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Partie III Structuration spatiale des individus

Chapitre 4 L’espace en dynamique de population

Premièrement, les individus se déplacent. Le mouvement effectué par les individus à

partir de leur lieu de naissance ou d’un habitat à forte concentration est appelé dispersion. Les

mouvements effectués par les individus peuvent être passifs, c'est-à-dire involontaires (par le

vent, les transports humains…) ou actifs, c'est-à-dire volontaires (recherche de nourriture, de

sites de reproduction…). Ils ne sont pas soumis toute leur vie aux mêmes conditions de

milieux du fait de ces déplacements. Deuxièmement, une population est continuellement en

interaction avec son environnement, qui varie dans le temps et l’espace entraînant des

changements spatiaux et temporels de la dynamique de cette population. L’environnement

hétérogène dans l’espace influence la dynamique de population en : i. structurant spatialement

les populations ; ii. influençant les paramètres démographiques. L’ensemble de ces influences

s’observe par des différences de densité ou de structuration de la population en âge.

Les facteurs qui vont entraîner une structuration des populations peuvent varier dans le

temps et l’espace, par exemple la taille et l’organisation des surfaces d’habitats favorables et

hostiles. Ces facteurs sont structurants parce qu’ils induisent la présence et les caractéristiques

de la population (dense ou pas, concentrée ou répartie de façon homogène). Ces pressions

environnementales conditionnent la dispersion des individus. Un individu peut chercher à

échapper aux conditions locales pour plusieurs raisons. Les conditions climatiques sont

défavorables, la nourriture pas assez abondante, les prédateurs sont trop nombreux sans

possibilité de les éviter ou les sites de reproduction deviennent rares La pression de

l’environnement sur les individus peut être de due : i. aux variations physiques de

l’environnement, l’habitat pouvant varier dans le temps et l’espace ou ii. aux variations de

l’environnement social, i.e. la compétition entre individus apparentés ou non (inter âge, intra-

et inter-sex) (Danchin et al., 2005).

Cette structuration de la population liée à l’environnement (physique ou social) se reflète

à travers des variables de la dynamique de population. Puisque, l’environnement est plus ou

moins contraignant, la densité, l’espacement, les mouvements et la proportion des individus

dans chaque classe d’âge ou chaque sexe sera influencée par leur localisation. D’autre part, il

est possible de comprendre le degré d’interaction entre les individus d’une population, ou au

contraire leur niveau d’indépendance mutuelle, en étudiant la distribution et les mouvements

des individus (Ricklefs et Miller, 2003). Cette connaissance est très utile pour qui souhaite,

par exemple, déterminer l’influence de l’habitat sur la dynamique de population, comme la

sensibilité des populations à la fragmentation de l’habitat.

Finalement, l’environnement influence aussi les processus démographiques qui régissent

la dynamique de population. Elle est régulée par quatre processus : mort, naissance,

immigration et émigration. L’immigration et l’émigration sont des processus liés aux

mouvements des individus, un des premiers mécanismes à considérer lorsque l’on veut lier

un animal à son environnement (Tilman et Kareiva, 1997). La mort, les naissances et les

développements au cours de la vie sont influencés par les caractéristiques de l’habitat. Par

exemple, les individus peuvent mourir s’ils n’ont pas pu échapper à un prédateur parce qu’ils

n’ont pas eu l’opportunité de se cacher ou, parce qu’étant séparés des autres individus à cause

de problèmes de compétitions pour les ressources, ils n’ont pas pu bénéficier de l’effet de

dilution face au prédateur.

Partie III Structuration spatiale des individus

2. Structuration spatiale d’une population

La structure spatiale d’une population est définie selon la distribution géographique des

individus et de leurs habitats. L’aire de distribution géographique est l’aire dans laquelle se

rencontrent les individus d’une espèce. Dans l’aire de distribution des espèces, les individus

ne sont pas présents dans toutes les régions avec la même densité, cela dépend du paysage

écologique.

Forman (1995) définit un paysage écologique comme une mosaïque d’éléments

fonctionnels interagissant. De manière schématique, ces éléments sont couramment classés

dans cinq grandes catégories (Fig. III.4.1) : la matrice, les patches, les écotones, les corridors

et les barrières. La matrice est l’élément du paysage ayant la plus grande continuité et qui

constitue « la trame de fond » du paysage (surface non favorable). Les patches sont des zones

d’habitat potentiel de taille variable au sein de la matrice. Les individus d’une espèce installés

dans ces patches d’habitat favorable forment des populations locales. Chaque patch est une

surface d’habitat homogène dans laquelle toutes les conditions nécessaires au maintien des

individus de la population sont présentes. La taille d’un patch est importante puisqu’elle

conditionne la taille de la population qui pourra y habiter.

