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CHAPITRE 1 : L'émergence contrariée du sport ouvrier en

I. L’essor et le déclin du sport ouvrier en France

A) Le mythe d’un sport antique et apolitique

A force d'entendre exalter ses vertus supposément intrinsèques de solidarité, d'intégration ou de cohésion sociale35 ou encore réaffirmer sa supposée « neutralité », un observateur contemporain

inattentif est rapidement amené à considérer que le sport serait apolitique. Répétée elle-même régulièrement par les agents de l’espace des sports comme de ceux du champ politique, ce mythe est soigneusement entretenu par les dirigeants de ce que l'on appelle le mouvement sportif, c'est-à- dire principalement l'ensemble des fédérations délégataires de service public regroupées dans le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) (Defrance, 2000). Ce que l’on peut assimiler à un mythe s'accompagne du reste d'un autre, non moins vivace, consistant à penser qu'il existerait une continuité entre les olympiades antiques, les jeux traditionnels du folklore populaire et les jeux olympiques modernes créés en 1896 par le baron Pierre de Coubertin, dont on occulte largement aujourd’hui l’idéologie profondément élitiste, raciste et misogyne (Brohm, 2008). Le sport moderne, entendu ici comme un système de compétitions étroitement codifiées à distinguer de l’activité physique, constitue en réalité un phénomène récent. Il ne s'est réellement développé et diffusé sur le continent européen depuis l'Angleterre que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Comme le mouvement ouvrier en somme. A ceci près que le foyer originel du sport se situe alors bien loin des usines et ateliers : en l'occurrence dans les publics schools britanniques regroupant les jeunes membres de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie. C'est ce que rappelle entre autres Norbert Elias, en intégrant avec Eric Dunning l'essor du sport moderne dans sa théorie du « processus de civilisation » (Elias et al., 1994). Le sport concilierait ainsi « deux fonctions contradictoires : d'une part, le relâchement agréable du contrôle exercé sur les sentiments humains, la manifestation d'une excitation agréable, et, d'autre part, le maintien d'un ensemble de codifications pour garder la maîtrise des émotions agréablement dé-contrôlées » (Elias et Dunning 1994 : 64). Les pratiques sportives ainsi définies se distinguent des activités physiques - jeux et/ou exercices - traditionnelles et de la gymnastique, qui reçoit pour sa part au même moment une double-finalité scolaire et militaire.

En France, dans un contexte marqué par la défaite de 1870 et l'installation du régime républicain, l’institution scolaire joue un rôle crucial dans l’essor des APS et leur codage au cours du dernier tiers du XIXe siècle, alors que l’armée détient de fait un monopole sur la préparation

35 Pour une déconstruction de ces discours institutionnels et largement diffusés dans le sens commun, voir notamment

physique des jeunes hommes (Arnaud 1991; Faure et Suaud 2015 : 41 et suiv.). La gymnastique scolaire s’avère cependant plus complémentaire que concurrente de cette dernière, en adaptant les exercices destinés aux soldats à la physiologie des enfants. Comme l’observe l’historien - et ancien enseignant d’éducation physique et sportive (EPS) - Pierre Arnaud, « il est probable que l’essor des sociétés conscriptives n’aurait pu se réaliser (ou aurait été singulièrement retardé) si l’École n’avait pas pris l’initiative de sacraliser la gymnastique en lui assignant des significations utilitaires, morales et patriotiques » (Arnaud 1991 : 229). Celle-ci exclut alors et de manière durable le sport36.

Celui-ci, alors largement étiqueté comme « anglais » de ce côté-ci de la Manche, est à la même époque importé en France par l'intermédiaire de jeunes lycéens et étudiants, alors pour l'essentiel issus des classes supérieures, tout autant admirateurs des gentlemen anglais que soucieux de se distinguer des couches populaires. Ce dernier passe ainsi notamment par la mise en avant du fair-

play et surtout de l'effort « gratuit » et « désintéressé » et de l'amateurisme qui constituent autant de

barrières matérielles et morales pour les classes populaires. Les premières associations des sports « anglais » se réunissent dès le 31 janvier 1889 au sein de l'Union des Sociétés Françaises de Sport Athlétiques (USFSA) sous l'égide de Pierre de Coubertin et Georges de Saint-Clair. Si les membres des classes laborieuses restent au départ à l'écart de ces sociétés, c'est au moins autant en raison du niveau des cotisations qu'il faut acquitter pour y accéder que pour la distance socioculturelle qui les sépare de leurs initiateurs comme de leurs premiers adhérents. Mais ils vont bel et bien être progressivement intégrés ces dernières, au point d'en représenter probablement au tournant du siècle le plus gros des effectifs - tout en restant exclus des postes de responsabilité.

