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2.A L’espace d’état hybride Modes, gardes et domaines invariants

L’état d’un système hybride est décrit de manière générale par une paire Xt= (Qt, Zt), où Qt

est une variable discrète, à valeurs dans un ensemble dénombrable Q, et Zt une variable continue qui prend ses valeurs, lorsque Qt = q, dans un espace métrique noté Eq. Précisons que le terme « continu » fait ici référence à la nature de l’espace Eq dans lequel Ztprend ses valeurs, et n’a rien à voir avec les trajectoires du processus. La variable discrète Qt est parfois appelée le mode du système.

À chaque mode q ∈ Q on associe une garde EB

q ⊂ Eq dont le rôle sera de déclencher les sauts forcés du système. On note E0

q = Eq\ EB

q le complémentaire de la garde, souvent baptisé domaine

invariant du mode q, au sens où le système ne peut rester dans le mode q que si sa composante continue est dans E0

q.

Faisons maintenant quelques hypothèses concernant les espaces Eq et les gardes EB q :

(2.1)Hypothèses. Pour tout q ∈ Q, de deux choses l’une : soit l’espace Eq est un singleton, soit il existe un entier nq ≥ 1 tel que

i) l’espace Eq est un fermé de Rnq, munie de la structure induite d’espace métrique LCS ; ii) l’intérieur Dq de Eq dans Rnq est connexe, et Eq coïncide avec la fermeture Dq de son

intérieur ; iii) la garde EB

q est un fermé ∂Eq, où ∂Eq désigne la frontière de Eq dans Rnq. Par convention, nq = 0 et EB

q = ∅ lorsque Eq est un singleton.

(2.2)Remarques.

a) L’entier nq permet de prendre en compte des situations où le nombre de degrés de liberté du système à modéliser dépend du mode dans lequel il se trouve. Il est clair qu’aucune évolution continue ne peut avoir lieu dans les modes purement discrets (ceux pour lesquels nq = 0) ; ceux-ci peuvent servir par exemple à représenter des états terminaux : « mission accomplie », « système totalement détruit », etc.

b) Il n’est pas vraiment nécessaire de se restreindre à des ouverts Dq connexes, mais on peut le faire sans perte de généralité quitte à introduire des modes supplémentaires.

c) Les hypothèses que l’on trouve dans les articles de Bujorianu et Lygeros (2004a,b,c) sont un peu plus restrictives : elles imposent que EB

q = ∂Eq là où nous supposons seulement que EB

q ⊂ ∂Eq. Nous les avons un peu affaiblies pour pouvoir prendre en compte des exemples intéressants comme la balle élastique stochastique du § 4.B ou encore le modèle d’éolienne développé dans la section V.3, pour lesquels la garde ne coïncide pas avec la frontière toute entière.

Somme topologique disjointe

Le processus Xtprend donc ses valeurs dans la somme disjointe E des ensembles Eq, c’est-à-dire l’ensemble des couples (q, z) tels que q ∈ Q et z ∈ Eq, que l’on note `q∈Q Eq :

(2.3) E = a

q∈Q

Eq = [

q∈Q

On identifie naturellement chacun des ensembles Eq à son image par l’injection iq : z ∈ Eq 7→ (q, z) ∈ E, c’est-à-dire à l’ensemble {q} × Eq ⊂ E. On munit alors cet espace de la topologie somme (Bourbaki, 1971, I.2.4) :

(2.4)Définition-propriété. La topologie somme sur l’espace E défini par la formule 2.3 est la

plus fine topologie qui rend continues toutes les injections iq, q ∈ Q. L’espace E muni de cette topologie s’appelle la somme topologique disjointe des espaces Eq. On a les propriétés suivantes :

i) La topologie induite sur {q} × Eq coïncide par iq avec la topologie euclidienne sur Eq. ii) Les ensembles {q} × Eq, q ∈ Q, sont les composantes connexes de E, et sont donc à la fois

ouverts et fermés.

iii) E est un espace métrisable LCS. Par exemple, la métrique

d (q, z), (q, z) =    1 si q 6= q, kz − zk ∧ 1 si q = q.

est compatible avec sa topologie.

On parlera de saut du processus hybride Xt pour toute discontinuité relativement à la topologie ainsi introduite. En particulier, puisque les Eq – identifiés à partir de maintenant à leur image – sont des ouverts disjoints de E, tout changement de valeur de la composante discrète Qtcorrespond à ce que nous appelons un saut.

(2.5)Remarques.

a) Ces considérations sur ce qu’est l’espace d’état d’un système hybride montrent bien que la décomposition de l’état en une paire (Qt, Zt)est quelque peu artificielle, et indique simple-ment le fait que l’espace d’état comporte plusieurs composantes connexes. Ainsi le modèle de Malhamé et Chong peut-il être vu – modulo un simple changement de variable – comme un modèle scalaire à valeurs dans R \ {0} : ce qui reste, c’est le nombre de composantes connexes, c’est-à-dire le fait qu’on ne puisse passer d’un mode à l’autre qu’en faisant un saut. La présence de sauts dans les trajectoires constitue donc, selon nous, la vraie spécificité des modèles dits « hybrides ». Ceci justifie que tout le chapitre II ait été traité dans le cadre un peu abstrait d’un espace métrique LCS : on a pu ainsi, sans perdre l’essentiel qui est la présence de sauts dans les trajectoires, simplifier agréablement bon nombre de notations, comme on peut le constater en comparant les notations « hybrides » de Bujorianu et Lygeros (2004c) avec la section II.3 de ce mémoire !