Les écotones sont les zones de transitions écologiques en bordure des patches. Ces

écotones sont généralement très productifs (Frontier et Pichod-Viale, 1993) et

écologiquement favorables à une grande diversité spécifique. La forme des patches est

fonctionnellement très importante (Forman, 1995) puisqu’elle conditionne l’importance

relative des différents types de milieux (écotones, milieu intérieur) et donc la composition

spécifique des patches. Elle contraint les échanges avec la matrice : plus une forme sera

tourmentée (circonvolution, péninsules, baies…), plus l’importance des écotones (surface de

contact) sera grande et plus les échanges avec l’extérieur seront favorisés. Les corridors sont

des structures linéaires traversant la matrice et mettant en contact les patches. Toute surface

d’habitat à travers laquelle un animal a une forte probabilité de se déplacer peut être

considérée comme un corridor (Noss, 1991). Un corridor peut avoir différentes fonctions

écologiques : zones d’habitat, de conduit, filtre, source ou puits. Sa forme, sa longueur et son

orientation par rapport aux flux physiques (vent, courant) et biotiques (flux d’individus)

conditionnent son efficacité en terme de connectivité du paysage.

Les barrières sont des zones impropres à la vie ou défavorables aux déplacements ou à la

reproduction des individus. Ces barrières peuvent être sources de fragmentation de l’espace

écologique. Elles sont soit d’origine anthropique comme les routes, autoroutes, voie ferrées,

barrages, canaux, soit naturelle, comme les cours d’eau, les montagnes. Il est important de

noter que, pour un même habitat, selon l'espèce considérée, les caractéristiques de

l’occupation du sol et de la végétation seront favorables ou non. La perception de l’espace par

un individu dépend de ses capacités biologiques à se déplacer. Par exemple, un ruisseau est

une barrière pour un escargot, mais pas pour un macro mammifère. Les cours d’eau sont des

barrières pour certaines espèces, et leurs berges peuvent être des corridors pour d’autres.

Patch

Ecotone

Corridor

Barrière

Matrice

Patch

Ecotone

Corridor

Barrière

Patch

Ecotone

Corridor

Barrière

Matrice

Figure III.4.1 : Schéma du paysage écologique. Il est composé de cinq éléments principaux. La

matrice, hostile, est la trame du paysage. Les patches et écotones, zones de transition entre patch et

matrice, sont des zones favorables et de potentiels habitats. Les corridors mettent en contact les

patches. Les barrières sont des éléments contraignants et défavorables pour les individus.

3. La distribution des individus reflète l’hétérogénéité des habitats

Dans des milieux homologues, il existe d’étroites similitudes de structure entre les

populations, même dans des continents différents. Cette constatation atteste de l’influence

décisive des caractéristiques physiques du milieu sur l’organisation des peuplements

(Barbault, 1981). En effet, les organismes vivants sont liés à leur environnement par des

relations de contrainte et de dépendance résultant en général d’une très longue co-évolution

(Begon et al., 1990). L’hétérogénéité des habitats (biotiques et abiotiques) a donc une

importance fonctionnelle, capitale en écologie puisqu’elle contraint la distribution des

populations, leur mouvement, leur isolement et leur capacité de dispersion, de rencontre, de

croissance, d’interaction… La répartition spatiale des individus dans un espace géographique

contient alors des informations sur le mode d’organisation des individus ainsi que sur leurs

interactions avec l’espace. On distingue trois types de distributions (Fig. III.4.2) :

- régulière ou uniforme : répartition égale résultant des interactions entre individus ;

- aléatoire : les individus sont répartis dans l’espace sans tenir compte des autres (absence

de répulsion ou d’attraction), de manière imprévisible, c’est une situation rare ;

- agrégative : les individus sont répartis en groupes discrets (c’est le cas par exemple des

colonies d’insectes, des troupeaux ou des bancs de poissons).

Partie III Structuration spatiale des individus

Régulière Aléatoire Agrégative

Régulière Aléatoire Agrégative

Figure III.4.2 : Représentation schématique de différents modes de distribution des individus dans

l’espace, reflétant les interactions entre les individus et avec le paysage. On distingue trois modes de

distribution : régulière, aléatoire ou agrégative.

En général, la distribution des éléments constitutifs de l’habitat présente des structures

agrégatives en patches ou des structures continues de type gradient (Christophe et al., 1996).

De l’interaction des différents facteurs environnementaux répartis en patches ou en gradients

émergent des structures spatiales complexes qu’on peut, dans une perspective écologique,

caractériser par leur diversité (nature, taille), leur degré de fragmentation et de connectivité.

Il convient de différentier l’hétérogénéité structurelle, qui est l’hétérogénéité du point de

vue de l’observateur, telle qu’on peut l’observer directement sur le terrain, et l’hétérogénéité

fonctionnelle, qui est l’hétérogénéité telle qu’elle est perçue (vécue) par l’animal(McGlade,

1999). L’hétérogénéité structurelle est facilement mesurable mais seule l’hétérogénéité

fonctionnelle est importante d’un point de vue écologique.

