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L’environnement légal du paiement mobile en Europe et ses implications

CHAPITRE 2

L’environnement légal du paiement mobile en

Europe et ses implications

ne technologie est considérée comme perturbatrice quand son utilisation permet la conception de produits ou de services avec des attributs différents de ceux originels. Ce nouveau produit présente ainsi de nouveaux usages qui n’ont pas été attendu et évalué par les clients (Walsh, 2004). Les fournisseurs de ces technologies souhaitent généralement proposer un produit simplifié, moins onéreux ou avec certaines valeurs ajoutées. Ce nouveau produit modifie le marché et peut devenir une menace concurrentielle pour certains acteurs qui devront s’aligner à la technologie perturbatrice. L’évolution du téléphone portable est considérée comme une technologie de ce type, de nature à « perturber » de façon profonde le marché des télécommunication et des paiements. Outre sa fonction initiale de communication, le téléphone portable a étendu ses services à ceux liés à la mobiquité (joignabilité en tout temps et lieu, accès à l’internet, consultation de mails). Ondrus et Pigneur (2005) ont mis en évidence deux perturbations essentielles : (i) sur le marché des cartes bancaire, le paiement mobile propose de nouveaux services et pourrait remplacer certains modes de paiement existants tels que les cartes bancaires ; (ii) de nouveaux intermédiaires financiers apparaissent qui peuvent devenir de sérieux concurrents pour les acteurs originels (institutions financières et opérateurs mobiles). Cette dernière « perturbation » appelle un changement de l’environnement légal permettant l’émergence d’un nouveau style d’intermédiaires financiers offrant les mêmes garanties de sécurité que les institutions financières traditionnelles.

Ces dernières années, les paiements dans la zone euro ont connu d’importants changements pour les raisons suivantes (Vanetti, 2010) :

 La plus grande intégration des économies européennes : l’économie mondiale exerce une pression sur les entreprises européennes.

 L’apparition de nouveaux type de concurrence : la concurrence se déplace vers les entreprises qui peuvent dorénavant offrir des services de paiement.

 Le changement dans la demande des consommateurs : les consommateurs ont des besoins et des envies plus spécifiques avec des exigences pour des nouveaux services plus innovants.

 L’émergence de nouvelles technologies : l’apparition d’internet ou du cloud

computing conduit à la convergence de plusieurs métiers et modifie

considérablement l’environnement bancaire et financier.

C’est à travers ces modifications de l’environnement que la réglementation en vigueur a dû s’adapter. Le paiement mobile est une nouvelle forme de paiement tentant de s’imposer dans cet environnement. Cette nouvelle forme de paiement recouvre quatre fonctionnalités (Flatraaker, 2008) :

 Le portefeuille mobile : il s’agit d’une application installée sur le téléphone portable permettant de stocker des cartes bancaires, carte de fidélité ou autres informations. Le portefeuille mobile peut être utilisé en mode porte-monnaie mobile, possédant les mêmes caractéristiques que la monnaie divisionnaire pour des paiements de faibles montants (anonymat, facilité de paiement), mais aussi des transferts de personne à personne.

 La banque mobile : l’appareil mobile est utilisé pour accéder aux informations bancaires et traitement de comptes.

 Le transfert mobile : cette fonctionnalité permet par exemple le transfert de fonds pour des travailleurs étrangers ou une population migrante.

 Le paiement mobile : cette dernière fonctionnalité recouvre plusieurs sortes de paiements, de gros ou petits paiements de proximité ou à distance, pour l’achat de biens ou services digitaux ou autres, à travers les canaux d’internet.

La mise en place de ce nouveau mode de paiement conduit l’offreur de service à intégrer le domaine du paiement, peu familier par ailleurs, les acteurs du paiement souhaitent fournir le service avec un minimum de contraintes et en limitant le partage du revenu créé. A

première vue, il semblerait que les établissements bancaires soient les plus aptes à faire face à la complexité de l’environnement financier et à ses exigences (capital initial, gestion de la fraude). Les opérateurs mobile qui possèdent les réseaux sur lesquels transitent les transactions ont aussi des atouts à jouer.

Le paiement mobile présente une nouvelle forme de paiement bien complexe pour deux raisons principales qui sont à l’origine de son retard de développement :

 Les échanges sont basés sur des types de monnaies qui peuvent différer selon le moyen de stockage utilisé et qui parfois sont difficilement discernables. La monnaie électronique, une des monnaies utilisées, a mis connu une stabilisation lente sur le plan légal. Sa définition et sa mise en place ralenties n’ont pas permis le développement des transactions basées sur le téléphone.

 De nouveaux acteurs non bancaires pénètrent un marché des paiements hautement régulé. Il a ainsi fallu créer une nouvelle législation pour légitimer la venue de ses acteurs et offrir aux professionnels et ménages des transactions présentant les mêmes garanties en termes de sécurité.

