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Chapitre 6 : Le rapport à la norme hétérosexuelle

6.1 Résistance à l’hétéronormativité

6.1.3 L’engagement social

Enfin, pour compléter la question de la résistance, il sera question de l’implication sociale des participantes, implication qui peut prendre diverses formes et qui contribue à faire bouger la cause homoparentale. Lors de la conception du schéma d’entrevue, il était prévu que je questionne les répondantes sur leur implication au sein d’organismes homoparentaux ou LGBTQ. Je n’avais pas eu l’idée, toutefois, de les questionner sur d’autres types d’engagement. Ces différentes implications sont néanmoins ressorties des entrevues.

À titre d’exemple, Claudia et Karine ne font partie d’aucun groupe ou d’aucune association homoparentale ou LGBT, mais considèrent important de faire connaître leur modèle familial de différentes façons :

C : « Y’avait l’émission, la recherche, le journal… On a toujours eu un petit euh... Un petit quelque chose. Quand les gens nous le demandent, ça nous dérange pas parce que ça fait avancer, ça donne de l’information. »

K : « Y’a pas de question qui me bloque, ou je dis : "Non, ça je veux pas qu’on en parle". Non non, ça fait partie de notre expérience de vie, pis tant mieux si... T’sais comme quand on a fait l’émission, ou quand on est passées dans le journal, est-ce qu’on a eu peur du jugement? Non, si ça peut aider quelqu’un. Pis un couple de filles qu’on connaissait plus ou moins, ben elles étaient là à notre mariage, elle a dit : "J’ai eu des enfants parce que j’ai vu l’article que vous avez passé dans le journal". Elle a dit : "C’est ce qui nous a inspirées à avoir des enfants". Elles nous avaient appelées après : "Comment ça marche le côté légal? Pis comment...", et on leur avait expliqué parce qu’on était passées par là. Pis là on s’est dit : Crime, si on a pu aider une personne... Pourquoi pas? Go. »

Il n’est donc pas nécessaire, pour ce couple, de faire partie d’une association précise ou d’un groupe organisé qui revendique une plus grande reconnaissance ou visibilité des réalités homoparentales. Leur engagement est plus spontané, en ce sens où elles acceptent toujours d’agir comme porte-paroles lorsque la requête est lancée. D’ailleurs, leur participation à l’entrevue dans le cadre de l’étude ci-présente est un exemple de cet engagement spontané. Bien que Karine et Claudia aient répondu à mon annonce de recherche de volontaires après que je l’aie mise sur le groupe Facebook de la Coalition des familles LGBT, elles me précisent que c’est en fait le frère de Karine qui leur a montré l’annonce, puisqu’elles ne sont pas membres de ce groupe.

Dans l’extrait ci-haut, les deux répondantes font part de leurs motivations, des raisons pour lesquelles elles acceptent d’agir comme porte-paroles sans avoir peur du jugement. La motivation se fonde sur leur volonté de partager leur expérience, de donner de l’information, de « faire avancer » la cause et d’aider d’autres personnes. C’est d’ailleurs ce qu’elles ont réussi à faire avec un couple de femmes qu’elles ne connaissaient pas à l’époque, mais qui a été inspiré par leur famille, un accomplissement dont Karine et Claudia semblent fières. En outre, pour utiliser d’autres mots que ceux utilisés par ces participantes, ces différentes initiatives s’inscrivent dans une forme de militantisme qui n’est pas définie comme telle, mais qui lutte tout de même pour du changement, pour une plus grande visibilité et une meilleure connaissance des réalités homoparentales, tout comme un regroupement plus formel peut le faire.

Annick et Catherine, pour leur part, m’informent de leur implication dans la Coalition des familles LGBT :

A : « Nous on est membres de la Coalition des familles LGBT. On va à la parade aussi. Ça fait deux ans qu’on est pas allées, mais... [...] Mais en fait, cette année, ce qui est arrivé, c’est qu’Antoine avait une fête d’ami(e) cette journée-là, parce que sinon on y allait. On aime ça y aller, on trouve ça important d’y aller aussi. Pis on paye notre cotisation à la Coalition parce qu’on trouve ça important aussi, parce qu’ils font beaucoup de travail pour les familles homoparentales. [...] Pis on va au party de Noël de la Coalition d’habitude. »

En plus de cet engagement, ces mères m’expliquent qu’elles faisaient, ensemble, partie d’une association LGBT lorsqu’elles étaient étudiantes à l’université. Selon elles, ces regroupements leur ont surtout permis de rencontrer des ami(e)s qui partagent des expériences similaires aux leurs. Il faut toutefois évidemment mettre l’accent sur l’importance qu’elles disent accorder à l’engagement militant, qui se fait à travers leur présence ou leur cotisation. Annick et Catherine sont conscientes du rôle que jouent ces organismes pour faire connaître l’homoparentalité et revendiquer des changements auprès d’institutions, c’est pourquoi elles sont fières de les soutenir de diverses façons. Il semble s’agir pour elles d’une stratégie efficace de résistance à l’hétéronormativité dominante, même si ces mots ne sont pas ceux empruntés pour justifier les gestes militants.

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Il ne semble pas primordial, pour Élyse, Marie-Claude et Sophie, de s’impliquer de la même manière que le font les participantes dans les extraits ci-haut. Cela dit, elles ont toutes accepté de me rencontrer lorsqu’un proche leur a fait part de ma recherche, ce qui démontre une ouverture à ce genre d’engagement, un engagement qui requiert tout de même qu’elles se livrent au sujet de leur vie privée.

Malgré certains signes évidents de résistance militante et d’affirmation qui cherchent à remettre en cause la norme établie, on remarque chez les participantes une certaine intériorisation de la norme. Visiblement, ces dernières ne sont pas au-dessus de la norme. Elles doivent constamment composer avec elle, de manière consciente ou non.

6.2 Intériorisation ou intégration du cadre hétéronormatif dans le