• Aucun résultat trouvé

L’efficacité et la célérité de la procédure civile, un moteur de changement

CHAPITRE 2. LES PREMIERS CODES DE PROCÉDURE CIVILE : SUR LES TRACES DE «PRINCIPES DIRECTEURS»

2.3. L E PRINCIPE DIRECTEUR DE LA PROPORTIONNALITÉ ET LE PRINCIPE DIRECTEUR DE LA CONCILIATION : LES PREMIERS STADES

2.3.1. L’efficacité et la célérité de la procédure civile, un moteur de changement

Le temps et les coûts du procès civil ont souvent été cités parmi les écueils qui menacent l’efficacité du système judiciaire. Certaines préoccupations des magistrats en matière d’économie435 et de délais436, à l’instigation du législateur ou spontanément, sont parfois exprimées avant l’adoption du premier Code. La situation suivant la codification ne fait pas que des heureux. Critique de la situation qui prévaut dans la seconde moitié du XIXe siècle, le juge Loranger en offre un parfait exemple. Il prétend que l’administration de la justice ne saurait être réellement améliorée sans une révision de la procédure civile437. La structure de celle-ci permet des retards considérables, souvent attribuables aux choix et décisions des parties438. Cette opinion est partagée par d’autres auteurs439. Pourtant, la question du véritable rôle de la codification se pose dans ce contexte. Les délais proposés par le Code et qui accompagnent la majorité des actes procéduraux y contribuent, puisque ces délais énoncés par la loi doivent être respectés. Cependant, des délais de cette nature sont nécessaires dans le cadre de la procédure civile, pour le bien même des parties et le fonctionnement harmonieux des moyens judiciaires offerts440.

Ces commentaires reprennent des thèmes liés à la célérité, à l’économie, à la recherche d’efficacité, qui ont toutes déjà servi de base à la critique avant 1867441. Elles constituent aussi l’une des raisons de l’insatisfaction face au Code. Il faut comprendre que cette impression de lenteur présente des liens avec l’évolution sociale, puisque les moyens de transport maritimes ou ferroviaires sont de plus en plus rapides, la production industrielle en accélération, etc.442. De plus, la pensée dominante

435 Avant 1867, ils ont le pouvoir de fixer les tarifs liés aux différents actes posés : Acte pour amender les lois relatives

aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c. 38, art. 100. Voir par

exemple Chabot c. Sewell, (1851) 1 L.C.R. 436, 445 (j. Bowen) (C.S.). Voir également Atkinson c. Noad, (1864) 14 L.C.R. 159, 163 (C.S.) ou, sans égard au résultat, la discussion dans Jersey c. Rowell, (1863) 13 L.C.R. 172, 173-177 (C.B.R.). De façon complémentaire, il est possible de considérer aussi Bell c. Leonard, (1857) 1 L.C.J. 17 (C.S.).

436 Les délais sont souvent fixés par la loi, ainsi que les pouvoirs des juges à cet égard (voir par exemple Acte pour

amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c.

38, art. 23, 24, 56, etc.), mais les juges ont une certaine latitude pour décider s’ils seront appliqués strictement ou plus souplement et l’exercent : voir à titre d’illustration Bell c. Knowlton, (1863) 13 L.C.R. 232, 233 (j. Monk) (C.S.); Ex

parte, Church, (1864) 14 L.C.R. 318, 319 (C.S.); Jersey c. Rowell, (1863) 13 L.C.R. 172, 174 (j. Meredith) et 175-176 (j.

Berthelot) (C.B.R.) ou Byrne c. Fitzsimmons, (1860) 10 L.C.R. 383, 384 (j. Taschereau) (C.S.).

437 T.J.J. Loranger, C.A. Pariseault, T.H. Oliver, «Avant propos» dans Travaux de la Commission de codification des

statuts sur les réformes judiciaires, supra note 266, p. 3-4.

438 Id., p. 4.

439 Voir par exemple S. Pagnuelo, supra note 381, page 98-100 (Onzième lettre); L.A. Jetté, L. Lorrain et W.A. Weir,

supra note 365, p. xiii. C’était pourtant ce que les commissaires avaient espéré éviter dans le Code (Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. x).

440 Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 7 et 9. Ils citent notamment l’auteur Pierre-François Bellot, à propos des lois de procédure de Genève.