L’objectif de ce chapitre est de connaître les régulateurs en Europe, de répondre à ces deux problématiques, connaître les acteurs de ce marché et d’analyser leur rôle.

Ce chapitre est décomposé en deux parties, permettant de répondre aux questions suivantes : Quel statut juridique pour les fournisseurs de paiement mobile ? Sur quelle monnaie sont basés les échanges mobile ? Quelles sont les régulateurs pour cette nouvelle forme de paiement (bancaire, mobile) ?

La première partie analysera les prises de position des fournisseurs de paiement mobile. Le paiement mobile attire de nombreux intermédiaires, des acteurs non bancaires (constructeurs mobiles, Sociétés de Services en Ingénierie Informatique, …) souhaitent proposer ce service afin d’élargir sa clientèle ou de capter une nouvelle source de revenu. Des organismes de régulation doivent légitimer leur statut pour permettre notamment une sécurité maximale pour le consommateur. Cette première partie analyse l’arsenal juridique en place en France et en Europe au niveau bancaire du paiement mobile. Celui-ci associe deux directives : la « directive monnaie électronique » et la « directive sur les services de paiement ». La mise sur le marché du mode de paiement électronique incite de nombreux acteurs à envisager une

offre mobile. C’est pourquoi de nouveaux statuts ont été créés à travers ces deux directives (respectivement les établissements de monnaie électronique et les établissements de paiement) qui permettent leur entrée légalement sur le marché ainsi que la protection des fonds des clients. Ces deux nouvelles formes juridiques accordent à des acteurs non bancaires la possibilité d’offrir des services de paiement. Ces directives et ces statuts ne s’appliquent pas dans tous les cas de paiement mobile, certains acteurs ou échanges sont soumis à l’une plutôt qu’à l’autre. Pourquoi deux juridictions ? Pourquoi deux statuts différents ? Comment le fournisseur de service de paiement mobile choisit-il de se positionner entre les statuts ?

Pour répondre à ces questions, il faut en un premier temps comprendre les formes que peut prendre ce mode de paiement, le type de monnaie associé différant alors selon le stockage de la transaction. Ces précisions nous permettront de nous intéresser aux statuts eux- mêmes afin de comprendre les choix de positionnement des acteurs qui dépendra principalement du type de monnaie utilisé lors des transactions.

La seconde partie du chapitre analyse le rôle des régulateurs. Le paiement mobile jouant sur deux aspects (télécommunication et bancaire) la question est de déterminer les rôle qu’ont les régulateurs sur ces deux marchés. L’apparition massive des Technologies de l’Information et de la Communications dans l’environnement du paiement incite à l’évolution de la législation. L’objectif de cette partie est d’analyser les évolutions susceptibles pour réguler ce marché et laisser place aux deux législations.

1. Introduction

Des acteurs non bancaires souhaitent entrer sur le marché du paiement mobile pour capter de nouvelles sources de revenu et diversifier leur clientèle. Les premiers sont bien entendu les opérateurs de téléphonie mobile. Ils possèdent les réseaux, les infrastructures et la technologie : leur position est donc naturelle. Compte tenu des perspectives de croissance et de revenus dégagés par ce mode de paiement, d’autres intervenants se sont aussi intéressés à ce marché. Il s’agit d’acteurs de l’Internet, de sociétés de paiements électroniques ou de sécurité de paiement. L’entrée de ces nouveaux acteurs bouleverse l’environnement financier qui est régit de lois et de régulations strictes en matière de sécurité des paiements (protection des fonds des clients …).

étape est une phase de tests permettant l’émergence et la connaissance pour le public de ce paiement. Des acteurs souhaitant faire émerger le service et de ce fait ne désirant pas en un premier temps faire de bénéfices coopèrent afin de « contourner » certains problèmes tels que la législation, la mise en place d’un modèle économique ou le partage de la technologie. Dans un second temps, le service accepté par les individus, des modèles économiques sont mis en place mettant en évidence des relations concurrentielles. C’est lors de cette seconde phase que la législation doit être réellement mise en place afin que chaque acteur puisse être libre d’offrir le service de façon légale et sécurisée et commencer à dégager des sources de revenus.

