecine traditionnelle est inséparable dans sa pratique, de la structure sociale, de la psychologie et des concepts religieux du peuple qui la conçoit. Elle regroupe un ensemble de connaissances et de pratiques, explicables ou non, utilisés pour le diagnostique, la prévention ou la lutte contre une maladie et mêle dans sa pratique magie, chamanisme et médecine154. La médecine occidentale s’appuie sur des résultats expérimentaux et associe le plus souvent une

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maladie à un agent pathologique précis. Par opposition, la notion d’agent pathogène (virus, bactéries, etc.) est très rare dans les systèmes de santé traditionnels. En médecine traditionnelle la maladie est perçue comme la rupture d’un équilibre entre le corps, l’esprit et la société. Le médecin traditionnel tente donc de rétablir cet équilibre pour ramener la santé du patient. Pour cela le travail de l’ethnopharmacologue passera par l’identification la plus précise possible des symptômes ciblés par le tradipraticien. Puis ce dernier tentera de corréler ces symptômes avec les maladies qui y sont liés, grâce notamment aux données épidémiologiques disponibles concernant la région étudiée158.

3.6.3. Enjeux modernes de l’ethnopharmacologie

Les enjeux modernes de l’ethnopharmacologie sont multiples. Ils sont liés d’une part à la sauvegarde des savoirs traditionnels. Ceci s’inscrit dans une démarche de santé publique car la médecine traditionnelle représente bien plus qu’un folklore à conserver : 80% de la population des pays en voie de développement est toujours dépendante de la nature pour se soigner159 et 65% de la population mondiale utilise encore, selon l’OMS, des remèdes traditionnels154. De plus, on observe partout dans le monde un regain d’intérêt pour la phytomédecine160. Les recherches en ethnopharmacologie peuvent servir dans ce contexte à développer ou valider l’utilisation de remèdes traditionnels161.

D’autre part, l’étude des plantes médicinales est toujours porteuse de beaucoup d’espoir pour identifier des composés bioactifs, notamment antiviraux162,163,et même si elle ne permet pas toujours d’isoler de nouvelles structures, la découverte d’une activité nouvelle pour des composés connus peut

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aussi mener vers l’élaboration de médicaments155. Ainsi, plusieurs dérivés de la cucurbitacine I, un stérol fréquemment rencontré chez les Cucurbitaceae, tout comme l’acide bétulinique, un stérol commun des espèces du genre Betula (tel que le bouleau) présentent un fort potentiel anticancéreux155,164,165,166.

Pourtant, alors qu’à peine 5% des plantes connues pour leur utilisation en médecine traditionnelle ont été étudiées, la biodiversité et les savoirs traditionnels sont aujourd’hui menacés de disparaître167. Selon Paul Alan Cox la question de savoir si les savoirs tribaux seront sauvegardés au cours des prochains siècles est prédominante, et d’après lui, si ce n’est pas le cas, malgré les avancées technologiques modernes spectaculaires, l’humanité en serait appauvrie168. Cette interrogation révèle tout à fait la double importance des travaux qui consistent à la fois à découvrir de nouveaux composés bioactifs en utilisant les outils d’évaluation biologique modernes, et d’un autre côté, à valoriser les connaissances traditionnelles, tentant ainsi d’assurer leur pérennité. La stabilité sociale de nos sociétés et la santé de ses habitants passera, d’après Cordell et Colvard, par la sauvegarde de notre environnement et des savoirs traditionnels, peut-être en partie grâce aux recherches ethnopharmacologiques167.

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