441 Voir notamment l’exposé en page 43.

442 Par exemple, l’augmentation de la population, l’amélioration et l’expansion des réseaux routiers et ferroviaires et des communications durant le XIXe siècle et le début du siècle suivant désenclavent les communautés et accélèrent les déplacements. Là où d’anciennes lois devaient prévoir plusieurs jours pour une réponse ou une comparution, ces délais peuvent être réduits puisque les parties et avocats peuvent y répondre plus aisément, etc. Voir à cet effet G.-E. Cartier,

103

de la fin du XIXe siècle tend de plus en plus vers la rationalisation et la productivité, héritées d’un courant économique et industriel en pleine expansion. Est-il possible que cette réalité sociale s’ajoute aux caractéristiques des causes et ait créé une impression accrue de lenteur dans leur cheminement? Avec l’accélération des déplacements et du transport, l’urbanisation et l’expansion relative des tribunaux, les membres de la communauté juridique perçoivent à tout le moins des possibilités de réduire les délais et les frais des actions qui n’ont pas été anticipées à une époque antérieure. Culturellement, il est possible, à nouveau, de définir la célérité et l’économie comme des valeurs à ce stade de l’évolution de la société québécoise. Elles influencent l’appréhension du réel, elles servent de cadre à des choix de politiques ou de comportements qui sont valorisés ou critiqués selon leur conformité à ces standards.

Plusieurs auteurs proposent donc des mesures en faveur d’une limitation des coûts et des délais443, bien qu’elles soient progressives. Dans l’ensemble, ces valeurs tendent à s’affirmer de plus en plus et à intégrer à la fois la structure du Code et la pensée des juges. Ces valeurs sont aujourd’hui reconnues comme formant la base d’un principe directeur de la procédure civile : la proportionnalité des procédures444. Dans les faits, l’impact de celles-ci est parfois tel que la proportionnalité, principe directeur qui est innommé, non reconnu et non codifié, peut être considérée comme un principe directeur au stade latent à cause de l’adhésion importante de la communauté juridique aux valeurs qui le sous-tendent445. Aucun avocat, auteur ou juge ne fait allusion directement à un tel principe au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Sa réalité se cantonne encore au stade des valeurs qui, seules, pourraient peut-être avoir une désignation assez répandue à l’époque446. Ces valeurs influencent potentiellement l’application de la procédure civile et son évolution, malgré l’absence d’un vocable désignant spécifiquement la «proportionnalité» en matière de droit judiciaire.

Cette adhésion est surtout perceptible au moment de la révision du Code de procédure civile en 1897. Les commissaires sont particulièrement sensibles aux moyens qui leur paraissent susceptibles

discours sur l'organisation judiciaire du Bas-Canada, prononcé le 17 avril 1857 à l'Assemblée législative, dans J. Tassé,

Discours de Sir Georges Cartier baronnet accompagnés de notices, Montréal, Eusèbe Senécal et Fils, p. 121, 122-123.

Voir aussi, à titre d’exemple, P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert, Histoire du Québec contemporain, De la

Confédération à la crise, 1867-1929, Montréal, Boréal Express, 1979, p. 95, entre autres.

443 Par exemple, Siméon Pagnuelo dans ses lettres sur la réforme du système judiciaire en 1880, qui s’élève à plusieurs reprises contre les pratiques déficientes et même le laxisme qui ralentissent la procédure. Voir particulièrement : S. Pagnuelo, supra note 381, p. 86-96 (Dixième lettre).

444 Rappelons que selon la définition donnée au début du XXIe siècle, tant les actes de procédures autorisées par le juge que celles que demandent ou qu’accomplissent les parties sont visées.

445 Il serait même possible de dire que l’adhésion à ses valeurs préfigure ou prépare l’émergence du principe directeur codifié des décennies plus tard.

446 Voir par exemple, avec d’autres exemples déjà cités, L.-J. de la Durantaye, «L’abrégement des procès par la suppression du serment lors des faits et articles», 11 R. du B. 365, 365-366. Ce texte s’appuie sur la valeur de célérité et propose une sanction économique pour la décision de nier un fait dont la vérité est plus tard établie.

