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L'évolution et la structuration des principes directeurs de la procédure civile du Québec, 1867-2016

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Texte intégral

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© Jacinthe Plamondon, 2019

L'évolution et la structuration des principes directeurs

de la procédure civile du Québec, 1867-2016

Thèse

Jacinthe Plamondon

Doctorat en droit

Docteure en droit (LL. D.)

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L’évolution et la structuration des principes directeurs

de la procédure civile du Québec, 1867-2016

Thèse

Jacinthe Plamondon

Sous la direction de :

Sylvio Normand, directeur de recherche

Sylvette Guillemard, codirectrice de recherche

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iii

Résumé

Cette thèse de doctorat étudie l’évolution de la procédure civile québécoise de 1867 à 2016 à travers le développement de certains principes dits «directeurs». L’étude se centre autour de cinq «principes directeurs» codifiés dans le nouveau Code de procédure civile de 2016 : les principes directeurs de la contradiction (audi alteram partem), de la proportionnalité, de la maîtrise de leur dossier par les parties, de la maîtrise de l’instance par le juge et de la conciliation. La thèse retrace le cheminement des valeurs, concepts et manifestations qui témoignent de la présence, de l’absence, de l’épanouissement progressif ou sporadique de ces principes sur un siècle et demi. La thèse considère l’influence structurante de ces principes, notamment sur la pensée et la pratique procédurales. Ces principes sont-ils déjà présents dans la procédure ou dans la pensée procédurale, y ont-ils été importés et comment s’y harmonisent-ils? Des éléments, dans le Code de procédure

civile ou ailleurs, attestent-ils de leur apparition ou de leur intégration dans les différents moyens

procéduraux et dans le travail des avocats et juges qui utilisent la procédure civile? Leur présence et leur définition à un moment de l’histoire procédurale sont-elles semblables à celles des époques antérieures ou postérieures? S’ils y sont présents depuis un certain temps, ont-ils connu des changements? La thèse cherche ainsi à attester de différentes réalités révélatrices de la construction de la procédure civile québécoise : avancées, reculs, choix, changements d’orientation, etc. Par ce biais, elle participe aussi à la réflexion sur l’application de la procédure civile québécoise dans un contexte évolutif. Elle considère également le discours qui accompagne ces manifestations. Elle cherche à mesurer l’impact de ces faits sur l’application de la procédure civile en matière judiciaire. Implicitement, cette démarche utilise aussi les idées d’évolution, d’emprunt, de résistance et de changement culturel. Cette étude s’effectue à l’aide de l’évaluation de changements de nature et de perception subis par la fonction judiciaire exercée par les juges du Québec durant le siècle et demi étudié. Elle met en lumière des modifications apportées aux pouvoirs et devoirs des juges et explore le discours qui soutient et accompagne ces changements, en témoignant des orientations autant que de la représentation de cette fonction judiciaire. La thèse propose d’appréhender les principes directeurs, la procédure civile et la fonction judiciaire comme des éléments construits, dynamiques, en mutation.

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Summary

This thesis studies the evolution of Quebec’s civil procedure between 1867 and 2016 through the development of certain principles now codified in the Code of Civil Procedure of 2016 and called «guiding». It is centred on five «guiding principles», namely : adversarial principle (audi alteram

partem), proportionality, control of their case by the parties, control of the proceedings by the

judge, and conciliation. The analysis considers the emergence and growth of values, concepts and other manifestations revealing the presence or absence of those principles, the progressive or sporadic interest for them during this century and a half. It also takes into consideration the defining influence those principles may have had on the philosophy and practice of the civil procedure. Were those principles already present in Quebec’s civil procedure, or in its spirit? Were they imported and how did they adapt to it? If they influenced some specific procedures, would parts of the Code

of civil procedure, related laws or elements be noticeably altered by their apparition or integration?

If they have been present for some time, did they evolve or change? Would there be modifications in the presence and definition of those principles at different times? With those questions and others, this thesis wishes to shed light on some aspects of the construction and structure of the civil procedure : progress, drawbacks, choices, new and potentially contradictory orientations, etc. It also aims to participate to a wider reflexion on the application of civil procedure in an evolving environment. The discourse about civil procedure and those particular events is also taken into consideration, as the thesis attempts to measure the impact of those facts on the use of the civil procedure in a judicial context. Implicitly, the analysis draws from concepts like evolution, borrowing, resistance and cultural change to underlay the presentation of information. The study is made through the evaluation of changes in the nature and perception of the judicial function of Quebec’s judges. It enhances changes made to the powers and duties of the judges, and explores the discourse which emerges from or supports those changes, revealing of the orientations as well as the representations of the judicial function at different times. Through this, the guiding principles, the civil procedure and the judicial function are presented as constructed, dynamic and evolving elements.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III SUMMARY ... IV TABLE DES MATIÈRES ... V TABLE DES ABRÉVIATIONS ... VIII REMERCIEMENTS ... X

INTRODUCTION ... 1

DESCRIPTION DU SUJET TRAITÉ ET DU CHAMP DE RECHERCHE ... 1

THÉORIE ET CONCEPTS DE BASE ... 7

Principes généraux, principes directeurs et règles en procédure civile québécoise ... 7

Fonction judiciaire et rôle du juge en droit judiciaire québécois : un réservoir d’exemples ... 13

QUESTIONS ET HYPOTHÈSES DE RECHERCHE ... 18

MÉTHODOLOGIE, USAGE DES SOURCES ET TRAITEMENT DES DONNÉES ... 26

DIVISION DE LA DÉMONSTRATION ... 38

PARTIE 1. LES PRINCIPES DIRECTEURS, LA PROCÉDURE CIVILE CODIFIÉE ET LE FORMALISME EN DROIT JUDICIAIRE AU QUÉBEC (1867-1964) ... 41

CHAPITRE 1. LA PREMIÈRE CODIFICATION DE LA PROCÉDURE CIVILE QUÉBÉCOISE : L’ÉTAT DES LIEUX .. 42

1.1. LA PROCÉDURE CIVILE DU QUÉBEC AU MOMENT DE LA PREMIÈRE CODIFICATION ... 42

1.2.LE JUGE ET LES PARTIES AU MOMENT DE LA CODIFICATION ... 44

1.3.LA COMMISSION DE LA CODIFICATION ET SON TRAVAIL D’ÉLABORATION DE LA PROCÉDURE CIVILE ... 48

CHAPITRE 2. LES PREMIERS CODES DE PROCÉDURE CIVILE : SUR LES TRACES DE «PRINCIPES DIRECTEURS» ... 54

2.1.LE PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRADICTOIRE ET SON APPLICATION ... 54

2.1.1. Un principe directeur codifié sous l’empire du premier Code ... 54

2.1.2. L’évolution sous le second Code et l’apparition d’un vocable ... 58

2.1.3. Le principe directeur du contradictoire : un principe d’application générale ... 63

2.2.LE CODE ET LES «AUTRES» PRINCIPES DIRECTEURS, UNE OMNIPRÉSENCE DISCRÈTE ... 69

2.2.1. Les principes directeurs de la maîtrise de leur dossier par les parties et de la maîtrise de l’instance par le juge : de l’influence au point d’équilibre ... 70

