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À travers le rapport à la norme (hétérosexuelle)

Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.2 La question de la reconnaissance

2.2.1 À travers le rapport à la norme (hétérosexuelle)

Comme il est mentionné dans le premier chapitre, les réflexions de Descoutures (2010) sur la résistance, la visibilité et le militantisme me seront utiles pour déconstruire le discours de mes répondantes et examiner l’étendue de la reconnaissance sociale qu’elles considèrent toujours manquante. À ce titre, l’usage du concept d’« agent de la norme » par l’auteure sera également pertinent à mon analyse. La sociologue définit le concept comme suit :

Par « agents de la norme » (hétérosexuelle), j’entends des acteurs tant individuels qu’institutionnels mais aussi des émetteurs de rappels à l’ordre, des contrôleurs de l’ordre hétéronormatif. Cet assemblage est constitué par les normes médicales [...], légales, mais aussi celles produites par les institutions telles que la religion, l’école, la famille, qui, véhiculées par leurs agents sous forme de valeurs ou de croyances, contribuent aussi à les reconduire : les agents de la norme sont à la fois producteurs de normes et engendrés par la norme (Descoutures, 2010 : 65).

Dans le cas présent, en lien avec mes objectifs de recherche, il me semble plus pertinent de m’attarder aux membres de la famille, aux ami(e)s et aux acteurs institutionnels comme le personnel médical ou scolaire que de m’attarder aux agents de l’ordre légal. En effet, comme je m’intéresse à l’homoparentalité féminine en milieu rural, il est moins pertinent de mettre en relief la dimension légale de la reconnaissance puisque cette dernière vaut pour tous les citoyens de la province, quelle que soit leur situation géographique. Toutefois, il se pourrait que les acteurs qui représentent les institutions publiques dans le milieu rural aient un rapport aux normes hétérosexuelles qui leur est propre, c’est pourquoi il semble aller de soi de s’intéresser au rapport que ces agents de la norme entretiennent avec les familles homoparentales. Cela dit, les normes véhiculées par différents agents de la norme ne seront sans doute pas reçues uniformément par les mères homoparentales; certains rappels à l’ordre sont plus blessants que d’autres, comme nous l’apprend Descoutures. Selon elle, « les instances normatives les plus rigides ne sont pas nécessairement les plus incarnées : la norme est rigidifiée dans les règles de droit mais elle se renégocie quand elle est incarnée par des personnes. (Descoutures, 2010 : 66) ». Dans son étude, la sociologue remarque que l’entourage familial et les ami(e)s occupent souvent une place essentielle en matière de reconnaissance ou de validation des liens familiaux unissant le couple de femmes et leurs enfants. Une enquêtée évoque d’ailleurs l’importance de la reconnaissance par ses parents dans sa description d’un cadre à l’intérieur duquel elles pourraient être considérées comme une « vraie » famille. Selon l’auteure, la famille incarne bien souvent la norme dominante et la non-reconnaissance par celle-ci du modèle familial homoparental tend à accentuer l’effet du droit qui, on se souvient, est très différent en France et au Québec. Il sera donc particulièrement intéressant d’explorer cette dynamique dans un contexte qui, en plus d’être québécois, est aussi rural.

Outre le concept d’agents de la norme, plusieurs notions introduites par Descoutures (2010) dans son ouvrage méritent d’être mentionnées à nouveau puisqu’elles pourront m’être utiles dans mon analyse du rapport à la norme, rapport qui est interrelié à la question de la reconnaissance. Par exemple, il est question du concept d’« invisibilisation » de la vie familiale, qui traduit une volonté de discrétion et qui révèle la présence d’homophobie ou d’hétérosexisme dans le milieu social, en ce sens où il est jugé plus sûr de garder une part de

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sa vie familiale privée. À l’opposé, on peut parler de « visibilisation » lorsque les parents cherchent à mettre en scène leur famille dans l’espace public, à affirmer leur statut homoparental dans le but d’obtenir éventuellement une plus grande reconnaissance de leurs réalités, une plus grande visibilité, etc. Selon Descoutures (2010), la stratégie de la « visibilisation » est une forme de militantisme qui sert à rendre les familles homoparentales légitimes aux yeux des dominants, et qui passe souvent par la présentation de sa famille comme une famille « normale ». Cette démarche stratégique permettrait aux parents de montrer qu’ils correspondent à ce qui est attendu d’eux.

En plus des concepts de « visibilisation » et d’« invisibilisation », Descoutures (2010) aborde la « stratégie de composition », qui se rattache justement à la revendication de « normalité » de son modèle familial et du « droit à l’indifférence ». Cette stratégie ne se traduit pas par un assujettissement à la norme dominante, puisque si c’était le cas, ces mères ne se seraient pas autorisées à avoir des enfants. Cette démarche passe plutôt par la prise en compte ou l’incorporation de cette norme, qui est vue comme une « réalité environnante incontournable », dans la construction familiale.

En somme, ces quelques notions devraient se révéler éclairantes dans l’analyse du rapport à la norme entretenu par les mères homoparentales de mon étude, et plus généralement de la reconnaissance sociale qu’elles perçoivent à l’égard de leur famille. La désignation de certains acteurs dans l’environnement social des participantes comme agents de la norme permettra d’examiner ces relations interpersonnelles à travers une lunette normative. De plus, la présence de ces rappels à l’ordre normatifs pourra expliquer en partie le choix des stratégies adoptées par les homoparents au quotidien, qu’il s’agisse de stratégies de « visibilisation », de résistance, d’« invisibilisation » ou de composition. Voyons maintenant plus précisément en quoi les attitudes employées par les participantes et leurs interlocuteurs peuvent nous informer sur le degré de reconnaissance sociale reçu.