104

d’augmenter l’efficacité de la procédure civile tout en diminuant les délais et les inconvénients pour les justiciables, comme les coûts. Leur proposition, déjà signalée, d’abolir le système d’enquête tel qu’il existe découle de cette pensée447. Cette mesure draconienne est accompagnée d’autres suggestions plus modestes, mais qui tendent vers des buts communs et reposent sur les mêmes valeurs. Certaines ont été adoptées. Parmi celles-ci, une règle qui tente de limiter le nombre de témoins entendus dans le cadre d’une instance est énoncée pour la première fois dans le Code de 1897448. Cependant, l’angle d’approche est indirect. La règle veut qu’une partie faisant entendre plus de cinq témoins pour prouver un même fait doive assumer elle-même les frais de témoignages additionnels sur ce fait449. Les frais encourus pour l’audition de témoins excédentaires ne pourraient pas être taxés contre son adversaire si elle devait gagner sa cause. Les commissaires ont initialement envisagé de permettre aux parties de demander les frais liés à la présence de trois témoins prouvant le même fait, afin de maintenir les frais des litiges dans des limites raisonnables450.

L’adoption de cette nouvelle mesure est significative, car elle illustre bien l’état de la réflexion sur les valeurs et les principes directeurs inscrits dans la procédure civile au tournant du XXe siècle. D’une part, la justification de la proposition dans le rapport des commissaires montre que la valeur qu’est l’économie et l’intention de développer une procédure plus efficace motivent le choix des auteurs. D’autre part, ceux-ci ne proposent pas une sanction prohibitive en elle-même pour en assurer le respect. Il s’agit d’une mesure dissuasive basée sur une pression économique. La partie reste seule maîtresse de son dossier et elle a toute latitude pour exposer entièrement le contenu de celui-ci, mais elle est invitée avec insistance à choisir les témoins qui lui permettent de faire la meilleure preuve. Ainsi, cette mesure qui s’inscrit dans un mouvement de pensée rappelant le principe de la «proportionnalité» est modulée pour respecter le principe directeur implicite, mais important à l’époque, de la maîtrise de son dossier par la partie451. Malgré leur importance, les valeurs de célérité et d’économie, comme la recherche d’efficacité, n’ont pas réellement modifié l’application des principes directeurs du contradictoire et du contrôle de leur dossier par les parties. Cependant, elles œuvrent déjà à une meilleure prise de conscience des responsabilités des parties

447 Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 8.

448 Id., p. 20.

449 Art. 337 C.p.c. L’article est inspiré, notamment, du Code de procédure civile français, où un article impose une limite de cinq témoins sur un même fait (Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de

procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 20; art. 281 C.p.c.f. (édition de 1914)).

450 Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 20. Le rapport considère que cette mesure remédierait à ce que les commissaires nomment «un grave abus». 451 Il s’agit d’une décision appuyée sur les valeurs d’une époque et la perception des acteurs. Comme dans de nombreux cas présentés ici, d’autres avenues auraient pu s’offrir, plus radicales (comme des sanctions prohibitives) ou ignorant certains faits économiques au nom de la pureté du principe de contrôle du dossier par les parties qui auraient abouti à un

105

dans une saine administration de l’instance en imposant des conséquences au non-respect de ces valeurs. Elles montrent aussi l’attention de certains juges quant à ces valeurs dans l’autorisation des mesures permises, un autre aspect lié au principe de la proportionnalité.

La controverse sur la possibilité de rassembler des actions dans une même instance témoigne aussi du développement des valeurs qui sous-tendent le principe directeur de la proportionnalité. Le Code

de procédure civile de 1897 introduit deux nouveaux articles qui permettent de regrouper des

actions durant l’enquête et l’audition. Plusieurs auteurs attribuent l’origine de ces nouveaux articles à un emprunt aux règles de la Cour de l’Échiquier du Canada, en matière maritime452, mais des magistrats soulignent que cette pratique a été reconnue par la doctrine et la jurisprudence au moins depuis 1865453. Bien que l’article 290 C.p.c. soit clairement introduit lors de la révision de 1897, le juge Bruneau affirme que cette pratique existait sous le premier Code, même en l’absence de texte pour en consacrer le droit. Il retrace son origine jusqu’à une règle de l’Ordonnance de 1667454. Certains juges de la Cour du Banc de la Reine ont reconnu la légitimité de cette pratique avant l’adoption du Code révisé. L’exercice de la discrétion judiciaire dans la suspension des procédures ou l’instruction simultanée d’actions exprime bien, selon eux, l’esprit de la loi qui vise à réduire le nombre de litiges, «surtout entre les mêmes parties»455. L’idée que la jonction d’actions sert «les fins de la justice» est d’ailleurs répétée par d’autres magistrats456, que cette jonction soit faite du consentement des parties, sur demande de l’une des parties, ou d’office. L’article 291 C.p.c. n’oblige pas explicitement le juge à obtenir le consentement des parties, son pouvoir comprend une marge de discrétion. Nous pouvons inférer de l’interprétation proposée au texte à l’époque que la décision est laissée à l’appréciation du juge de première instance. Les juges de la Cour du Banc du Roi préfèrent éviter d’intervenir dans un tel contexte457, en l’absence de préjudice causé à l’une ou l’autre des parties458. Ils respectent ainsi la discrétion du premier juge dans l’évaluation de cette question. Si l’une des parties présente une motion pour réunir deux causes entre les mêmes parties,

