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De l’enseignement d’une histoire nationale à l’enseignement d’une histoire…

*Pour une autre géographie scolaire

2. De l’enseignement d’une histoire nationale à l’enseignement d’une histoire…

ouverte sur le monde et sa complexité?

C’est ce que pourrait laisser espérer une première lecture des programmes de 2008.

En introduction sont rappelées les finalités de l’enseignement de nos trois disciplines qui:

«(…) concourent à la formation d’une identité riche, multiple et ouverte à l’altérité », quelques lignes plus loin on peut lire que «(…) si l’histoire nationale reste essentielle, elle ne constitue plus un passage obligé pour une ouverture sur l’histoire de l’Europe et du monde ».

Les nouveaux programmes entrant en vigueur en 2009 en sixième s’ouvrent à d’autres civilisations : l’Inde des Gupta, la Chine des Han ou l’Afrique subsaharienne.

En sixième : « Regards sur les mondes lointains »: la dernière partie ouvre le programme à une civilisation asiatique : Chine des Han ou Inde des Gupta.

En cinquième : « Regards sur l'Afrique »: L’étude articule le temps long de l’histoire africaine entre le VIIIe et le XVIe siècle et l’exemple, au choix, d’une civilisation de l’Afrique subsaharienne parmi les suivantes:

26 Tayeb Chenntouf, Mondialisation et enseignement de l’histoire des civilisations, Actes du colloque organisé par la SIDH et l’IUFM de Lyon « Identités, mémoires, conscience historique », 2001.

- l’empire du Ghana (VIIIe - XIIe siècle) ; - l’empire du Mali (XIIIe - XIVe siècle) ; - l’empire Songhaï (XIIe - XVIe siècle) ; - le Monomotapa (XVe - XVIe siècle).

« L’étude de la naissance et du développement des traites négrières est conduite à partir de l’exemple au choix d’une route ou d’un trafic des esclaves vers l’Afrique du Nord ou l’Orient et débouche sur une carte des courants de la traite des noirs avant le XVIe siècle. ». Mettant ainsi en exergue un souci de rupture avec la traite atlantique que certains Africains reprochent aujourd'hui aux Européens, et le problème des mémoires antagonistes.

Il y a donc un choix évident du législateur d’élargir le champ d’étude à d’autres civilisations du passé. Contrairement à ceux de l’école primaire, ces nouveaux programmes font le choix d’intégrer l’histoire d’autres civilisations anciennes et d’en suivre une sur la longue durée.

Même si l’on peut déplorer la faible part à consacrer dans la programmation à « ces autres civilisations », la Chine des Han par exemple : 10% du volume horaire du programme de sixième et en fin d’année.

On ne peut par ailleurs manquer de s’interroger à propos du programme de sixième sur le choix des mots "regards" dans « regards sur le monde »27 et "ouvre" dont le Robert donne entre autres définitions « Rendre accessible (un lieu, un domaine) à quelqu’un. ». Par ailleurs en quoi la Chine des Hans « ouvre-t-elle plus » que l’Egypte ancienne ?

Jean-Luc Martineau, lors du colloque de mars 2008 organisé par le SNES et le CVUH sur l’enseignement des questions socialement vives28 s’est réjoui de l’introduction d’une séquence très historique sur l’Afrique « car cela contribue à la banalisation de l’histoire de l’Afrique et permet un traitement en partie chronologique et en partie thématique qui participe à cette banalisation. (…) Cette séquence valorise l’Afrique à un moment où les grandes formations étatiques s’en partagent le gouvernement et où ses contacts avec le reste du monde sont multiples. ».

Enseigner les royaumes africains sur la longue durée c’est enseigner une Afrique qui a sa propre histoire alors que jusqu’ici elle n’était perçue par les élèves comme un aléa de l’histoire européenne.

Dans les nouveaux programmes en quatrième, le thème 3 est consacré aux « traites

négrières et à l’esclavage ».

