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L’élargissement du nombre de moyens procéduraux

CHAPITRE 1. LE CODE DE PROCÉDURE CIVILE DE 1966 ET SON IMPLANTATION : UN EXEMPLE DE

1.2. L’ ÉLARGISSEMENT DE L ’ ACCÈS AU TRIBUNAL

1.2.1. L’élargissement du nombre de moyens procéduraux

L’un des nouveaux moyens procéduraux mis à la disposition des justiciables et de leurs avocats est le jugement déclaratoire. Avant 1965, la réflexion sur la possibilité d’une telle action a pris de l’ampleur, dans la foulée de l’interprétation d’un article concernant l’intérêt pour agir qui mentionne aussi la possibilité d’un intérêt éventuel dans certains cas746. Après la réforme, le Code prévoit spécifiquement l’existence d’une action en jugement déclaratoire, considérée jusque-là comme étrangère à notre droit civil747. La reconnaissance de la requête en jugement déclaratoire, bien qu’assujettie à des critères spécifiques et limitée à des cas précis748, vient augmenter théoriquement l’étendue de la compétence accordée au tribunal et permet en principe de trancher certaines difficultés plus rapidement que dans le système en vigueur sous l’ancien Code. Sa portée reste cependant limitée. En effet, le rapport des commissaires prône une attitude ferme face au respect des conditions d’ouverture de celui-ci, notamment l’intérêt de la partie et la pertinence de l’intervention judiciaire, pour éviter les abus749. Malgré ce fait, et comme le souligne un des commentateurs dès 1967, l’adoption d’articles permettant le jugement déclaratoire est aussi un moyen de simplifier la procédure ordinaire et de l’accélérer750. Le jugement déclaratoire est donc

746 Art. 77 C.p.c. (1897). Voir Corporation du village de la Malbaie c. Warren, (1924) 36 B.R. 70, 72 (j.e.c. Lafontaine). La Cour reconnaît par contre l’existence d’une procédure conjointe de deux parties pour demander une adjudication sur un point de droit (art. 509-512 C.p.c. 1897), mais elle n’est pas applicable à la majorité des litiges, malgré l’usage parfois autorisé de l’ article 77 C.p.c. (1897) pour pallier à cette lacune. Dans plusieurs textes, le terme employé est «intérêt suffisant». Voir par exemple J. Paquet, «La requête pour jugement déclaratoire : où en sommes-nous depuis l’arrêt Duquet c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts?», Barreau du Québec, Service de la Formation continue, Développements récents en

droit civil, vol. 56, Cowansville, Yvon Blais, 1994, 1, 3-4; G. Massé, «L’adaptation de la justice québécoise au jugement

déclaratoire», (1983) 61 R. du B. can. 471, 471. Dans les années 1950, un juge analyse que la jurisprudence évolue vers l’acceptation de «l’action en déclaration in futurum», Baril c. Bolduc, [1952] B.R. 611, 620 (j. Bissonette). Voir aussi A.J.

Alexandor Furs Ltd. c. Sadowsky, [1947] B.R. 53, 55 (j. Bissonnette). Dans le cas de l’action provocatoire ad futurum,

celle-ci ne s’applique que s’il existe «un intérêt immédiat et pécuniaire» «actuellement en danger» d’être affecté, «alors que la seule crainte» du dommage n’est pas suffisante, ce dommage doit être «imminent» (Lizotte c. Dubé, [1944] C.S. 361, 364 (j. Belleau)).

747 Saumur c. Québec (P.G.), [1964] R.C.S. 252, 257 (j.e.c. Taschereau). Voir aussi Ouimet c. Fleury, (1910) 19 B.R. 301, 301 (j. Lafontaine); Rochefort c. Godbout, [1948] C.S. 310, 312-315 (j. Roy) Illustration : Bélanger c. Théberge, (1904) 10 R. de J. 447 (j. Pelletier) (C.S.). De même, considérer L. Sarna, «The Scope and Application of the Declaratory Judgement on Motion», 33 R. du B. 493, 494-495; J. H. Grey, «John E. L. Duquet v. La ville de Sainte-Agathe-des- Monts», (1978) 24 R. D. McGill, 477, 477.

