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PARTIE I : RATIONALITÉ TECHNOSCIENTIFIQUE ET VISIONS DE L’HUMAIN

2. La cybernétique

2.2. Éléments importants du concept

2.2.3. L’entropie et la théorie de l’information

Selon   Wiener,   l’univers,   comme   tout   système   fermé   ou   isolé,   est   soumis   à   l’entropie. « The world as a whole obeys the second law of thermodynamics: confusion increases and order decreases »225. Dans  l’univers  tout   entier,  il   y   aurait  cette  tendance statique de la nature au désordre, sauf pour certaines poches ou enclaves locales qui seraient au bénéfice de forces néguentropiques qui agiraient contre les tendances de l’entropie  et  permettraient  le  progrès.  Wiener les baptise de « local and temporary islands of decreasing entropy in a world in which the entropy as a whole tends to increase, and the existence of these islands enables some of us to assert the existence of progress»226.

Dans les systèmes ouverts ou non-isolés (enclaves locales), les forces néguentropriques sont les éléments extérieurs au système; elles le modifient agissant contre   la   dégradation   inéluctable   de   tout   système   fermé,   de   facto   diminuent   l’entropie   permettant au système ouvert de progresser; ces forces sont comprises comme étant de l’information.   Les   humains   participeraient   de   ces   systèmes   ouverts   qui   bénéficient   d’apports  extérieurs.  

We, as human beings, are not isolated systems. We take in food, which generates energy, from the outside, and are, as a result, parts of that larger world which contains those sources of our vitality. But even more important is the fact that we take in information through our sense organs, and we act on information received227.

225 Norbert WIENER, The Human use of Human Beings, op. cit., p. 52. 226 Ibid.

Pour Wiener, les machines participent aussi des systèmes ouverts parce   qu’elles   peuvent  s’autoréguler;;  ce  faisant,  elles  produisent  et  communiquent  de  l’information,  via   l’autorégulation  par  exemple.  Ainsi,  ce  qui  est  vrai  des  enclaves  où  l’entropie  diminue  «   is not confined merely to organization as exhibited by living beings. Machines also contribute to a local and temporary building up of information »228.

Comparant vivant et non-vivant, Wiener précise: « it   is   my   opinion,   […]   say   merely in connection with machines that there is no reason why they may not resemble human beings in representing pockets of decreasing entropy in a framework in which the large entropy tends to increase »229.

Dans  la  vision  de  Wiener,  l’univers  constitue  un  système  fermé  alors  que  la  terre   demeure un système ouvert. Dans une approche purement probabiliste   de   l’entropie,   Wiener  présente  l’information  comme  un  « principe  d’ordre  fondamental »230. Le progrès consisterait « essentiellement   en   l’amélioration   du   contrôle   et   du   traitement   de   l’information »231.

La   gestion   de   l’information,   autre   concept clé de la cybernétique, permet le rapprochement entre les vivants et les non-vivants : les humains, les animaux et les machines échangent des messages232. Ce dénominateur commun (que serait la capacité

228 Ibid., p. 45.

229 Ibid., p. 46-47.

230 Jacques GRINEVALD, « Progrès et entropie, cinquante ans après », dans Dominique BOURG et Jean- Michel BESNISER (dir.), Peut-on encore croire au progrès?, Paris, PUF, 2000, p. 197-227, cité par Céline LAFONTAINE, op. cit., p. 43.

231 Céline LAFONTAINE, op. cit., p. 42-3. 232 Paul COSSA, op. cit., p.15.

d’échanges  informationnels)  que  les  cybernéticiens  ont  cru trouver entre humain, animal et machine aura une grande portée ontologique. Les cybernéticiens commenceront par observer puis amalgamer humain, animal et machine. Une des méthodes de travail de ces premiers penseurs consistait à comparer « la structure de tel ou tel organe de machine et la  structure  de  telle  ou  telle  formation  nerveuse,  dans  l’espoir  qu’une  identité  de  structure   permettra de conclure à une identité de fonctionnement »233. Plusieurs homologies seront avancées  à  titre  d’exemples.  Parmi  celles-là, « la  plus  célèbre  est  l’homologie  découverte   entre certains systèmes de régulation nerveuse ou endocrine et certains régulateurs de machines, ceux-là   mêmes   que   l’on   a   baptisés   de   feed-back (contre-réaction) »234. L’analogie  se  poursuit    et  atteint  sa quintessence  entre  le  cerveau  humain  et  l’ordinateur : le premier serait une machine biologique et le deuxième une machine électronique; les deux   sont   des   outils   d’information   et   s’y   assimilent.   Ainsi,   « [l]a cybernétique subordonne  […]  la  vie  au  principe informationnel.  Suivant  cette  logique,  l’être  humain  ne   possède   qu’une   valeur   différentielle   reliée   à   sa   capacité   de   traiter   de   l’information   complexe »235.