2.2.2. L’équilibre des principes directeurs dans un contexte dynamique ... 83

2.3.LE PRINCIPE DIRECTEUR DE LA PROPORTIONNALITÉ ET LE PRINCIPE DIRECTEUR DE LA CONCILIATION : LES PREMIERS STADES DE DÉVELOPPEMENT ... 101

2.3.1. L’efficacité et la célérité de la procédure civile, un moteur de changement ... 102

2.3.2. L’apparition de la conciliation, un événement éphémère? ... 111

CHAPITRE 3. LA STRUCTURATION DE LA PROCÉDURE CIVILE ET L’ÉVOLUTION DE SON ESPRIT, DE LA CODIFICATION AU MILIEU DU XXE SIÈCLE ... 130

3.1.LA STRUCTURE DE LA PROCÉDURE CIVILE, ENTRE PROTECTIONNISME ET FORMALISME ... 130

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PARTIE 2. LA RÉFLEXION RENOUVELÉE SUR LA PROCÉDURE CIVILE ET LA CONCEPTION D’UNE STRUCTURE

SOUPLE (1966-2001) ... 157

CHAPITRE 1. LE CODE DE PROCÉDURE CIVILE DE 1966 ET SON IMPLANTATION : UN EXEMPLE DE CHANGEMENT CULTUREL ... 158

1.1.LA DIMINUTION DU FORMALISME ET SES IMPLICATIONS : UN CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ? ... 159

1.1.1. Le nouvel article 2 C.p.c. et les articles connexes ... 159

1.1.2. La réception de l’esprit du Code, de la codification à l’affirmation ... 162

1.2.L’ÉLARGISSEMENT DE L’ACCÈS AU TRIBUNAL... 167

1.2.1. L’élargissement du nombre de moyens procéduraux ... 168

1.2.2. La volonté de réglementer les actes de procédure irrecevables et ses conséquences ... 172

CHAPITRE 2. LE CODE DE 1966 ET LES «PRINCIPES DIRECTEURS» : TROIS DÉCENNIES DE CHANGEMENT176 2.1.LES PRINCIPES DIRECTEURS ANCIENS ET RECONNUS ... 176

2.1.1. Le principe directeur du contradictoire : le maintien de l’adhésion au principe codifié ... 176

2.1.2. Les principes directeurs de la maîtrise de leur dossier par les parties et de la maîtrise de l’instance par le juge : un équilibre menacé ? ... 180

2.2.LES NOUVEAUX PRINCIPES DIRECTEURS : DES ORIENTATIONS INCERTAINES ? ... 183

2.2.1. Le principe directeur de la conciliation : un intérêt renouvelé ? ... 183

2.2.2. La proportionnalité : une réflexion approfondie sur l’économie ? ... 191

2.3.LA PRÉSENCE DE PRINCIPES DIRECTEURS DANS LE CODE : UNE SYNTHÈSE ... 200

CHAPITRE 3. L’APPORT DU CODE ET LA REPRÉSENTATION DU SYSTÈME JUDICIAIRE, 1966-2001 ... 203

3.1.LE CODE DE 1966 ET SA PHILOSOPHIE, ENTRE INNOVATION ET CONSERVATISME ... 203

3.2.LA CRITIQUE DE LA PROCÉDURE CIVILE JUSQU’EN 2001 : MISE EN PERSPECTIVE ... 214

PARTIE 3. LA PROCÉDURE CIVILE, LES PRINCIPES DIRECTEURS ET L’IMPLANTATION D’UNE «MÉTHODE NOVATRICE» (2001 À NOS JOURS) ... 222

CHAPITRE 1. LA RÉFORME DU XXIE SIÈCLE ET LE REMANIEMENT DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE : UNE ÉVOLUTION EN DEUX TEMPS ... 223

1.1.LA PREMIÈRE PHASE DE LA RÉFORME,1998-2014 ... 223

1.1.1. Une procédure civile moderne : le rapport préparatoire et ses fondements, 1998-2003 ... 224

1.1.2. Les modifications structurelles du Code de 2003 et la réception de la révision ... 230

1.2.LA SECONDE PHASE DE LA RÉFORME : VERS LE CODE REMANIÉ DE 2016 ... 235

1.2.1. L’approfondissement de la réforme ... 235

1.2.2. L’insertion d’une disposition préliminaire au Code de procédure civile ... 239

1.2.3. La procédure souple et l’encadrement nécessaire au déroulement de l’instance ... 248

CHAPITRE 2. LA RÉFORME DE LA PROCÉDURE CIVILE ET LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA PROCÉDURE CIVILE ... 259

2.1.LES PRINCIPES DIRECTEURS ANCIENS ET LEUR EXPRESSION NOUVELLE ... 259

2.1.1. Le remaniement du principe «cardinal» et ses effets : le principe directeur de la contradiction. 259 2.1.2. Les principes directeurs de la maîtrise du dossier par les parties et de la maîtrise de l’instance par le juge : une improbable réconciliation ? ... 263

2.2. LES NOUVEAUX PRINCIPES DIRECTEURS DANS LE CONTEXTE DE LA CODIFICATION ... 273

(7)

vii

2.2.2. Le principe directeur de la proportionnalité : emprunt ou reconnaissance ?... 285

2.3.L’INTERACTION ENTRE LES PRINCIPES DIRECTEURS : LE DÉVELOPPEMENT D’UNE STRUCTURE ? ... 303

CHAPITRE 3. LE CODE RÉFORMÉ ET L’ASPIRATION À UNE «NOUVELLE CULTURE JUDICIAIRE» ... 314

3.1. LA PROCÉDURE CIVILE, LE PROCESSUS DE RECODIFICATION ET SES CONSÉQUENCES AU XXIE SIÈCLE... 314

3.2.LA PROCÉDURE CIVILE ET LE CHANGEMENT CULTUREL, DE L’IMAGE À LA RÉALITÉ ... 324

CONCLUSION ... 342

BIBLIOGRAPHIE ... 365

A.LÉGISLATION ... 365

Lois et ordonnances ... 365

Codes de procédure civile et codes de procédure civile annotés ... 368

Projets de loi ... 369

Règles de pratique et règlements des tribunaux ... 369

Autres ... 370

B.JURISPRUDENCE ... 370

C.DOCTRINE, OUVRAGES ET ARTICLES ... 387

Ouvrages ... 387

Dictionnaires juridiques ... 393

Rapports... 393

Articles, chapitres et extraits d’ouvrages ... 397

Documents parlementaires ... 412

Mémoires et thèses ... 414

D.AUTRES DOCUMENTS ... 414

Archives ... 414

Discours... 414

Dictionnaires généraux et dictionnaires spécialisés ... 415

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viii

Table des abréviations

A.C. : Law Reports, Appeal Cases

Am. J. Comp. : American Journal of Comparative Law

B.R. : Recueil de jurisprudence du Québec, Cour du Banc de la Reine/Cour du Banc du Roi C. de D. : Cahiers de droit