Force est de constater que l’histoire de l’esclavage est de plus en plus présente dans les

27 Regard: Action, manière de diriger les yeux vers un objet, afin de le voir ; action de considérer avec attention.

[Le Robert])

28 Actes du colloque « l’enseignement des questions socialement vives en histoire et géographie », ADAPT Editions, 2008.

programmes du cycle 3 et du collège. « La traite est un phénomène ancien en Afrique. Au XVIIIe siècle, la traite atlantique connaît un grand développement dans le cadre du

«commerce triangulaire » et de l’économie de plantation. » Problématique développée par ailleurs en première des séries générales avec « l’Europe et le monde dominé ».

Caractéristiques « scolaires » de l’histoire de la colonisation, qui prolonge le thème de l’esclavage :

- les populations colonisées sont décrites et, quand elles le sont, c'est de façon homogène (pauvre, peu civilisée, passive), selon des critères installés au début de la colonisation, mais qui perdurent au-delà.

- la population des pays colonisés est constituée d'une petite minorité d'assimilés participant un peu au pouvoir colonial et d'une forte majorité de paysans illettrés. Exception notable : Abd El-Khader

- vision rompue au moment de la décolonisation : la population

« homogène », cette population opprimée devient aussi une population rebelle, dangereuse.

Un problème se pose dès lors pour l’enseignant : cette vision ne renvoie pas réellement à l'idée de commune humanité. C'est rarement une perspective de commune humanité - et donc d'histoire commune - qui préside à l'approche de la population colonisée…

La difficulté réside à enseigner une histoire commune et non une histoire spécifique, rassemblée dans une double page de manuel scolaire.

En classe de troisième au sein d’un thème sur « les mutations sociales » est proposée

« l’histoire d’un siècle d’immigration en France ». Question reprise et approfondie par les récents programmes de première STG dans le cadre d’un sujet d’étude traitant d’ « immigration et immigrants », au sein du thème « diffusion et mutations du modèle industriel à partir de l’Europe (milieu XIXe s. – milieu XXe s.) ». A travers l’étude des

« Trente Glorieuses », le programme de 2004 des séries terminales générales l’abordait déjà. Dans les trois cas, c’est à travers l’approche sociale et économique de la société française (et états-unienne pour les terminales) que l’histoire de l’immigration est abordée.

Sujet certes « sensible » car il rencontre un débat existant au sein de la société mais thème qu’il était temps d’introduire au regard de la recherche universitaire de ces vingt dernières années afin de « construire une histoire commune, qui au lieu d’être renvoyée à la dimension individuelle, serait rendue à sa visibilité historique commune, nationale et universelle. Une histoire qui ne serait pas l’histoire des immigrés eux-mêmes mais bien de la nation elle-même, dans la longue et complexe construction de la société française depuis

deux siècles au moins… »29

Caractéristiques de cette histoire, à prendre en compte (B. Falaize, F. Lantheaume) :

- Prendre en compte la diversité des immigrations, dans l’espace et dans le temps.

- Points communs des immigrants : populations pauvres, dominées, situation économiquement et socialement défavorable.

- Situation de rupture entre citoyenneté et nationalité pour les immigrants, puisque le modèle civique républicain français établit un lien étroit entre la nationalité et l'appartenance à la communauté des citoyens

- Difficultés donc à identifier leur place dans la société française.

- Rattacher l'histoire de l'immigration à l'histoire sociale globale, considérer l'immigré comme un acteur.

- Sortir de la question de l'immigration vue seulement en termes de flux géographiques, démographiques.

- Revoir l’approche trop culturaliste, qui renvoie l'immigré à l'altérité.