748 Art. 453 C.p.c. (1966). De même, le Code de 1966 reconnaît aussi le jugement déclaratoire par action, selon 55 C.p.c. (1966) : cette double possibilité, soit d’utiliser la requête (théoriquement plus rapide) ou l’action, dans les cas où le jugement déclaratoire est pertinent, influence le développement de la jurisprudence et de la doctrine jusqu’en 2002. 749 Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. 11a, citant Solus et Perrot. Un magistrat de la Cour d’appel reprend une idée similaire en 1969 : il considère que l’article 453 C.p.c. est d’interprétation stricte et d’ordre public, expliquant que le recours à l’article doit être restreint aux cas qui y sont prévus. Selon lui, cette restriction permet d’éviter les abus. Fefferman c. Bentley’s Cycles and Sports ltd., [1969] B.R. 806, 807 (j. Salvas).

750 L. Marceau, «Articles 448 à 481», dans Barreau de la province de Québec, Conférences : Le code de procédure civile, S.l., le Barreau, 1966, 57, 57.

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une procédure porteuse de changements et un lieu d’expression de principes directeurs en maturation, notamment parce qu’il est possible de l’associer à la simplification de la procédure, à l’augmentation de la célérité, à la coopération entre les parties et à la diminution des coûts des procédures civiles.

Dans le cas du jugement déclaratoire, la rupture avec le passé en matière procédurale est nette. Cependant, la réaction initiale d’une partie des juges et des praticiens peut être qualifiée de «prudente»751. Le recours est délibérément défini par le législateur dans un esprit de pragmatisme, justifié par l’idée d’accélérer et de simplifier la procédure752. Certains mettent en doute les bienfaits escomptés ou résistent à ce changement proposé lors de son adoption et même auparavant753. Parmi les différentes impressions entretenues initialement, le jugement déclaratoire est souvent perçu, et donc appliqué, à titre d’outil de prévention uniquement754, devant être refusé si des aspects curatifs s’y joignent. S’appuyant sur les remarques des commissaires à la codification, ces aspects curatifs semblent indiquer, aux yeux de ces membres de la communauté juridique, que les parties devraient procéder par une action ordinaire. En 1977, la Cour suprême s’est opposée à une interprétation trop stricte de l’article 453 C.p.c. Ce jugement venait réitérer les idéaux du Code de 1966 en matière de jugement déclaratoire. Selon la Cour, la manière de rédiger l’article et les commentaires des commissaires montraient que l’objectif était de rendre la possibilité de procéder par requête largement applicable755, en droit public comme en droit civil.

D’après quelques auteurs, l’utilisation de la requête en jugement déclaratoire devient plus fréquente à la suite des précisions de la Cour suprême sur son application756. Cette situation aurait plusieurs conséquences : ajout d’une approche curative à une approche préventive, ajout du pouvoir d’annulation au pouvoir d’interprétation, évolution du recours à titre de moyen de contrôle judiciaire de la légalité757, notamment. Un auteur affirme même que le jugement déclaratoire

751 J. Paquet, supra note 746, p. 7-8; D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 662.

752 Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. 9a-11a et 89a. Ainsi, le jugement déclaratoire est demandé par requête introductive d’instance accompagnée d’un avis de présentation (art. 453 et 78 C.p.c.), une procédure plus rapide à l’époque que la procédure générale dans les causes qui ne procèdent pas selon une procédure allégée. Pour des commentaires concernant le jugement déclaratoire, consulter par exemple C. Ferron, «Le jugement déclaratoire en droit québécois», (1973) 33 R. du B. 378, 382-383 et J. H. Grey, supra note 747, p. 477-478. Les craintes concernant, par exemple, l’engorgement des tribunaux ou des abus procéduraux et l’impression que le recours doit rester exceptionnel ressortent des textes de l’époque, voir entre autres C. Ferron à la page 383 et la critique du juge Pigeon (Duquet c. Sainte-

Agathe des Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132, 1142).