C.A. : Cour d’appel du Québec

C.B.R. : Cour du Banc de la Reine/Cour du Banc du Roi du Québec C.c.B.-C. : Code civil du Bas-Canada

C.cir. : Cour de circuit C.c.Q. : Code civil du Québec

C.J.C.P. : Comité judiciaire du Conseil Privé Code : Code de procédure civile

C.p.c. : Code de procédure civile; si une année est indiquée, il s’agit de la date d’adoption de la

version mentionnée

C.p.c.f. : Code de procédure civile français C.R. : Cour de révision

C.R.N.S. : Criminal Reports New Series Annoted C.S. : Cour supérieure

C.S. : Recueil de jurisprudence du Québec, Cour supérieure

D.C.A. (Dorion) : Décisions de la Cour d’appel (Dorion)/ Queen’s Bench Reports (Dorion) L.C.J. : Lower Canada Jurist

L.C.R. : Lower Canada Reports L.N. : Legal News

L.R. : Law Reports

L.R.J.J. : The Law Reporter/Journal de Jurisprudence L.R.P.C. : Law Reports, Privy Council Appeals L.R. Ex. : Law Reports, Exchequer

L.R. Ch. D. : Law Reports, Chancery Division M.L.R.(Q.B.) : Montreal Law Report, Queen Bench M.L.R.(S.C.) : Montreal Law Report, Superior Court

N.C.p.c. : Nouveau Code de procédure civile (en vigueur à compter du 1er janvier 2016)

Pyke’s Cases. : Cases Argued and Determined in the Court of King's Bench for the District of

Quebec in the Province of Lower-Canada, in Hilary Term in the fiftieth year of the reign of George III, Reported by Justice Pyke, Montréal, s.n., 1811.

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ix

PRD : mode privé de prévention et de règlement des différents R. de J. : Revue de jurisprudence

R. du B. can. : Revue du Barreau canadien/Canadian Bar Review R. du B. : Revue du Barreau

R. du D. : Revue du Droit

R.C.S. : Rapport judiciaire du Canada, Cour suprême/ Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada

R.D. McGill : Revue de droit de l’Université McGill/McGill Law Journal R.D.U.S. : Revue de droit/Revue de droit de l’Université de Sherbrooke R.I.D.C. : Revue internationale de droit comparé

R.J.R. : Rapports judiciaires révisés R.J.T. : Revue juridique Thémis R.L. : Revue Légale

R. de L.J. : Revue de législation et de jurisprudence R.L.n.s. : Revue Légale, nouvelle série

R.P. : Rapports de pratique/Quebec Practice Reports

Rev. D.P. et S.P. : Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger Rev. dr. unif. : Revue de droit uniforme

S.C.L.R : Supreme Court Law Reports

(10)

x

Remerciements

Chaque expérience d’une vie est tributaire de nombreux événements et rencontres. Je souhaite que tous ceux qui ont contribué d’une manière proche ou lointaine à ces années de travail par leur amitié, leurs encouragements, leurs conseils ou leur travail trouvent ici, en commun, l’expression de ma gratitude. Sans votre sympathie et votre apport, cette thèse n’aurait pas été réalisée.

Quelques personnes doivent cependant être mentionnées de façon particulière.

Je remercie tout d’abord les deux directeurs de la thèse, les professeurs Sylvio Normand et Sylvette Guillemard, pour leur profonde science de leurs disciplines respectives, les conseils qu’ils m’ont offerts, chacun à leur moment et à leur façon, ainsi que leur apport important à ma réflexion et à ma formation.

Je remercie le Fonds FQRSC et la Faculté de droit de l’Université Laval pour le soutien financier dont cette recherche a bénéficié.

Certains professeurs, notamment à la Faculté mais aussi ailleurs, ont offert encouragements et conseils, soit dans le cadre des cours suivis, soit à l’extérieur de ceux-ci. Je remercie les professeurs qui ont participé à l’évaluation de la thèse lors des examens rétrospectifs et prospectifs et lors de la prélecture. Je remercie tout spécialement les membres du jury qui ont fait l’évaluation finale de la thèse : monsieur le juge LeBel, mesdames les professeures Sylvette Guillemard, Séverine Menétrey, Hélène Piquet et monsieur le professeur Sylvio Normand.

Je remercie enfin, avec toute mon affection, mes parents et mes sœurs qui se sont montrés d’une grande générosité dans leur soutien tout au long du chemin qui a mené à la réalisation de cette thèse. Ce texte leur est dédié.

(11)

1

Introduction

Le droit judiciaire civil, incluant l’organisation et le fonctionnement des cours civiles sous toutes leurs facettes, est un sujet vaste et très technique. De prime abord, le droit judiciaire évoque entre autres la procédure appliquée devant un tribunal, l’ordre, la stabilité. Pourtant, cette image reste incomplète. Dans leur mission d’aider à trancher les litiges civils, le système judiciaire et la procédure civile répondent tous les jours aux besoins d’une foule d’individus. Ils doivent rejoindre l’humain et le social, puisque «l’existence d’un conflit est une manifestation de la vie elle-même»1. Ils connaissent donc de constantes adaptations à une réalité socioculturelle changeante. Cette mouvance est particulièrement perceptible dans une perspective historique. Le droit judiciaire du Québec, tel qu’il se pratique depuis 1867, a dû répondre par des ajustements constants à de nombreuses transformations. Tel est le contexte dans lequel s’inscrit cette démarche de recherche, car la procédure civile dont il sera principalement question ne peut, selon nous, être isolée de son environnement.

Description du sujet traité et du champ de recherche

Les modifications apportées à la procédure civile et aux textes qui la décrivent traduisent facilement les changements que nous évoquons. Le Code de procédure civile2 et les quelques lois et règlements connexes précisent le contenu des règles et déterminent leur application par les tribunaux. De plus, leur action structurante influence l’ensemble du droit judiciaire. La procédure civile a longtemps été perçue, dans le fonctionnement du système judiciaire, comme une matière dont chacune des règles devait être respectée à la lettre. Cette idée formaliste a participé à façonner la réflexion et les perceptions en matière judiciaire des membres de la communauté juridique, et ce, jusqu’au dernier tiers du XXe siècle, influençant leurs décisions. Depuis le milieu du XIXe siècle, tout est mis en œuvre pour développer un droit procédural plus unifié, pour créer une certitude dans le résultat autant que dans les moyens à utiliser pour les obtenir et pour contrôler les conséquences nécessaires de l’action en justice, comme les coûts, les délais et bien d’autres éléments. Certains textes anciens

1 L. Otis, La transformation de notre rapport au droit par la médiation judiciaire, 8e Conférence Albert-Mayrand, Montréal, Éditions Thémis/Faculté de droit de l’Université de Montréal, 2004, p. 9.