Contre l’idée largement répandue selon laquelle ce sport moderne descendrait en droite ligne des diverses formes de jeux traditionnels, ou même des jeux antiques grecs ou romains, les historiens du sport se sont accordé à montrer que la différence entre les uns et les autres ne résidait pas seulement dans les formes - instruments, espaces, règlements, etc. -, mais plus profondément dans leur nature même, à savoir dans leur signification socioculturelle et dans les types de sociabilité qu’ils impliquent (Vigarello 2000). Les jeux de l’Antiquité, par exemple, remplissent des fonctions religieuses, mais aussi militaires et éducatives bien éloignées des logiques contemporaines de la performance (Terret 2011 : 3). Le sport moderne est en effet indissociable de l’avènement de la société industrielle, et du mouvement plus général de rationalisation qui l’accompagne, lui-même élément d’une idéologie du redressement face à la dégénérescence, dans laquelle le corps occupe une place éminente (Vigarello 2004 : chap. 4). C’est ainsi que les jeux traditionnels, comme la soule par exemple, ne présentent pas un système de règles étroitement codifiées, contrairement au football

36 La « sportivisation » de l’EPS scolaire intervient seulement près d’un siècle plus tard, à partir des années 1960, dans

la foulée de la création du ministère de la Jeunesse et des Sports sous la Ve République (Marsault 2009 : 5-50). On peut du reste noter que les militants communistes alors dominants au sein du SNEP ont du reste joué un rôle moteur dans ce processus (Martin 2004a et b).

ou au rugby modernes, concernant la taille du terrain, le temps de jeu, les gestes interdits ou le nombre de joueurs, car l’enjeu principal n’y est pas tant la victoire que le renforcement des liens communautaires et l’affirmation d’identités locales, sexuelles ou professionnelles (Terret 2011 : 5).

Le sport moderne conserve cependant cette dimension culturelle d’affirmation des appartenances collectives - et corolairement de distinction par rapport aux autres groupes sociaux (Bourdieu 1979; Coulangeon et Duval 2013). Mais à l’instar des autres pratiques culturelles, il importe de ne pas essentialiser la distribution des disciplines dans le monde social - autrement dit, de ne pas associer mécaniquement telle discipline à tel groupe social particulier-, mais au contraire de rester attentif à leurs appropriations diverses et variables dans le temps et dans l’espace. La compréhension de la distribution sociale des goûts et pratiques culturels - au sens le plus large du terme (Cuche 2010)- implique en effet de les saisir de manière relationnelle et non substantielle37, contrairement à trop de lecteurs rapides de la théorie du champ de Pierre Bourdieu (Bourdieu etChampagne 2013; Coulangeon et Duval 2013). En l’occurrence, comme le rappellent Roger Chartier et Georges Vigarello, invoquant les travaux de Christian Pociello :

« Ces distributions sociales fixées ou mouvantes des pratiques sportives doivent à chaque moment historique être comprises à la croisée de la structure interne propre à chaque sport et des dispositions culturelles et sociales des différents groupes susceptibles de le pratiquer, que ce soit la représentation du corps et de ses usages possibles, les profits escomptés en fonction des coûts (économiques, temporels, corporels) exigés, ou le système des valeurs qui règle les relations du groupe avec les autres ou la nature »(Chartier et Vigarello 1982:9)

Si le sport moderne est né et a été diffusé d’abord parmi les « élites » aristocratiques et bourgeoises, comment s’est-il finalement diffusé parmi les classes populaires ? L'historien -et ancien enseignant d’éducation physique- Pierre Arnaud affirme ainsi que « le sport des ouvriers existe bien avant que ne se constituent des fédérations sportives ouvrières ! Il est même probable que celles-ci n'ont pu se constituer que parce qu'elles s'appuyaient sur des habitudes et des structures déjà solides » (Arnaud 1994 : 24). Il s’oppose ainsi aux visions trop misérabilistes38 à

partir de l'exemple de la région lyonnaise, en dépit de conditions de travail et d'existence peu favorables, ouvriers et petits employés pouvaient se rassembler pour la pratique collective de jeux physiques, dès les années 1830 sur la base d'une sociabilité locale ou corporative où la recherche de convivialité primait sur toute autre finalité :