753 Voir entre autres A.M. Watt, «Articles 382 à 447», dans Barreau de la province de Québec, Conférences : Le code de

procédure civile, S.l., le Barreau, 1966, 47, 53

754 Voir par exemple Corporation des enseignants c. Québec (P.G.), [1973] C.S. 793, 798-800 (j. Deschênes). Voir aussi J. Paquet, supra note 746, p. 7.

755 Duquet c. Sainte-Agathe des Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132, 1141 (j. Pigeon). 756 J. Paquet, supra note 746, p. 11-12.

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constitue une mesure intéressante parce qu’il peut permettre de régler un différend d’une manière moins litigieuse758. Le jugement déclaratoire intervient parfois, comme la décision sur un point de droit759, dans un contexte où les parties s’entendent sur les faits et ont une divergence sur l’interprétation du droit760. Dans d’autres cas où les parties sont en désaccord sur les faits, l’opinion du tribunal sur l’interprétation du droit pourrait théoriquement aider à amorcer un dialogue entre les parties, puisque le jugement déclaratoire peut déterminer un état, une obligation ou une interprétation résultant du texte d’un contrat, d’un testament, d’un écrit instrumentaire ou d’une loi, entre autres761. L’implantation progressive, d’abord législative puis jurisprudentielle, du jugement déclaratoire modifie le rôle du magistrat. Celui-ci peut désormais jouer un rôle de prévention762 dans certaines circonstances, et les tribunaux peuvent ainsi rendre un service plus diversifié aux justiciables. La portée de certaines dispositions a été analysée jusqu’à confirmer que leurs pouvoirs curatifs pouvaient aussi être exercés dans le cadre d’une réclamation faite par requête, et que le juge de première instance avait une large discrétion pour apprécier la pertinence de recourir à ce nouveau moyen procédural.

Par ailleurs, le Code est modifié dans les décennies suivantes d’une manière qui rejoint la philosophie de l’élargissement de ce que l’on désigne parfois comme «l’offre de service». Influencé par les mutations sociales, le Code de procédure civile est ainsi enrichi de sections particulières qui visent à réglementer et encadrer des avenues procédurales spécifiques. En 1971, le législateur

758 G. Massé, supra note 746, p. 487. Un auteur français qu’il cite a effectivement publié une étude sur le jugement déclaratoire qui pourrait selon lui être utilisé en France. Basé sur les expériences britanniques (anglaise et écossaise), américaine et allemande en particulier, l’auteur évalue entre autres que tout jugement contiendrait à la fois une composante déclaratoire et une composante exécutive et que la première pourrait, dans certains cas, être l’objet d’un jugement (M. Maynard, Les jugements déclaratoires : une nouvelle forme d’activité judiciaire, la justice préventive, Paris, Marcel Giard, 1922, p. 3-4. Il ajoute :

«Il pourra en être ainsi toutes les fois que les conditions de l’action exécutoire ne seront pas réunies et que le droit pourrait être protégé contre une menace ou un trouble, ou bien encore, toutes les fois que, les conditions de l’action exécutoire se trouvant réunies, le demandeur désireux d’éviter cette guerre judiciaire qu’est la litigation et confiant dans la loyauté de son adversaire et son respect de la loi, veut simplement le renseigner et se renseigner lui-même sur leurs droits et leurs devoirs réciproques.

[…]

Destinée non pas à trancher, mais à prévenir les litiges, la procédure déclaratoire est à la procédure contentieuse ordinaire ce que la médecine préventive est à la médecine curative. D’où le nom de procédure préventive ou remède juridique préventif, que les juristes anglais et américains lui donnent couramment.» (Id., p. 4).

759 Art. 448 à 452 C.p.c. Voir aussi M. Paré, La requête en jugement déclaratoire, Cowansville, Yvon Blais, coll. Points de droit, 2001, p. 5.

760 Ibid.

761 À l’époque dont il est principalement question ici, les conditions d’ouverture du recours et les écrits visés sont énumérés à l’article 453 C.p.c. Depuis le 1er janvier 2016, le nouvel article 142 N.C.p.c. est rédigé autrement.

762 Duquet c. Sainte-Agathe des Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132, 1138-1139. Il est à noter que la Cour suprême, tout en refusant de reconnaître une distinction entre les buts préventifs et curatifs du recours n’en contredit pas l’existence.