2 Pour la commodité de la lecture, les termes «Code de procédure civile», «Code» ou «C.p.c.» réfèrent au Code en vigueur à l’époque étudiée selon les sections. Lors de l’établissement de comparaison entre les textes de versions successives du Code, les Codes seront distingués par leur année d’entrée en vigueur : «C.p.c. (1867)» pour le premier Code et «C.p.c. (1897)» pour le second. Le troisième Code sera désigné sous les abréviations «C.p.c.», ou encore «C.p.c. (1966)» et «C.p.c. (2003)» pour distinguer la version du Code de 1966 et celle qui a été modifiée par la «première phase» de la réforme, lorsque cela est nécessaire. Le Code adopté en 2014 (par la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1) et entré en vigueur en janvier 2016 sera désigné par l’abréviation «N.C.p.c.» (abrégeant l’expression «nouveau Code de procédure civile» contenue dans sa loi d’adoption). Pour faciliter la lecture, les articles de cette loi seront donc indiqués avec la mention «N.C.p.c.», même si ce Code est désormais la loi en vigueur au Québec.

(12)

2

traduisent aussi l’importance des liens qui existent entre la procédure civile et la fonction judiciaire et montrent l’influence de la procédure civile sur le rôle du juge3. Cette influence fait l’objet d’une réflexion contemporaine. David Bamford rappelle, par exemple, qu’au fil des réformes récentes dans de nombreuses juridictions, de profonds changements se sont produits. Ceux-ci ont modifié les rôles de l’ensemble des acteurs du système judiciaire, notamment le rôle traditionnel du juge non-interventionniste dont la principale fonction était de s’assurer que les règles de preuve étaient respectées durant le procès4. Ces liens et cette influence marquent l’évolution des pratiques judiciaires. Ils façonnent encore la conception de la procédure civile et celle de la fonction judiciaire qui prévalent au Québec au début du XXIe siècle, malgré les profonds changements imposés au

Code de procédure civile.

Afin de tirer parti de cette réalité, la présente thèse s’articule autour de l’analyse des lignes de pensée fondamentales qui structurent l’élaboration et l’application de la procédure civile, ce que plusieurs auteurs nomment «l’esprit» du Code de procédure civile. Depuis 1966, avec l’avènement de la philosophie privilégiant la diminution du formalisme, la procédure civile québécoise cesse d’être le carcan décrit auparavant. Pourtant, son influence continue de se faire sentir. Au-delà de la contrainte, elle possède certainement des qualités qui lui permettent d’asseoir son ascendant sur l’ensemble du droit judiciaire, afin que son «esprit» transcende la lettre des articles. Les lignes de pensée fondamentales, dont fait partie ce que l’on nomme les «principes» qui orientent la procédure civile, semblent donc jouer un rôle de premier plan dans l’évolution de tous les aspects du droit judiciaire. Cette thèse propose une étude de l’évolution de l’esprit de la procédure civile par l’entremise des principes directeurs qui l’orientent. Elle s’intéresse au développement de ceux-ci, en

3 Un texte de 1937 par Rosario Genest montre déjà ces préoccupations de protéger les droits des justiciables tout en guidant les décisions du juge par des procédures strictes. D’ailleurs, ces préoccupations existent depuis longtemps, comme l’illustre un extrait cité d’un texte du chancelier d’Aguesseau (citation sans référence, mais dont l’existence semble attestée par ailleurs, voir E.D. Glasson, Eléments du droit français considéré dans ses rapports avec le droit naturel et

l’économie politique, vol. 2, Paris, A. Durand et Pedone Lauriel/Guillaumin & cie, 1884, p. 140). R. Genest, «Notre Code de procédure civile, ses Qualités, ses Défauts, ses Lacunes» dans Deuxième congrès de la langue française au Canada, Deuxième congrès de la langue française au Canada, Québec, 27 juin-1er juillet 1937. Mémoires. L’esprit français dans

ses différentes manifestations, Tome II, Section des lois, Québec, Imprimerie de l’Action Catholique, 1938, p. 239.

4 D. Bamford, «The Continuing Revolution : Experts and Evidence in Common Law Litigation», (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 161, 161-162. Pour d’autres exemples sur la modification du rôle du juge dans le contexte contemporain, voir notamment S. Amrani-Mekki, «The Future of the Categories, the Categories of the Futur», (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 245, 255; N. Andrews, «English Civil Justice in the Age of Convergence», (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 97, 103-104; P.-C. Lafond, Le

recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, impact et évolution, Cowansville, Yvon Blais, 2006, p.

9-17 [ci-après P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice]; F. Ost, «Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur. Trois modèles de justice», dans P. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove, Fonction de juger

et pouvoir de juger, transformations et déplacements, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis,

1983, p. 1-70; J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le prochain

Code de procédure civile», (2001) 46 R.D. McGill 317, 338-339 [ci-après J.-G. Belley, «Une justice de la seconde

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3

considérant surtout les liens et l’influence qu’ils ont sur les modifications de la fonction judiciaire des juges, représentés dans certains cas par les membres de la Cour supérieure.

Les connaissances et les sources québécoises à ce sujet ont été relativement peu exploitées. La production documentaire à propos du droit judiciaire et de la procédure civile a souvent pris la forme d’études orientées vers la pratique ou de discussions sur l’application des règles au cours d’une instance. Au Québec, nombreux sont les ouvrages de synthèse et les études spécialisées qui ont adopté cette approche5. En effet, l’application constante de la procédure civile devant les tribunaux civils et dans l’ensemble de la gestion des litiges6 encourage les auteurs à y porter une attention particulière. Par ailleurs, les grandes révisions de la procédure civile ont aussi été accompagnées par une production abondante de doctrine. Outre les documents préparatoires à ces révisions7, les analyses8 de leur contenu, de leur application et de leurs conséquences, de même que

5 D. Ferland et B. Emery, Précis de procédure civile du Québec, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2003, 2 v. [ci-après D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd.], de même que dans l’édition subséquente : D. Ferland et B. Emery, Précis de

procédure civile du Québec, 5e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2015, 2 v. [ci-après D. Ferland et B. Emery, Précis de

procédure civile du Québec, 5e éd.] (N.B. : le texte de la thèse renverra à plus d’une édition du Précis de procédure civile, et le choix de l’édition de référence sera fait notamment en fonction du contexte du Code étudié à ce moment dans la thèse et de la date de référence). Voir également G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, Montréal, Eusèbe Senécal, 1867, 470 p. [ci-après G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1]; G. Doutre, Les lois de la procédure civile dans

la province de Québec, Tome 2, Montréal, Eusèbe Senécal, 1869, 698 p. [ci-après G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 2]; P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, 371 p.; A.

Deslongchamps, «Paramètres d’un véhicule procédural efficace», (1999) 40 C. de D. 141.