Traites négrières, esclavage, colonisation, immigration… sont objets de débats au sein de la société, débats dont les programmes de 1995 et 2004 sont porteurs par la reconnaissance qu’ils soulignent des « mémoires plurielles ». Ce qui prévaut dans l’histoire enseignée est d’assumer la convergence des mémoires multiples vers une mémoire porteuse d’une identité commune. Pour éviter la confrontation toujours renouvelée entre la mémoire nationale et les mémoires des minorités, l’histoire enseignée dispose d’un outil, inscrit dans le sens nouveau assigné au patrimoine et à la finalité patrimoniale dans la mémoire « d’une » histoire. Plutôt que la conservation d’acquis immuables sur lesquels reposerait la mémoire nationale, c’est ce qui se transmet qui fait lien, et mémoire, dans une construction commune.

En se saisissant des mémoires, ces programmes imposent l’étude de l’altérité, non pas dans la perspective d’un devoir de mémoire, mais par devoir d’histoire. « Dans un État de droit et une nation démocratique, c'est le devoir d'histoire et non le devoir de mémoire qui forme le citoyen. Car l'histoire, si elle est fidèle à sa vocation, implique distance, remise en cause des stéréotypes et surtout débat et diversité des points de vue. Elle préserve du manichéisme et du simplisme générateurs de haine et d'intolérance. Elle apprend la lucidité et l'esprit critique qui mettent à l'abri des illusionnistes» 30.

Le devoir d'histoire qui impose questionnement, critique des sources, rigueur méthodologique à la lecture du passé semble devoir être le rempart le plus efficace contre la dérive mémorielle et ses dangers.

Le rôle de l’histoire enseignée est ici essentiel, celui de transmettre le résultat des travaux les plus récents et de présenter le discours historique et les méthodes de l'histoire en

29 Benoît Falaize in Actes du colloque « l’enseignement des questions socialement vives en histoire et géographie »

30 Philippe Joutard, La tyrannie de la mémoire, in L'Histoire, n°221, mai 1998.

contrepoint aux excès de la mémoire, « [l’] histoire enseignée ne peut même naviguer qu'en tirant les bons bords entre deux caps : celui d'une connaissance scientifique mieux assurée de l'événement lui-même ; celui de son inscription plus précise dans des enjeux passés et présents plus larges qui l'englobent, lui donnent sa pleine dimension, une cohérence plus plausible et obligent à travailler « grand angle » en prenant toute la hauteur souhaitable » 31.

Deux raisons à cela :

- D'abord les programmes de l'histoire enseignée sont sous l'étroite observation des différents porteurs de mémoires, chacun exigeant d'avoir sa part dans le récit national, la mémoire collective que sert à construire l'histoire enseignée.

- D'autre part, la mémoire entrée dans les programmes scolaires évoque non seulement l'émergence « des » mémoires, mais le plus souvent en présente leurs évolutions, leurs affrontements.

« Nous saisissons bien ici la différence qui existe entre enseigner les mémoires de la seconde guerre mondiale en France et le devoir de mémoire. Il s'agit ici, dans une démarche historienne, de confronter des constructions mémorielles et de les situer entre elles en fonction des enjeux politiques, sociaux et culturels de périodes postérieures aux faits eux-mêmes. Cette démarche peut, en toute liberté pédagogique, s'appliquer aux tensions l’humanité. L’enseignement de l’histoire des arts est là pour en donner les clés, en révéler le sens, la beauté, la diversité et l’universalité. »… « il invite à s’ouvrir à l’altérité et à la monde ? Réflexions à rapprocher des programmes de géographie de terminale, qui étudient l’autre dans ses espaces vécus, dans le cadre de la question sur la mondialisation…Quelle pensée historique construire chez nos élèves ? Pour former quel citoyen de demain ?

31 Jean-Pierre Rioux, Sur l’enseignement de la guerre d’Algérie, in Mohamed Harbi, Benjamin Stora, La guerre d’Algérie, Paris, Robert Laffont 2004

32 Gérard Pinson, Enseigner l’histoire : un métier, des enjeux, Hachette Education, 2007

3. Cette ouverture à l’histoire « des autres » interroge le rapport à la discipline, à