Les   concepts   cybernétiques   d’entropie   et   d’échanges   informationnels   dans   leur   application à un niveau   autre   qu’individuel   accentuent   « une représentation purement communicationnelle   [relations   et   gestions   de   data   ou   d’informations]   de   la   société.     Devenue  un  immense  système  de  communication,  cette  dernière  n’existe  qu’à  travers  les   échanges informationnelles entre ses membres »236.

233 Ibid., p. 18.

234 Ibid., p. 23.

235 Céline LAFONTAINE, op. cit., p. 43. 236 Ibid., p. 47.

Pour Wiener, la société doit être comprise en fonction du primat de la communication ou du paradigme informationnel. Il développe cette idée dans plusieurs de ses livres. Dans The Human use of Human Beings, il précise son point :

It is the thesis of this book that society can only be understood through a study of the messages and the communication facilities which belong to it; and that in the future development of these messages and communication facilities, messages between machines and man, and between machine and machine, are destined to play an ever-increasing part237.

À   partir   de   la   logique   de   communication   (relation   et   gestion   d’information),   Wiener  ne  voit  pas  de  différence  essentielle  entre  l’humain  et  la  machine;;  les deux gèrent des signaux :

When I give an order to a machine, the situation is not essentially different from that which arises when I give an order to a person. In other words, as far as my consciousness goes I am aware of the order that has gone out and of the signal of compliance that has come back. To me, personally, the fact that the signal in its intermediate stages has gone through a machine rather than through a person is irrelevant and does not in any case greatly change my relation to the signal238.

C’est   dans   ses   rapports   aux   signaux   et   aux   data   que   l’humain   ou   tout   autre   système   ouvert   résiste   temporairement   à   l’entropie.   Puisque   la   vie   s’inscrit   dans   ces   enclaves  ouvertes,  la  prééminence  va  au  traitement  de  l’information.  Où  se  situerait  donc la différence entre les êtres vivants et les machines, alors que tout se ramènerait à l’information?  Cette  différence  n’est  pas  de  l’ordre  de  l’essence  mais  de  degré; le degré se rapporte à la capacité plus ou moins complexe à traiter, gérer et contrôler de l’information.  La  vision  cybernétique  des  êtres  vivants  et  du  non-vivant se conçoit sur le plan de la communication et du contrôle (dans le sens de la gestion et non de la

237 Norbert WIENER, The Human use of Human Beings. Cybernetics and Society, op. cit., p. 25. 238 Ibid.

domination). Wiener est explicite à cet égard : « In giving the definition of cybernetics in the original book, I classed communication and control together »239.

Selon   Wiener,   l’humain   est   toujours   en   situation   d’exercice   de   contrôle   ou   de   gestion (action, réaction, contre réaction) par rapport à son environnement. « It is the purpose of cybernetics to develop a language and techniques that will enable us indeed to attack the problem of control and communication in general »240.

Les commandes à partir desquelles nous gérons notre entourage constituent des data ou informations. Les échanges   d’informations   sont   sujettes à la désorganisation in

transit. Ce qui exige ou implique des interventions de notre part. « In control and

communication  we  are  always  fighting  nature’s  tendency  to  degrade  the  organized  and  to   destroy the meaningful »241. Wiener  prend  acte  d’une  tendance  à  la  désorganisation  qui   caractérise  les  échanges  d’informations. Cette propension inéluctable à la désorganisation est  assimilée  à  l’entropie  qui  ne  fait  que  s’accroître  sans  intervention  extérieure.  

Communication et information versus contrôle et entropie sont des pôles de la vision  cybernétique  du  monde  mise  de  l’avant  par  Wiener.  « The process of receiving and using information is the process of our adjusting to the contingencies of the outer environment, and of our living effectively within that environment »242. Dans le système élaboré par Wiener, la communication et le contrôle font partie de la nature de la vie

239 Ibid., p. 24.

240 Ibid., p. 25. 241 Ibid., p. 26 242 Ibid., p. 27

humaine;;   à   partir   de   ces   concepts,   il   propose   une   définition   de   l’humain.   Y   aurait-il quelque réalité qui serait  propre  à  l’humain  et  qui  fonderait  son  individualité?