452 P. Ferland, Traité, supra note 190, p. 63; Watt & Scott, Ltd. c. City of Montreal, [1920] 60 R.C.S. 523, 534 (j. Brodeur, dissident).

453 Watt & Scott, Ltd. c. Montreal (City of), [1920] 60 R.C.S. 523, 534 (j. Brodeur, dissident). 454 St-Aubin c. Lamarre (1919), 20 R.P. 389, 399.

455 Chrétien c. Crowley, (1882) D.C.A. (Dorion) 385, 387 et 388 (j.e.c. Dorion).

456 Par exemple Lafortune c. Dubois (1938), 41 R.P. 434, 435 (C.S.) (j. Savard) et Meunier c. St.-Jean (1905), 7 R.P. 62, 63 (C.S.) (j. Davidson). Dans Watt & Scott, Ltd. c. Montreal (City of), [1920] 60 R.C.S. 523, 532 (j. Brodeur, dissident), il semble que le juge tente d’éviter les frais, ce qui abonde implicitement dans le même sens que les autres décisions. 457 North American Life Ass. Co. c. Lamothe (1905), 7 R.P. 177, 178 (j. Hall, en chambre). Selon lui, la seule conséquence sera que le demandeur ne pourra pas faire la dernière adresse au jury qu’il pouvait escompter faire si son action séparée était maintenue. Il manifeste sa confiance que le juge de première instance protégera ses droits même dans le cadre d’une action jointe.

458 Lafortune c. Dubois (1938), 41 R.P. 434, 435 (C.S.) (j. Savard). Dans Théâtre Moderne Limitée c. Trudeau, [1948] R.P. 423, 427 (j. Trahan, C.S.), le juge montre en quoi la décision sera favorable aux parties : économie de temps et de frais, ce qui servira leurs intérêts et ceux de la justice. Voir aussi Evans c. Evans, (1889) 5 M.L.R.(S.C.) 414, 415 (j. Pagnuelo).

106

cette motion peut être rejetée si la réunion est inutile et si elle a pour effet de retarder l’instruction de la cause459. Cette discrétion confère un pouvoir de gestion de l’instance et du temps de la Cour au juge de première instance.

La tentative de diminuer le nombre d’instances en entendant simultanément plus d’une cause n’est pas nouvelle. Les Codes ont toujours permis le cumul de causes d’actions dans des circonstances bien précises460. Les droits des parties de contrôler la preuve, de faire entendre des témoins et de s’objecter ne leur sont pas retirés par mesure d’économie461. L’influence de principes directeurs comme le contradictoire et le contrôle de son dossier par la partie façonne aussi le développement des valeurs d’économie et de célérité, et même le discours sur l’efficacité.

Des besoins différents des parties et du système judiciaire peuvent aussi être comblés par des initiatives qui ont un objectif d’économie et d’efficacité. La suggestion de permettre «que plusieurs personnes puissent se grouper pour demander ce qu’un même individu doit à chacune d’elles, lorsque les droits réclamés découlent de la même cause d’action»462 est faite lors des consultations préalables à l’avant-projet de Code de procédure civile au milieu des années 1940. Le commissaire accepte d’introduire cette suggestion dans son rapport463, puisqu’il affirme avoir pu juger du succès de mesures similaires ailleurs464. Les arguments principaux énumérés en faveur de cette mesure s’appuient sur le fait que le nombre d’instances diminue et qu’il en va de même pour le nombre d’enquêtes, les dépens sont réduits et les dangers d’interprétations multiples de situations similaires sont amoindris465. Dans l’ensemble, cette mesure a une grande influence sur l’économie dans le cadre des instances et dans la perspective du système judiciaire en général. Les tribunaux eux- mêmes mentionnent les avantages de mesures ayant des effets similaires466. Elle traduit aussi l’importance attachée à la notion d’efficacité des mesures employées, tant dans la perspective du fonctionnement de ce système que dans la perspective de la stabilité du droit. Le commissaire