6 À partir de l’entrée en vigueur du Code de 2016, elle s’applique aussi à la résolution amiable des différends dans une certaine mesure.

7 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, Québec, Gouvernement du Québec, Ministère de la Justice, 2001, 299 p. [ci-après : Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire]; Comité de révision de la procédure civile, La révision de la procédure civile, document de consultation, Québec, Gouvernement du Québec, Ministère de la Justice, 2000, 131 p.; Commissaires chargés de la révision du Code de procédure civile,

Révision du Code de procédure civile : premier rapport, document polycopié, Québec, s.l., 1962, non paginé;

Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Premier rapport de la

Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Québec, Léger Brousseau,

1893, 27 p. [ci-après Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du

Bas-Canada]; Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Deuxième rapport de la Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Québec, Léger

Brousseau, 1894, 195 p. [ci-après Deuxième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de

procédure civile du Canada]; Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du

Canada, Troisième rapport de la Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du

Bas-Canada, Québec, Léger Brousseau, 1895, 126 p. [ci-après Troisième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada]; Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Quatrième rapport de la Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, comprenant le texte entier du Code, les rapports antérieurs, et les projets de modifications au Code civil et aux statuts, Québec, Léger Brousseau, 1896, 313 p. [ci-après Quatrième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada]; Dixième rapport des Commissaires chargés de codifier les lois du Bas Canada en matières civiles, Code de procédure civile, Ottawa, G.E.

Desbarats, 1866, 297 p. [ci-après Dixième rapport des Commissaires, 1866].

8 Barreau du Québec, Service de la formation continue du Barreau du Québec, La réforme du Code de procédure civile :

trois ans plus tard, Montréal, Le Barreau, 2006, 284 p.; L. LeBel, et P. Verge (dir.), L’oreille du juge, Études à la mémoire de Me Robert P. Gagnon, Cowansville, Yvon Blais, 2007, 198 p.; H. Reid, «Le Code de procédure civile depuis

le 1er janvier 1994 : les réponses et les questions», dans P.-A. Comeau et al., Le nouveau Code civil du Québec: un bilan, Montréal, Wilson & Lafleur, 1995, p. 96-111 (au sujet des modifications ponctuelles suivant l’entrée en vigueur du Code

civil de 1994); E.-F. Surveyer, «À propos de réforme à notre procédure civile», (1945) 5 R. du B. 2; E.-F. Surveyer, «En

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de leurs buts, entraînent de nombreuses discussions et prises de position. Elles mènent aussi à l’étude concrète des impacts attendus et obtenus par le biais des révisions et réformes. La communauté juridique se montre généralement critique à l’endroit de la procédure civile, car elle est appelée à l’utiliser quotidiennement. Les lacunes dénoncées par certains, les besoins de réformes ressentis par d’autres, l’opposition à des manières de faire anciennes ou nouvelles, fournissent autant d’occasions de discuter de procédure civile et d’en approfondir quelques aspects9. Le système judiciaire et les différents protagonistes qui y interagissent ont bénéficié de l’intérêt de plusieurs auteurs, qui ont perçu un changement important dans la conception du système judiciaire. Ce dernier a été analysé, comme la redéfinition du rôle des acteurs de ce système, en particulier des juges, pour répondre à ces nouveaux défis10.

La réflexion théorique sur la procédure civile, sans être absente de la majorité de ces études, tient cependant une place relativement restreinte dans les préoccupations des auteurs québécois. Peu de thèses ont été rédigées dans ce domaine au Québec depuis une quarantaine d’années11. Il s’agit d’un secteur en émergence, bien qu’il soit déjà jalonné par quelques textes importants12. D’une part, la nature mixte de la procédure civile québécoise, issue à la fois d’influences civilistes et de common law, permet l’utilisation de nombreuses données théoriques. Plusieurs textes présentent une pertinence dans ce contexte. Ces études proviennent tant d’auteurs du Québec13 que d’autres pays

procédure civile du Québec : quelques réflexions sur le contrat judiciaire», (2004) 45 C. de D. 133; J. Lambert, «Une

révision traditionnelle plutôt qu’une authentique réforme de la procédure civile au Québec», dans N. Kasirer, et P. Noreau,

Sources et instruments de justice en droit privé, Montréal, Thémis, 2002, p. 219-228; etc.

9 J.-C. Royer, «La révision des règles spéciales d’administration de la preuve», (1999) 40 C. de D. 161, 191-193 et 196; A. Deslongchamps, supra note 5, p. 143; S.W. Weber, «Comments on several features of the new Code of Civil Procedure», (1966) 26 R. du B. 582, 582-586.

10 P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, 371 p.; M.-C. Belleau, F. Lacasse et D. Guth (dir.), Claire L’Heureux-Dubé à la Cour suprême du Canada, 1987-2002, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, 857 p.

11 Un certain nombre de mémoires de maîtrise en procédure civile peut être recensé, mais, depuis le début du XXe siècle, rares sont les doctorants qui choisissent cette voie. Parmi ceux-ci, il est possible de mentionner les documents suivants: J.-F. Roberge, Typologie de l’intervention en conciliation judiciaire chez les juges canadiens siégeant en première instance

et ses impacts sur le système judiciaire, le droit et la justice : étude de la perception des juges canadiens, thèse de

doctorat, Université Laval/Université de Sherbrooke, 2007, 451 p.; P.-C. Lafond, Le recours collectif comme voie d’accès

à la justice pour les consommateurs, Montréal, Thémis, 1996, 835 p. (présenté initialement comme thèse de doctorat,

Université de Montpellier); A. Prujiner, Contribution à une théorie du droit judiciaire d’urgence : étude comparative de

l’injonction interlocutoire et du référé, thèse de doctorat, Université Laval, 1979, 341 p. Parmi les pionniers, voir F. Roy, Des restrictions au droit de plaider en matière civile : thèse pour le doctorat, thèse de doctorat, Université Laval, 1902,

301 p.

12 Voir par exemple J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4; J.-M. Brisson, La formation d’un

droit mixte : l’évolution de la procédure civile de 1774 à 1867, Montréal, Thémis, 1986, 178 p. [ci-après : J.-M. Brisson, La formation d’un droit mixte].

13 Conseil de la langue française, Codification : valeurs et langage. Actes du colloque international de droit civil comparé, Montréal, 1985, 712 p.; J.E.C. Brierley, «Quebec’s Civil Law Codification», (1968) 14 R.D. McGill 521; S. Normand, «La codification de 1866 : contexte et impact», dans H. P. Glenn, Droit québécois et droit français : communauté,

autonomie, concordance, Cowansville, Yvon Blais/Les Cahiers de droit, 1992, p. 43-62; S. Guillemard, «Présentation de

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de tradition civiliste14, d’autres émanent de chercheurs externes de tradition juridique britannique15 ou, plus largement, de la common law. Cependant, malgré quelques études intéressantes sur l’histoire de la procédure civile québécoise16, nous pouvons constater une sous-utilisation des ressources historiques pour mieux comprendre la formation du droit judiciaire actuel. Une comparaison entre cette utilisation et l’attention portée à l’histoire du droit substantif québécois et du Code civil en particulier17 met cette réalité en perspective.