« Dans ces sociétés, point de "calendrier sportif", point de rencontres ou de compétitions scandant les temps forts d'affrontements codifiés et répétitifs. Mais des défis ponctuels, selon des règles complexes et mouvantes, dictées par les nécessités du jeu et non par celle de la vie associative » (Arnaud, 1994, p. 54)

37 C’est-à-dire à ne pas les considérer de manière isolée, mais en rapport avec les goûts et les pratiques des autres groupes sociaux, dont on cherche à se rapprocher, ou au contraire à se démarquer.

L’historien remarque en outre que les employés ont précocement investi les sociétés sportives : représentant dès la fin du XIXe siècle, près de la moitié de leurs adhérents. Ces nouvelles sociétés sportives s'appuient ainsi très largement sur ces jeux traditionnels pour leur recrutement, et les classes populaires investissent progressivement certaines pratiques athlétiques : lutte, boxe, natation, haltérophilie, tir au pistolet ou à l'arc, puis athlétisme et cyclisme39, non sans en modifier la valeur sociale, mais aussi les représentations socioculturelles attachées. Certaines pratiques vont cependant bel et bien « résister » à cette appropriation et demeurer l'apanage de la bourgeoisie, comme le tennis, la voile, l'aviron, l'escrime ou l'équitation.

Cette diffusion du sport en France comme sur le reste du continent résulte en effet partiellement de la prise de conscience du formidable levier de socialisation que celui-ci constitue : autrement dit, que travailler sur les corps, représente le meilleur moyen d'influencer les esprits. C'est ainsi qu'à cet encadrement étatique et bourgeois des classes populaires se rajoute celui du patronat. Dans un souci paternaliste qui accompagne la volonté de contrôle social d’un discours philanthropique, nombreux sont ceux qui créent précocement des clubs au sein de leur personnel dont ils prennent le plus grand soin de conserver la direction. C'est le cas par exemple dans les houillères, comme à Montceau-les-Mines, où les Chagot créent la première société de gymnastique - dont le nom, « Progrès et Patrie », suggère déjà tout un programme (Chartier et Vigarello, 1982, p. 10) -, dans la banque (Société générale, Crédit Lyonnais, Banque de France,...), les grands magasins (Galeries Lafayette, Bon Marché, Samaritaine,...), l'industrie, automobile (Renault et Peugeot), mais aussi dans des sociétés de taille moindre, comme L’Éclair de Villefranche, fondé par le directeur des usines Gillet dans la commune rhodanienne du même nom. Les sociétaires sont alors souvent porteurs d'un livret dans lequel sont reportées les présences, l'attitude pendant l'activité, mais aussi parfois les opinions politiques. Il ne faut pas oublier enfin l’Église catholique, qui cherche à conserver son influence en créant la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France (FGSPF) en 1903. En réaction à ces entreprises d’embrigadement, les organisations ouvrières vont susciter leurs propres groupements, clubs et fédérations, en Suède, en Allemagne, en Autriche, en Suisse ou en Bohème notamment, prenant soin dans un premier temps de se démarquer du sport bourgeois en privilégiant des pratiques comme la gymnastique, la natation ou le cyclisme, mettant en œuvre des principes de solidarité et bannissant la compétition et la chasse aux records, avant de se tourner progressivement vers les sports athlétiques à partir des années 1920 (Chartier et Vigarello 1982 :11).

On se demandera cependant, tout au long de ce chapitre, à l'instar de Pierre Arnaud mais en

39 Même s’il ne faut pas oublier qu’à la fin du XIXe siècle, l’achat de la bicyclette la plus rudimentaire représentait au moins six mois du salaire moyen (Piketty, 2013, p. 150)

reformulant quelque peu son propos40, s'il est véritablement pertinent d'opposer un sport populaire patronné, hétéronome, largement influencé par les entrepreneurs de morale de la bourgeoisie, motivé par la quête de divertissement et de convivialité, et ce faisant dépolitisant, et un sport ouvrier au contraire politisé et politisant, dont tout pratiquant serait indissociablement un militant rejetant la société capitaliste et les valeurs associées de compétition. En d'autres termes, faut-il opposer deux sports ouvriers, l'un qui constituerait une sous-culture, l'autre une contre-culture (Cuche, 2010 : chap. 5 ; Hebdige, 2008) par rapport à la culture sportive bourgeoise dominante ?