 1ère

phase : coopération pour assurer l’émergence du service. Lors du lancement

service et de la phase émergente, les agents bancaires et mobiles évoluent de manière coopérative, l’objectif étant de faire connaître et accepter le service et non de faire immédiatement des profits. Quelques exemples représentatifs de cette phase : en France, le pilote Payez Mobile à Caen et à Strasbourg, où en novembre 2006, cinq grands acteurs de la télécommunication et du secteur bancaire s’associent afin de tester le paiement mobile, BNP Paribas, Bouygues Telecom, Groupe Crédit Mutuel- CIC, Orange et SFR. En mars 2007, le Crédit Agricole et la Société Générale rejoignent ces acteurs de même que la Banque Populaire, la Caisse d’Epargne, NRJ Mobile, Visa Europe et MasterCard Worlwide, en novembre 2007. Tous ces acteurs ont évolué en utilisant les compétences de chacun. Ils se sont aussi appuyés sur l’expertise de nombreux industriels : trois constructeurs mobiles (Motorola, Sagem et LG), deux constructeurs de terminaux de paiement (Sagem Monetel et Ingenico), deux fournisseurs de cartes SIM et plate-formes de gestion sécurisées des applications (Gemalto et Oberthur Card Systems), et un fournisseur de composants NFC (Inside Contactless). Cet environnement complet a permis de faire connaître ce nouveau mode de paiement sans modifier l’environnement financier et juridique, chacun des acteurs restant sur son expertise et son métier, les banques offrant le paiement à travers les réseaux mobiles et les informations bancaires stockées sur la carte SIM des opérateurs.

 2ère

phase : phase de positionnements non coopératifs. Suite au succès des premières

différents modèles économiques pouvant se dégager à ce stade. C’est ainsi que les opérateurs seuls ou les autres acteurs ni banques, ni operateurs téléphoniques, tentent d’émerger seul ou en collaboration restreinte avec un ou deux partenaires.

La régulation bancaire a été largement mise en place pour permettre aux institutions financières de proposer tout type de service de paiement. Cependant, lorsque l’offre s’étend aux acteurs non financiers, la régulation a du évoluer et s’adapter. Le marché du paiement mobile étant de plus en plus convoité par des nouveaux acteurs autres que bancaires, les besoins en capitaux initiaux et en fonds propres permettant de couvrir le risque lié à l’activité sont trop importants pour ces acteurs non bancaires, ce qui ne leur donne pas l’accès au marché. La législation a ainsi été complétée par l’apparition de deux nouveaux statuts : les

Etablissements de Monnaie Electronique (EME) en 2000 et les Etablissements de Paiement

(EP) en 2007. Selon le droit français, la mise à disposition et la gestion des moyens de paiement étaient réservées aux établissements de crédit selon la loi bancaire 1984. Ainsi, le législateur a créé une nouvelle catégorie d’agents souhaitant encadrer l’émission et la gestion de la monnaie électronique à travers tout d’abord les Etablissements de Monnaie Electronique (EME) en 2000, puis les Etablissements de Paiement (EP) en 2007.

2. Quels choix pour les fournisseurs du paiement mobile ?

Le nombre grandissant d’acteurs souhaitant bénéficier des services proposés grâce à la convergence numérique soulève la question du monopole bancaire dans la gestion des instruments de paiement (Bounie, Bourreau, 2004). L’offre de service doit-elle se limiter aux institutions financières pour assurer la sécurité aux utilisateurs ou doit-on envisager une nouvelle source de concurrence en ouvrant les portes à de nouveaux intermédiaires financiers ?

Les besoins en capitaux initiaux et fonds propres étant très élevés pour les établissements bancaires, l’entrée sur le marché n’est pas aisée et reste réservée à quelques établissements historiques. Très rapidement la législation bancaire a évolué pour légitimer l’entrée de ces nouveaux acteurs. Dans le cas où le fournisseur de paiement mobile n’est pas une institution financière, il devra opter pour l’un des deux statuts disponibles pour toute offre de paiement mobile : établissements de monnaie électronique7 ou établissement de paiement8. La création de ces nouveaux statuts rend le marché davantage concurrentiel grâce à un allègement en capital initial et fonds propres permettant l’entrée de nouveaux acteurs. A un niveau de service égal, le fournisseur de service de paiement mobile choisira celui d’établissement de paiement plus allégé. Le choix se portera pour un statut d’établissement de monnaie électronique seulement si l’établissement souhaite émettre lui-même la monnaie électronique.

Le choix d’un de ces deux statuts va dépendre de la nature des échanges. Avant de se positionner, les fournisseurs du service de paiement mobile doivent répondre aux deux questions suivantes (cf. Figure 13) : (i) les échanges sont-ils effectués sur de la monnaie électronique ; (ii) le fournisseur du service mobile souhaite-t-il émettre lui-même cette monnaie ?

Le fournisseur de paiement mobile choisit le statut d’établissement de monnaie électronique dans le seul cas où celui-ci fournit un service basé sur de la monnaie électronique

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Directive 2000/46/CE du Parlement Européen et du Conseil du 18 septembre 2000 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements abrogée par la Directive 2009/110/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements

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ET émet lui même cette monnaie (cf. Figure 13). Les conditions de ces décisions seront discutées par la suite.

Figure 13 : Positionnement des acteurs entre le statut d’établissements de paiement et d’établissements de monnaie électronique