Cette thèse s’inscrit dans le développement de la réflexion théorique et historique sur la procédure civile québécoise. Elle permet notamment d’étudier l’évolution de la procédure civile dans une dimension judiciaire et culturelle, c’est-à-dire en présentant la façon dont elle se structure, dont elle influence les institutions et les représentations qui composent l’espace judiciaire et dont elle est influencée par ces mêmes institutions et représentations. Ainsi, son but est d’explorer comment les principes directeurs de la procédure civile ont évolué durant une période et dans un contexte donnés. Il ne s’agit pas de faire, ou de refaire, l’histoire de cette notion dans le cadre de l’évolution de la pensée occidentale18. En nous concentrant sur le cas du Québec à partir de 1867, et par le filtre d’exemples tirés principalement de l’expérience des juges de la Cour supérieure, nous tenterons de tracer les contours du cheminement de certains de ces principes directeurs dans la procédure civile. La Cour supérieure du Québec s’est imposée comme un environnement privilégié susceptible de fournir des exemples significatifs pour la réalisation de ce projet. Instituée en 1849, elle devient le tribunal de première instance en matière civile, dont la «jurisdiction», selon le terme de l’époque,

14 L. Cadiet et G. Canivet (dir.), De la commémoration d’un Code à l’autre : 200 ans de procédure civile en France, Paris, LexisNexis Litec, 2007, 383 p.; R. Cabrillac, Les codifications, Paris, Presses universitaires de France, coll. Droit, éthique et société, 2002, 310 p.

15 N. Andrews, Principles of Civil Procedure, London, Sweet & Maxwell, 1994, 617 p.; A. Zuckerman, Civil Procedure, Londres, LexisNexis UK, 2003, 999 p.; A. Zuckerman, Zuckerman on Civil Procedure : Principles of Practice, 2nd ed., Londres, LexisNexis UK, 2006, 1178 p.

16 Par exemple J.-M. Brisson, La formation d’un droit mixte, supra note 12; J.-M. Brisson, «La procédure civile du Québec avant la codification : un droit mixte, faute de mieux», dans Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, La formation du droit national dans les pays de droit mixte, Les systèmes juridiques de Common Law et

de Droit Civil, Aix-Marseille, Les Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1989, p. 97; L. Huppé, Histoire des institutions judiciaires du Canada, Montréal, Wilson & Lafleur, 2007, 764 p.

17 Notamment A. Morel, «L'émergence du nouvel ordre juridique instauré par le Code civil du Bas Canada (1866-1890)», dans Le nouveau Code civil : interprétation et application (Les journées Maximilien-Caron 1992), Montréal, Thémis/Faculté de droit de l'Université de Montréal, 1992, p. 50-63; S. Normand, «Le Code civil et l’identité», dans S. Lortie, N. Kasirer, J.-G. Belley (dir.), Du Code civil du Québec, Contribution à l’histoire immédiate d’une recodification

réussie, Montréal, Thémis, Université de Montréal, 2005, p. 619-666; J. Boucher et A. Morel, Livre du centenaire du Code civil : Le droit dans la vie familiale, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1970, 320 p.; J. Boucher et

A. Morel, Livre du centenaire du Code civil : Le droit dans la vie socio-économique, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1970, 276 p.

18 Pour une intéressante proposition à ce sujet, voir A. Guilmain, «Sur les traces du principe de la proportionnalité : une esquisse généalogique», (2015) 61 R.D. McGill 87.

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s’étend à toute la province19. Cette Cour a traversé plus de 150 ans de modifications du système judiciaire et procédural, s’adaptant au fil des réformes sans que sa structure intrinsèque et son nom soient fondamentalement changés. Ceci est sans précédent parmi les cours québécoises de première instance sur lesquelles le choix aurait pu être arrêté. Outre sa longévité, la Cour supérieure possède aussi des caractéristiques distinctives qui en font un milieu fécond en matière d’illustration. Elle est chargée de connaître en première instance un grand nombre de litiges civils20. Elle est aussi le tribunal de droit commun selon la tradition anglaise21. Cette même tradition lui confère une «compétence inhérente» qui lui permet d’entendre tous les types de litiges qui ne sont pas exclusivement ou expressément dévolus à une autre cour de première instance22. Une compétence longtemps dite «de surveillance et de contrôle»23 issue de la common law lui est également reconnue24. Celle-ci consiste à pouvoir juger de la légalité des décisions d’autres organismes, tels les tribunaux administratifs, cours de première instance provinciales, corps politiques, etc. Dès sa formation, ses magistrats peuvent rédiger et adopter des «règles de pratique» pour régir divers aspects de son propre fonctionnement interne25. De plus, la Cour supérieure et les juges qui y siègent sont investis de pouvoirs inhérents complémentaires qui leur permettent entre autres de suppléer aux silences de la loi en matière procédurale26. Une cour de première instance telle que la Cour supérieure possède enfin la caractéristique d’appliquer toutes les réformes procédurales dès leur mise en vigueur. Elle produit donc un éventail de décisions relatives aux révisions avant même que les courants d’interprétation se dessinent plus nettement et que les cours d’appel n’interviennent.

19 Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c. 38, art. 3 et 6.

20 Id., art. vi et vii.

21 Three Rivers Boatman Limited c. Conseil canadien des relations ouvrières, [1969] R.C.S. 607, 616-618 (le juge Fauteux); Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, 761 (le juge LeBel). 22 Cette compétence est exprimée à l’article 31 C.p.c. À propos de cet article et des origines de ce pouvoir, considérer J.-M. Brisson, La formation d’un droit mixte, supra note 12, p. 31 et I.H. Jacob, «The Inherent Jurisdiction of the Court» (1970) 23 Current Legal Problems 23. Voir aussi D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 75 et D. Ferland et B. Emery, Précis, 5e éd., supra note 5, p. 133.

23 Cette compétence autrefois dite «pouvoir de surveillance et de contrôle» est à présent désignée par l’expression «pouvoir général de contrôle judiciaire» depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code en janvier 2016 (art. 34 N.C.p.c.).

Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12

Vic., c. 38, art. 7.

24 Cette compétence est codifiée à l’article 33 C.p.c. Voir aussi D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 81. 25 Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c. 38, art. 100. Voir notamment : Règles de pratique de la Cour supérieure (1850) : [R.p.C.s. (1850)]. Elles sont reproduites dans M. Mathieu, Code de procédure civile de la province de Québec, Montréal, C.O. Beauchemin et Fils, 1893, p. 573 [M. Mathieu, Code de procédure civile]; G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. 269. Il arrive que les deux textes présentent des variantes. En effet, Doutre précise dans son ouvrage qu’il n’existe aucune traduction française de ces règles en 1867, il a donc traduit lui-même les textes, en sacrifiant l’élégance à la précision (p. liv). La provenance de la traduction de Mathieu n’est pas précisée : il peut s’agir d’une traduction «officielle» ou d’une traduction personnelle.