Comme va le montrer l’examen des appropriations multiples et mouvantes des activités physiques et sportives par les organisations du mouvement ouvrier, c’est bien une réponse négative qui s’impose, en tous les cas dans le contexte français, tant ce sport ouvrier n’est pas un, ni dual, mais traversé par de nombreuses contradictions, qui reflètent plus largement celle du mouvement ouvrier dans son ensemble.

B) Des partis et syndicats circonspects

1) Des activités initialement subordonnées à des finalités

éducatives et hygiènistes

Les organisations revendiquant d’incarner le mouvement ouvrier en France investiront pour leur part bien plus tard ce terrain par rapport à leurs homologues d’autres pays européens. Cela semble tenir en partie, selon Danièle Tartakowsky41, à des caractéristiques structurelles qui contribueraient à l’émiettement des classes populaires. Ainsi, faute par exemple d'une politique de logement social suffisamment précoce (Martinache 2013), les espaces populaires y seraient alors plus hétérogènes, et donc moins favorables à l'émergence d'une conscience de classe. Ce constat est contredit par la diffusion assez importante des jeux populaires déjà évoquée par Pierre Arnaud42. On ne doit donc pas sous-estimer l’indifférence, pour ne pas dire la méfiance, initiale des organisations

40 Qui s'interroge ainsi à la fin de l'introduction générale à l'ouvrage qu'il a dirigé sur les origines du sport ouvrier en Europe : « Faut-il alors distinguer (séparer ? opposer ?) d'une part un sport ouvrier qui se définirait par un système de valeurs conviviales, fondées sur des affinités “électives”, l'entre-soi, sur des proximités corporatives, socioprofessionnelles, et territoriales (l'usine, le quartier...) et, d'autre part, un sport ouvrier tout entier soumis à des objectifs politiques qui feraient de chaque sociétaire un “militant” ? Une telle distinction suggère-t-elle d'ailleurs l'incompatibilité ? Le sport ouvrier est-il manœuvré par ses dirigeants ? » (Arnaud, 1994 : 28).

41 Danièle Tartakowsky, « Organisations et cultures ouvrières dans l'Europe du XIXe siècle. Les premières formes de solidarité ouvrière » in Arnaud (1994), p. 29-43.

42 Qui écrit ainsi - dans le même ouvrage collectif !- que « le sport des ouvriers existe bien avant que ne se constituent des fédérations sportives ouvrières ! Il est même probable que celles-ci n'ont pu se constituer que parce qu'elles s'appuyaient sur des habitudes et des structures déjà solides. De même les employés ont-ils précocement investi les sociétés sportives : ils représentent à eux seuls, dès la fin du XIXe siècle, près de la moitié des sociétaires, tant pour ce qui concerne la gymnastique que les sports athlétiques » (Arnaud, 1994, p. 24)

prolétariennes à l’égard du sport au tournant des XIXe et XXe siècle. Les meneurs du mouvement anarcho-syndicaliste ne s'expriment par exemple d’abord que très incidemment sur la question, par le biais de thématiques jugées davantage dignes d’intérêt, comme l’éducation des enfants ou l’hygiène. Ainsi, dès son deuxième numéro, La Vie ouvrière, bimensuel fondé en 1909 autour de Pierre Monatte qui deviendra par la suite l’organe officiel de la CGT (Cohen, 2009)43 publie un essai d’un certain Léon Clément44 intitulé « L'éducation de l'Enfant dans les milieux ouvriers ».

