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Chapitre 2 : Notions d’empêchement et d’enfermement

2.6. L’enfermement carcéral

Bien que cela ne soit pas vraiment au cœur de notre étude, mais compte tenu de sa similitude, nous allons l’évoquer très brièvement. Lorsqu’on évoque le concept d’enfermement, c’est celui carcéral qui apparait d’emblée dans notre esprit. Cette forme d’enfermement présente plusieurs appellations, prison, maison d’arrêt, centre pénitentiaire, pour ne citer que ceux-là. Elle reste l’un des héritages phare qui ait gardé les mêmes objectifs, ceux de protéger et déparasiter la société des criminels, des délinquants, bref de toute forme de déviance. Il s’agissait de préserver la sécurité des innocents, d’éloigner le criminel et son crime loin du corps social. Le crime non seulement crée une tension sociale, mais engendre au passage une angoisse, un sentiment de peur, la panique, un sentiment d’insécurité et quelque fois d’impuissance.

La prison, proviendrait du latin populaire, prensio,-onis, qui lui-même découlant de la forme littéraire prehensio,-onis du verbe prehendere, qui signifie « prendre », apparaissait à la fin du moyen-âge et n’était qu’un dispositif marginal, et étaient enfermés les indigents et vagabonds qui présentaient des difficultés d’intégration sociale (Philippe COMBESSIE, 2013). Le mot carcéral a un lien avec le crime, et la prison étant un lieu de contention physique et psychique. C’est la forme d’enfermement la plus illustrée et marquée par la réduction de l’espace de vie, confinement entre les murs de la prison, sous haute surveillance

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avec privation de certaines libertés. La personne concernée se voit imposée beaucoup de contraintes, elle est soumise au fonctionnement de l’administration pénitentiaire. Pour Jean- Marc Bodson et all., 2007, enfermement, la prison est un lieu où la société enferme non seulement les personnes mais aussi les peurs.

La prison présente plusieurs dimensions parmi lesquelles nous pouvons citer :

La dimension sécuritaire : la prison à sa naissance avait pour but d’isoler et d’exclure

personnes dangereuses et de les mettre hors d’états de nuire. L’enfermement carcéral commence par la prise du corps selon COMBESSIE P. Cela signifie que le sujet est porteur du « mal », le crime est ainsi incorporé à qui il est reproché. Dans ce cas l’enfermement apparait comme un moyen de neutralisation.

La dimension punitive : c’est une sanction sociale, un châtiment, une forme de pénitence

pour se racheter et se repentir de son acte délictueux, ou criminel. Ils sont donc isolés et reclus entre les murs de la prison dans un but de devenir des citoyens modèles, c’était une voix de deuxième chance.

La prison n’enferme pas que le criminel ou le délinquant mais c’est toute l’institution pénitentiaire qui est enfermée. Si le détenu se voit priver de certaines de sa liberté, contraintes spatiales (vivre dans une bulle). Il n’en demeure pas moins pour les surveillants de prison qui subissent aussi les mêmes restrictions spatiales, ils sont aussi enfermés dans les mêmes tumultes. Certains surveillants développent quelques fois les mêmes types de comportements défensifs comme les détenus eux-mêmes (agressivité, la colère ou nervosité…).

Voici un exemple, en guise de conclusion sur l’enfermement carcéral : Mr Z. âgé de 36 ans est comptable de profession, ancien détenu de 2010-2013, pour complicité et escroquerie organisée. Nous l’avons reçu, deux ans après sa sortie de la prison pour tentative d’autolyse (il aurait avalé une dizaine de comprimés dont on ignore leur nature en dehors d’avoir bu un litre de sodabi, boisson locale où la dose d’alcool avoisine 95%). « La prison civile de Lomé est un

« enfer ». Nous étions une cinquantaine dans une pièce de quinze mètres carrés. Nous étions traités comme des sous hommes, sans valeur, avec pour seul statut « espèce de pourritures, sales criminels », nous étions traités et nourris comme des bêtes, entassés les unes sur les autres, un repas par jour. Je ne pouvais plus réfléchir, ni penser. Je me sentais seul au monde, l’odeur et l’haleine très forte des autres codétenus me rappelaient que je suis toujours vivant. Il faisait excessivement très chaud, et avec notre nombre, c’était intenable. Les jours sont pareils, mais les nuits sont toujours plus longues, plus chaudes, plus affreuses (chaque

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nuit passée est une rude épreuve). La prison est comme un feu qui vous consume peu à peu, de l’intérieur vers l’extérieur. Je suis les cendres de moi-même. Ce n’est pas moi-même en face de vous, ce que vous avez en face de vous c’est un autre, ou plutôt ce qu’il reste de Z, un corps meurtri, vide et portant tous les jours les marques du crime, de la honte. Ce sont les déchets de la société qui vont en prison, nous étions des monstres ; en allant là-bas quelque chose est mort en moi. J’ai tout perdu, mon identité, ma foi, ma dignité, mon travail, mon épouse et surtout j’ai infligé une grosse honte à mes enfants et ma famille, j’ai déshonoré ma famille. Vivre avec les criminels, vous fait penser que vous en êtes un. J’ai été coupé pendant trois ans des réalités du monde extérieur, je n’avais plus la notion du temps, aujourd’hui il ne me reste rien que ce pauvre corps, avec cette peau couverte de taches, de cicatrices et des rides. Je sens que mon mental est mort lentement là-bas, seul le corps a résisté. Je sens que je suis pourri de l’intérieur. Je n’ai plus de bon souvenir. Trois ans m’ont plus transformé que 33 ans. Je ne suis plus rien. Je n’ai plus un seul endroit pour bien me sentir, tout défile dans ma tête. Quand je suis seul, mes fantômes de la prison me hantent, tous les regards de mon entourage me culpabilisent. Quand j’étais encore en prison, mon seul désire était de sortir de respirer l’air du dehors, mais quand je suis sorti, je ne me sens plus à ma place, j’ai l’impression que tout le monde entier m’observe, j’ai même eu quelque fois des envies de retourner en enfer, au moins là j’ai le sentiment d’appartenance. Mais dehors j’ai le sentiment d’être englouti. Les gens autour de moi ne me voient plus comme avant, ce qui est encore plus difficile à supporter, le regard de mes parents. On parle de moi toujours à la troisième personne « il » comme si j’étais déjà mort. Je suis plutôt une « carapace » de moi- même ».

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