Laflamme c. Drouin, [1973] C.A. 707, 710-712 (j. Rivard). Pour illustrer les cas où le pouvoir ne sera pas utilisé, voir Fefferman c. Bentley’s Cycles and Sports Ltd., [1969] B.R. 806, 807 (j. Salvas) et Corporation des enseignants c. Québec (P.G.), [1973] C.S. 793, 798-800 (j. Deschênes). Dans Langlais c. Côté, 2003 CanLII 46422 (QC CS), par. 11 (j.

Taschereau), il est rappelé qu’ «aux pouvoirs des tribunaux de prononcer des jugements exécutoires, le législateur a alors ajouté celui de prononcer des jugements déclaratoires, dans les limites définies par la loi».

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adopte un Livre complet qui traite des modalités nécessaires pour gérer les demandes relatives aux petites créances763, dans une loi intitulée de manière caractéristique «Loi favorisant l’accès à la justice». L’adoption d’un Livre complet encadrant une procédure spécifique s’est produite à nouveau en 1978, lors de l’adoption du Livre régissant les recours collectifs764.

Dans une optique voisine, quelques sections sont modifiées en profondeur. Le droit de la famille est d’abord pris en considération isolément. En 1982765, l’ancien Titre «des procédures relatives au mariage et à l’obligation alimentaire» devient le Titre «des procédures en matière familiale». Les articles déjà présents dans ce Livre et ailleurs dans le Code sont remaniés, plusieurs dispositions sont ajoutées et le législateur insuffle à l’ensemble une philosophie très différente. Celle-ci est rendue nécessaire par la révision du Code civil alors en cours et les changements qu’elle met en place. En 1986, le Livre traitant de l’arbitrage766 est remanié et augmenté de nombreuses dispositions qui encadrent plus précisément ce processus. Outre des modifications ponctuelles et parfois plus importantes767 par la suite, le droit de la famille est à nouveau modifié en 1997 par l’introduction d’articles encadrant l’exercice de la médiation dans cette matière768. En 1996, le Code est modifié769 pour prévoir l’introduction d’une procédure allégée pour les demandes dans lesquelles le montant réclamé ou la valeur de l’objet en litige est égal ou inférieur à 50 000$ et pour celles qui visent le recouvrement de certaines créances770.

Ces quelques exemples ont été choisis parmi les nombreuses mesures qui touchent la structure même du texte et de la procédure civile. Ils montrent que l’orientation donnée en 1966 en faveur d’une ouverture aux besoins des justiciables préside, durant les trois décennies suivantes, à des modifications ponctuelles et progressives du Code. Ceci ne veut pas dire que le Code est constamment adapté aux nouvelles situations, mais que la philosophie qui y est introduite en 1965 encourage à une prise de conscience des limites de la pérennité du texte et de l’importance de structurer la procédure civile plus souplement, afin de répondre à des besoins changeants.

763 Loi favorisant l’accès à la justice, L.Q. 1971, c. 86, art. 1. 764 Loi sur le recours collectif, L.Q. 1978, c. 8, art. 3.

765 Loi assurant l’application de la réforme du droit de la famille et modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1982, c. 17, art. 29. Cette loi contient, outre le Titre déjà mentionné, de nombreuses modifications ponctuelles au Code.

766 Loi modifiant le Code civil et le Code de procédure civile en matière d’arbitrage, L.Q. 1986, c. 73, art. 2. Ce remplacement multiplie d’ailleurs le nombre d’articles consacrés à l’arbitrage et définit un encadrement plus détaillé de son utilisation.

767 Voir notamment Loi modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1999, c. 46.

768 Loi instituant au Code de procédure civile la médiation préalable en matière familiale et modifiant d’autres

dispositions de ce code, L.Q. 1997, c. 42, art. 7.

769 Loi modifiant le Code de procédure civile, la Loi sur la Régie du logement, la Loi sur les jurés et d’autres dispositions

législatives, L.Q. 1996, c. 5.

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1.2.2. La volonté de réglementer les actes de procédure irrecevables et ses