Celui-ci y justifie l’intérêt pour les militants du mouvement ouvrier de s’intéresser aux questions apparemment subsidiaires extérieures à la sphère productive45 :

« Cette préoccupation de l'éducation de l'enfant en dehors du contrôle et de la gestion de l'État, est la preuve que la question sociale ne se restreint plus à une formule étroite, mais embrasse un ensemble de manifestations touchant à la fois les intérêts et les sentiments de la classe ouvrière. Toutes ces manifestations prennent un caractère “d'action directe”. A la lutte économique s'ajoute la lutte non moins indispensable pour la libération des cerveaux et la formation des individualités »46

On voit émerger dès cette époque la thématique des « bases multiples » du syndicalisme sans que celle-ci soit bien évidemment conceptualisée de la sorte, et dans une logique toute libertaire, l’auteur renvoie dos-à-dos clergé et État dans leur volonté respective d’instrumentaliser et embrigader les enfants pour les conformer à leurs finalités institutionnelles respectives. Il rappelle ainsi que l’objectif premier des militants anarchistes est bien de :

« Détruire tous les systèmes absolutistes, supprimer les formules, ne pas les remplacer par de nouvelles, faire naître la curiosité, éveiller l'intelligence, faciliter le développement de l'originalité, provoquer des questions nombreuses sur les commentaires incompris : c'est combattre non seulement toutes les écoles religieuses, mais encore l'école laïque, l'école de l’État, qui a conservé non les termes, mais l'esprit dogmatique des écoles d'antan, et qui a remplacé le culte chrétien par celui de l’État, avec tout ce qui en résulte : patrie, propriété, drapeau, etc. »47

Or, transparaît également d’ores et déjà l’aspect potentiellement attrayant des activités physiques comparées à une éducation « classique » qui n’accorde guère aux corps des enfants le

43 Pour un récit des conditions de cette fondation et des premières années de son existence, voir aussi Pierre Monatte, « La fondation de la "La Vie ouvrière" », La Révolution prolétarienne, octobre-novembre-décembre 1959-janvier 1960 accessible en ligne avec d’autres textes de Monatte sur le site www.marxists.org

44 De son vrai nom Victor Camus, né en 1874, métreur de métier et particulièrement intéressé par les questions éducatives : rapporteur sur le thème « De l’éducation intégrale de l’enfance » au Congrès anarchiste international d’Amsterdam de 1907, il fut ensuite professeur d’espéranto au Groupe libertaire espérantiste, participa à la Ligue de protection de l’enfance et co-fonda la revue illustrée pour enfants Les Petits bonhommes en 1911, qui cessa de paraitre au moment de la guerre et dont le titre sera repris par le syndicat des instituteurs parisiens (1921-1923). Il créa également, en 1912, la société musicale pour les enfants des membres de l’Union des syndicats de la Seine (Jean Maîtron (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier-mouvement social, « Maîtron en ligne », [URL : <maitron-en-ligne.univ-paris1.fr>])

45 Ce que l’on appelle de nos jours improprement le « hors travail » - suggérant fallacieusement une coupure nette entre l’activité laborieuse et les autres. Sur les sens du travail, voir entre autres Méda (1998)

46 La Vie ouvrière, n°2, 20 octobre 1909, p.87 47 Ibid, p.89

délassement et l’évasion dont ils auraient « besoin »48 :

« Il est nécessaire de constater combien tout le système éducatif présent est peu attrayant pour l'esprit de l'enfant. L'étude devient une fatigue, presque une punition. Le bâtiment ou maison d'école a trop souvent l'aspect d'une caserne »49

Autre adversaire dont il s’agit de se méfier : la bourgeoisie laïque, qui organise ses propres patronages, mais dont la logique est au fond similaire à celle des autres institutions et cherche là encore à embrigader les enfants d’ouvriers :

« Pour contrecarrer l'influence des patronages cléricaux, - dans les grands centres tout au moins- des groupements se sont constitués sous le titre de patronages laïques. En dehors des cours d'enseignement, ces patronages se donnent pour but de continuer l'éducation donnée à l'école laïque : on y retrouve les mêmes défauts, avec en plus la possibilité pour certains organisateurs de conquérir les palmes ou autres faveurs ; ces patronages sont d'ailleurs placés, à peu près tous, sous un patronage officiel. Ce n'est donc pas là l’œuvre ouvrière proprement dite. On ne peut y trouver cette préoccupation de rénovation morale, sociale, car on ne peut jamais concilier l'arrivisme, même atténué, avec un souci d'éducation élevé »50.

Il incombe dès lors, pour Léon Clément, aux membres de la classe ouvrière de s’organiser