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La fonction des juges de la Cour supérieure devient donc un vecteur d’étude dans le cadre de la thèse. Cet exercice ne vise pas à proposer une définition de la fonction judiciaire dans son ensemble ou à explorer minutieusement toutes ses composantes. Des éléments de cette nature émergeront parfois du texte, mais cet aspect de la thèse sert surtout à établir des exemples de l’influence des principes procéduraux retenus. De même, tout en nous intéressant de près à l’histoire du droit judiciaire, nous chercherons à recréer le contexte d’évolution des principes et de la procédure civile tel qu’il s’est manifesté dans le discours et l’expérience vécue du monde judiciaire québécois. La thèse n’a pas la prétention d’écrire une histoire socioculturelle complète de la Cour supérieure du Québec ou de la procédure civile québécoise. Cette entreprise mériterait un développement indépendant. Cependant, nous souhaitons que la thèse participe à la réflexion sur l’existence d’une culture judiciaire propre au Québec, à l’approfondissement de ses caractéristiques et à la reconnaissance de l’appartenance de la procédure civile à cette culture judiciaire et, plus largement, à une culture juridique particulière.

Afin de proposer une limite au sujet traité, cette thèse considère l’incidence de «l’esprit» de la procédure civile sur la structuration de la procédure civile à travers des manifestations liées à la transformation de la fonction judiciaire. Elle s’attache ainsi à retracer le développement de quelques principes directeurs de la procédure civile québécoise. Ce développement sera étudié en considérant son influence sur l’évolution de la fonction judiciaire, dans le cadre de la Cour supérieure du Québec. De manière secondaire, elle explore aussi la réciprocité de l’influence de la fonction judiciaire sur les principes directeurs en quelques occasions.

Théorie et concepts de base

Cette recherche et son orientation se sont fondées sur quelques concepts.

Principes généraux, principes directeurs et règles en procédure civile québécoise

Notre projet repose tout d’abord sur l’étude de cinq principes dits «directeurs» dans les textes liés notamment à la troisième révision du Code, à la fin du XXe siècle27. Leur nature nécessite une explication plus complète. Tel qu’il est conçu, tant en droit civil que dans d’autres traditions juridiques, le droit est représenté à l’aide de principes et de règles qui expriment son essence et définissent son application. Les principes sont couramment définis comme des notions à caractère

27 Voir par exemple Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35. Ce texte est l’un des premiers à faire un usage extensif du terme «principe directeur» pour désigner des concepts procéduraux.

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général qui servent de fondement à divers textes, lois ou règles28. Ils existent même hors de la seule discipline juridique et appartiennent à ce que certains appellent son «esprit» ou ses «fondements». Ils présentent des caractéristiques compatibles avec l’étendue de leur influence en droit29. D’abord, ils sont partagés et cautionnés par une majorité de membres de la communauté juridique, soit par l’ensemble des juges, des avocats et des autres acteurs du système judiciaire ou qui ont des liens avec le droit. De plus, ces principes qui seront qualifiés de «généraux» dans le cadre de la thèse sont influencés par les représentations et les valeurs sociales. Enfin, leur rôle premier est de définir les orientations fondamentales du droit et du système judiciaire. Les principes généraux n’appartiennent pas à une branche spécifique du droit. Ils transparaissent dans l’ensemble des branches et acquièrent ainsi une sorte d’universalité dans le cadre d’un système de droit. L’exemple du principe de la bonne foi est souvent cité pour illustrer la nature du principe général au Québec30. La bonne foi doit toujours présider aux comportements en matière judiciaire31, en matière contractuelle32, de même elle est requise dans l’exercice de tout droit33, etc.

Dans le texte de cette thèse, le terme «principe directeur» est employé de façon technique ou scientifique pour symboliser une catégorie de phénomènes structurants de la procédure civile qui autrement ne porterait pas de nom, mais n’en serait pas moins réelle. S’il correspond souvent à la formule actuelle du Code, ce concept existe par lui-même dans le cadre de la thèse et peut parfois révéler un léger décalage avec le vocabulaire du législateur. Nous signalerons au passage certaines de ces circonstances. Dans un premier temps, nous considérons que le vocable désigne une catégorie particulière de principes. Ceux-ci sont dits directeurs dans un contexte plus restreint que

28 H. Reid, Dictionnaire de droit canadien et québécois, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 478.

29 Voir par exemple les remarques de J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, 320-321. Sur les principes en général, voir entre autres M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Paris, Seuil, coll. La librairie du XXe siècle, 1994, p. 82-89; J. Boulanger, «Principes généraux du droit et droit positif», dans Le droit privé français au milieu

du XXe siècle, Études offertes à Georges Ripert, Tome 1 : Études générales, Droit de la famille, Paris, Librairie générale

de droit et de jurisprudence, 1950, p. 51-74.

30 L. Rolland, «La bonne foi dans le Code civil du Québec : du général au particulier», (1996) 26 R.D.U.S. 377, 379-380. Cependant, même traduisant ce que nous considérons comme un principe général, les règles des deux Codes sont appliquées dans des cas et selon une philosophie précise. Souvent, la bonne foi a été présente implicitement dans les comportements, sanctionnée par la doctrine et la jurisprudence avant d’être spécifiquement présente dans les lois. Voir l’implication de l’adoption du principe de bonne foi dans le Code civil : V. Karim, «La règle de la bonne foi prévue dans l’article 1375 du Code civil du Québec : sa portée et les sanctions qui en découlent» (2000) 41 C. de D. 435, 437-439. Il est intéressant de voir que l’énonciation d’un principe en matière législative peut également susciter une réflexion sur la nature d’un tel principe de bonne foi, sur son étendue et son application dans un univers juridique de common law. Voir à ce sujet J. Stapleton, «Good Faith in Private Law», (1999) 52 Current Legal Problems 1, 7-17. Exposant une perception du développement judiciaire de la notion de bonne foi en particulier en matière contractuelle, voir L. LeBel et V. Rochette, «Le principe de bonne foi en droit civil québécois», dans Responsabilité, fraternité et développement durable en

droit : Une conférence à la mémoire de l’honorable Charles D. Gonthier, Manuscrit de la conférence, 20-21 mai 2011,

Faculté de droit de l’Université McGill, en ligne, mcgill.ca/sustainability/fr/channels/event/conférence-commémorative-gonthier-responsabilité-fraternité-et-développement-durable-en-droit-170416.