La connectivité est un élément fondamental de l’hétérogénéité d’un paysage. D’un point

de vue structurel, la connectivité d’un paysage correspond à la connectivité des éléments de

même nature. D’un point de vue fonctionnel, la connectivité du paysage correspond à la

capacité réelle des animaux à se déplacer dans le paysage et à former une population plus ou

moins homogène. La connectivité fonctionnelle dépend alors de la connectivité structurelle et

de la capacité des animaux à franchir des zones défavorables. Des éléments comme le vent ou

les courants peuvent jouer un rôle important dans la connectivité en ne permettant, par

exemple, la dispersion des animaux que dans un seul sens (McGlade, 1999).

4. La composante spatiale en dynamique de populations de moustiques

La prise en compte de l’espace et de son hétérogénéité est plus récente que l’étude des

dynamiques temporelles (Barbault, 1981). Dans l’étude des moustiques, comme des autres

êtres vivants, la prise en compte de la composante spatiale dans la dynamique de population

est plus tardive que pour la composante temporelle. En effet, cette prise en compte nécessitait

le développement de différents outils : étude expérimentale sur les distances de vol,

notamment capture-marquage-recapture, dès les années 60 (Clements, 1999 ; Becker et al.,

2010) ; étude de l’effet du paysage au moyen d’un SIG (Kitron et al., 2000 ; Ryan et al.,

2005 ; Rytkonen et al., 2004 ; Ostfled et al., 2005 ; Zeilhofer et al., 2007) ; étude de l’effet du

paysage par une approche de modélisation depuis les années 2000 (Hopp et Foley, 2001 ; cf.

Chapitre 2).

Les déplacements des moustiques sont contraints par la variation des caractéristiques du

terrain (Becker et al., 2010). Les sites de ponte sont nécessaires aux moustiques pour

effectuer le cycle trophogonique, or ils peuvent évoluer dans l’espace et le temps

(présence/absence, conditions physico-chimique…). D’autre part, pour effectuer ce cycle de

reproduction les moustiques ont aussi besoin de prendre des repas de sang, or les hôtes

évoluent eux aussi dans l’espace qui structure également leur population (Jetten et Taekken,

1994). Les moustiques ont besoin d’un site de repos pour la maturation des œufs, la

disponibilité et la qualité de ces sites de repos dépend du paysage (Jetten et Taekken, 1994 ;

Clements, 1999). D’autre part, la dispersion des moustiques est affectée par l’occupation du

sol (Jetten et Taekken, 1994). Les moustiques volent habituellement près du sol ou

légèrement au-dessus de la végétation, qui peut créer un microclimat. Selon les espèces les

préférences pour ces microclimats varient, elles sont réparties en quatre catégories (Clements,

1999 ; Becker et al., 2010) : le plus grand nombre des espèces évoluent en milieu ouvert

(distances de vol les plus grandes), d’autres dans les bois (distances de vol modérées),

d’autres à l’interface entre les champs et les forêts, et finalement, il y a aussi celles qui

évoluent en zone urbaine (courtes distances de vol). La longueur du déplacement des

individus dépend donc des caractéristiques de l’environnement : urbain/rural, végétation

dense/éparse ou disponibilité en ressources (hôtes, sites de ponte) (Clements, 1999).

Actuellement, les connaissances sur l’effet de l’espace sur les dynamiques de population

de moustiques progressent grâce notamment à de nouveaux outils (SIG, modélisation), mais il

reste encore de nombreuses inconnues sur leurs influences. Par exemple, si on sait que le vent

a une influence sur la dispersion des moustiques (Jetten et Taekken, 1994 ; Becker et al.,

2010), son effet précis reste difficilement quantifiable. Autre exemple, la diversité spécifique

des moustiques est différente en fonction des habitats larvaires (Rioux, 1958 ; Jetten et

Taekken, 1994), en revanche, l’influence de la répartition de ces habitats sur la structuration

dans l’espace des populations d’adultes restent à quantifier pour de nombreuses espèces.

5. Conclusion

La structure physique du milieu constitue un cadre structurant dans lequel se déroulent les

processus biotiques (colonisation, compétition, relations trophiques…). C’est cet ensemble

complexe qui détermine la structuration des populations dans l’espace. Pour les moustiques,

comme pour les autres êtres vivants, la structure physique du paysage influence et structure la

répartition de la population dans l’espace. Actuellement, même si l’on connait les principaux

facteurs influents, leurs effets sur les populations restent à quantifier précisément.

Partie III Structuration spatiale des individus

Chapitre 5 - Etude d’un facteur du paysage structurant les