b) Certains auteurs maintiennent toutefois une distinction dans leur vocabulaire concernant la nature des sauts1. Pour expliquer ceci, il faut considérer le cas particulier où nq = npour tout q ∈ Q, auquel cas l’espace E peut être vu comme un sous-ensemble de Q × Rn. On peut alors distinguer les simples « sauts » (discontinuités de Zt à Qt = q fixé) des « commutations » (switchings, changements de Qt sans discontinuité de Zt) et des « sauts hybrides » (hybrid

jumps, discontinuités simultanées de Qtet de Zt).

1Voir par exemple Blom (2003) et Krystul et Blom (2005). Signalons que la distinction entre « commutations » et « sauts » qui est faite par Ghosh et Bagchi (2004) est importante dans le type de modèle qu’ils considèrent. Ils autorisent en effet les instants de sauts – au sein d’une même composante connexe de l’espace d’état – à former un sous-ensemble dense de R+, mais pas les commutations entre les différents modes.

Notations : fonctions et champs de vecteurs sur E

Commençons par quelques conventions concernant les fonctions définies sur E, à valeurs dans R. Comme au chapitre II, toute fonction ϕ définie sur E est implicitement étendue à E = E ∪ {∂}, où ∂ 6∈ E est le cimetière, en posant ϕ(∂) = 0. De plus, pour tous k ≥ 1 et A ⊂ E, Ck(A)désigne l’ensemble des fonctions ϕ : A → R, vérifiant : pour tout q ∈ Q tel que nq ≥ 1, la restriction ϕq

de ϕ à Eq possède une extension de classe Ck à un voisinage ouvert de A ∩ Eq dans Rnq. (En particulier, si Aq = A ∩ Eq est ouvert dans Rnq pour tout q ∈ Q, il s’agit simplement des fonctions dont les restrictions sont de classe Ck.) Nous noterons Ck

c (A) les fonctions de Ck(A) à support compact.

Nous adoptons dans tout ce chapitre un point de vue « extrinsèque » sur l’espace d’état E, au sens où chaque Eq est vu commme un sous-ensemble de l’espace euclidien Rnq. Dans ce contexte, on dira qu’une application g : E 7→ ∪q∈Q {q} × Rnq est un champ de vecteur sur E si, pour tout x = (q, z) ∈ E, g(q, z) ∈ {q} × Rnq. En d’autres termes, un champ de vecteurs sur E associe à chaque point (q, z) de E un élément de Rnq. Nous conviendrons que R0

= {0}, c’est-à-dire que tous nos champs de vecteurs sont nuls sur les modes purement discrets (la définition d’un champ de vecteur sur un singleton n’ayant de toute façon aucun sens). Comme d’habitude, on dit qu’un champ de vecteurs est mesurable / continu / de classe Ck si chacune de ses composantes possède la propriété correspondante.

Il sera toutefois utile au chapitre IV, pour bien saisir la signification géométrique de l’équation de Fokker-Planck et du courant de probabilité, d’adopter le point de vue « intrinsèque » de la géométrie différentielle. En effet, rien n’empêche de voir chaque Eq comme une variété à bord, ou plus généralement à coins, à condition bien sûr de supposer la frontière suffisamment lisse. On fait alors l’identification usuelle sur chaque mode de dimension nq ≥ 1 :

g(q, · ) =            g1(q, · ) ... gnq(q, · )            | {z } élément de Rnqnq X i=1 gi(q, · ) ∂xi , | {z } opérateur différentiel

ce qui permet de définir l’action d’un champ de vecteurs g sur une fonction ϕ de classe C1 :

(2.6) gϕ : (q, z) 7→        nq X i=1 gi(q, z)∂ϕq ∂zi(z) si nq≥ 1 , 0 sinon.

Ceci a bien une signification intrinsèque si, lors d’une changement de coordonnées z 7→ ˜z de classe C1, on transforme les composantes de g par la relation ˜gi

=P

j gj ∂ ˜zi

∂zj. Remarquons que la sommation porte sur un nombre de termes variable, qui vaut nq en x = (q, z). Comme cela sera le cas à chaque fois que l’on fera une somme sur les coordonnées spatiales, nous omettrons de le préciser par la suite, en notant simplementPi. Par ailleurs, on veillera à ne pas confondre la notation gϕ, définie par l’équation 2.6, avec la notation ϕg qui désigne le champ de vecteur obtenu en multipliant les composantes de g par la fonction ϕ.

(2.7)Remarque. Nous nous permettrons un abus de langage bénin et fort commode : le coefficient de dérive (drift), noté f et apparaissant dans les EDS formulées avec des intégrales d’Itô, sera qualifié de champ de vecteurs même s’il est bien connu qu’il ne s’agit pas d’un « vrai » champ de

vecteur au sens intrinsèque du terme – en raison du terme correctif dans la formule d’Itô. Dans le cas des EDS formulées avec des intégrales de Stratonovich (voir chapitre IV, § 1.B), le champ de vecteur g0qui remplace f est, quant à lui, un vrai champ de vecteur.