459 Evans c. Evans, (1889) 5 M.L.R.(S.C.) 414, 415 (j. Pagnuelo). Dans cette cause, le juge se réserve le droit de réviser la pertinence de réunir les causes, si les circonstances changent (i.e. si les meubles dont il est question sont vendus par licitation plutôt que partagés en nature comme c’est le cas au moment du jugement).

460 Art. 15 C.p.c. (1867); art. 87 C.p.c. (1897) : lorsque ce cumul n’est pas défendu par une autre disposition, que les poursuites ne sont ni incompatibles ni contradictoires, qu’elles tendent à des condamnations de même nature et peuvent être instruites par le même mode d’enquête.

461 Voir par exemple Quebec Central Railway Company (The) c. Dionne (1901), 4 R.P. 424, 426 (C.B.R.). Dans un contexte différent, voir Dion ès-qual. c. Dion ès-qual., (1910) 37 C.S. 84, 89-90 (C.R.) (j. Langelier) : une fois les mis-en- cause joints à l’action, l’enquête aurait dû être reprise pour qu’ils y participent et s’objectent s’il le fallait.

462 A. Désilets et G. Trudel, supra note 406, p. 13. 463 Id., p. 13-14.

464 Id., p. 14. Le texte cite l’Angleterre et les États-Unis. 465 Id., p. 13-14.

466 Aucun préjudice ne serait causé à la partie contre laquelle une telle action est entamée : elle se défend contre un nombre réduit d’actions et s’expose à payer des frais beaucoup moins importants, selon un juge : Lussier c. Cité de

Montréal (La) (1919), 21 R.P. 277, 279 (C.S.) (j. Duclos). Il s’agit du cas de plusieurs consommateurs tous reliés à des

107

propose même un rapprochement entre cette procédure avec la réunion d’actions pour enquête et audition, un moyen connu et déjà employé par les tribunaux, pour démontrer que cette évolution de la pratique ne serait pas sans fondement et sans analogie dans la procédure civile québécoise467. L’importance attachée à la continuité dans la loi initiatrice de la réforme à la révision de la procédure civile explique que ce fait soit mis en exergue.

Dans ce contexte, force est de constater que certains juges adhèrent facilement aux valeurs qui sous- tendent ce qui sera identifié plus tard comme le principe directeur de la proportionnalité en matière de procédure civile. Ils sont prêts à reconnaître la responsabilité des parties dans ce domaine. La répartition de l’adhésion à ces valeurs n’est pas égale entre tous les juges. La sanction du non- respect de celles-ci par les parties n’est pas toujours possible. L’introduction d’une limite au nombre de témoins entendus sur un même fait indique qu’une grande liberté d’appréciation est laissée aux parties dans ce domaine.

Quelques magistrats sont pourtant plus sensibles que d’autres aux questions d’économie et d’efficacité. Le juge Stein de la Cour supérieure adopte parfois un moyen procédural plutôt qu’un autre sur la base de considérations économiques, dans certaines circonstances et pour mettre en œuvre les dispositions adoptées par le législateur468. L’explication de la pensée de ce magistrat en la matière, bien qu’appuyée sur le Code et la jurisprudence, ne fait pas une concession formaliste aux règles du Code de procédure civile. Après avoir considéré les décisions de procédure faites dans l’affaire et avoir envisagé la «ligne de démarcation» floue entre deux formes de procédures existantes dans ce cas, il conclut cependant que «chaque partie doit toujours adopter la procédure la plus économique pour soumettre ses prétentions»469. Comme cet extrait le prouve, le développement de ces valeurs porte une partie des magistrats à les considérer comme des balises de leur application du Code de procédure civile. Ces juges commencent à édifier implicitement le statut de la proportionnalité à titre de principe directeur. Ils démontrent aussi une sensibilité aux coûts des actes procéduraux qu’ils autorisent, malgré la responsabilité explicitement attribuée à la partie de faire le choix le plus économique selon les circonstances de chaque cause.