31 Art. 4.1 C.p.c. 32 Art. 1375 C.c.Q. 33 Art. 6 et 7 C.c.Q.

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celui dans lequel s’expriment les «principes généraux» évoqués précédemment. Ils existent plutôt à l’intérieur d’une branche du droit, comme la procédure civile dans le cas qui nous occupe34. Ils sont limités à cette branche du droit, en ce sens que leur application dans le cadre de cette branche ne fait généralement référence qu’à celle-ci. Le titre du chapitre du Code qui le contient semble le confirmer lorsqu’il fait référence aux «principes directeurs de la procédure civile». Ainsi, l’appellation «principe directeur» est employée pour traduire une notion de nature technique, en ce sens qu’elle est utilisée dans un contexte plus spécialisé, plus fonctionnel. L’identification des principes directeurs paraît naître d’un besoin de structure et de description35. En effet, cette identification est surtout effectuée dans un contexte d’organisation, souvent celle d’une branche du droit. Elle est souvent le fait de spécialistes, soit des individus possédant des connaissances juridiques et œuvrant dans le domaine ou la branche de droit que ces principes régissent : rédacteurs des lois, commissaires à la codification, juges, avocats, etc. Ceci peut correspondre aux caractéristiques de la récente réforme du Code de procédure civile. Dans le contexte du Code, la fonction des principes directeurs est d’orienter le droit procédural36. Ils permettent d’établir la définition des règles applicables, d’assurer leur cohérence à travers l’existence d’une structure supérieure et de faciliter l’interprétation ultérieure de ces règles.

Ces dernières, quant à elles, ont deux fonctions principales. Elles énoncent la lettre des droits et obligations de chacun des acteurs du système judiciaire et ainsi, elles décrivent ce système. Elles sont également les illustrations des principes, c’est-à-dire qu’elles leur permettent de devenir opérationnels37. Ainsi, tant les principes que les règles entrent en jeu dans le travail interprétatif de l’avocat ou du juge et colorent la façon d’appliquer le droit. Incidemment, nous traiterons à plusieurs reprises de «valeurs» afin de représenter des éléments choisis, des préférences auxquels adhèrent un groupe plus ou moins large de personnes et qui influencent leurs conceptions ou leurs comportements38. Ainsi, l’«efficacité» peut être perçue comme une «valeur»39, en ce sens que ceux qui adhèrent à sa définition vont identifier des moyens, des états ou même des situations qui leur semblent préférables, puisque conformes à un ensemble de critères qui relèvent de leur vision de

34 Il est probable que le choix de l’adjectif «directeur» est le fait d’une volonté de mettre l’accent sur le rôle primordial conféré aux principes ainsi définis, à savoir permettre d’encadrer et d’interpréter la loi selon des lignes de pensée proposées dans les règles qui les énoncent.

35 J. Normand, «Principes directeurs du procès» dans L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 1038-1039.

36 Id. Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35.

37 Considérer par exemple la présentation de N. Andrews, supra note 15, p. 11; J. Boulanger, supra note 29, p. 62; H. Reid, Dictionnaire de droit canadien et québécois, 4e éd., supra note 28, p. 518.

38 Voir à ce propos, pour une explication résumée, l’article «Valeurs» dans R. Boudon et F. Bourricaud, Dictionnaire

critique de la sociologie, Paris, Quadrige/PUF, 2011, particulièrement aux pages 665-666.

39 Soraya Amrani-Mekki mentionne, à propos de la recherche de l’efficacité procédurale, «qu’il a été envisagé d’en faire un principe directeur du procès civil» en France, voir S. Amrani-Mekki, loc. cit., note 4, 254.

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l’efficacité économique, institutionnelle, etc. Elle devient une notion qui traduit les aspirations d’individus ou de groupes, mais qui va au-delà de ce concept puisqu’elle en vient à se traduire par des attentes et des exigences concrètes. Dans l’ensemble, ces «valeurs» et ces règles jouent un rôle essentiel dans notre compréhension des «principes directeurs» et de leur développement.

Selon certaines théories concernant les principes, ceux-ci peuvent présenter une évolution qui s’effectue en plusieurs stades40 : les principes se développent, sont reconnus, appliqués, gagnent ou perdent en faveur et ces mouvements peuvent se rapprocher de leur conformité ou non aux valeurs sociales41. Plus précisément, les principes directeurs en milieu civiliste s’insèrent souvent, implicitement ou par une codification directe, dans la structure du Code de procédure civile, à une étape de leur développement. Cette intégration peut être plus ou moins lente et la présence du principe est souvent exprimée de façon indirecte, sauf dans les décennies les plus récentes. Ceci ne signifie pas, bien au contraire, que ces derniers n’existent pas et n’ont aucune influence sur le droit avant leur codification. Par contre, une propension à la codification des principes est particulièrement notable depuis quelques années en droit procédural. Des Codes de procédure civile actuels reconnaissent de manière directe et explicite des principes directeurs. En France, une section spécifiquement consacrée aux principes directeurs existe depuis 197142. Au Québec, le comité de révision de la procédure civile a utilisé la notion de principe directeur dans son rapport final43 et le législateur a introduit certains des principes identifiés44 au Code de procédure civile en 2003, sans pour autant créer immédiatement une section distincte ou employer dans le Code le vocable «principes directeurs». Au contraire, comme nous l’avons souligné, le Code de procédure civile adopté en 2014 présente de telles caractéristiques45.

Le concept de «principe directeur» utilisé dans la thèse se distingue donc parfois de l’emploi qu’en fait le législateur dans le Code. Il est quelquefois possible d’y trouver une équivalence ou de voir les deux concepts recourir à des idées similaires. En revanche, le concept de «principe directeur» défini

40 N. Andrews, supra note 15, p. 12.

41 J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 320-321.

42 Ces principes constituent une section liminaire du Code de procédure civile français : ils ont été introduits par décret en 1971 et maintenus lors de la refonte de 1976. Voir par exemple L. Cadiet, «D’un Code à l’autre : de fondation en refondation», dans L. Cadiet et G. Canivet, supra note 14, p. 3-4; E. Blanc et J. Viatte, Nouveau Code de procédure civile

commenté dans l’ordre des articles, Paris, Librairie du Journal des notaires et des avocats, 1977, p. 7-8; P. Morvan,

«Principes» dans D. Alland et S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Quadrige/Lamy-PUF, 2003, p. 1201. 43 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, considérer principalement les pages 35-40, 144-145, 221, 253 et 257.

44 Comparer entre autres les articles 4.1, 4.2 et 4.3 C.p.c. avec les termes du texte qui sous-tend la révision de 2003 : Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35-40. Il est important noter le travail proposé par J.-G. Belley (J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 362-372, notamment) sur le sujet et qui a certes nourri la réflexion des membres du Comité.

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dans la thèse est basé sur des critères qui en permettent l’étude et qui, isolés, servent à représenter des états de développement des principes, comme nous le verrons. Ces critères n’ont pas d’équivalents dans le Code. Celui-ci n’offre pas de définition approfondie du «principe directeur». Il est aussi possible que les changements de vocabulaire amènent le législateur à identifier un élément qui présente toutes les caractéristiques que nous attribuerons au «principe directeur codifié» par un autre terme que celui de «principe directeur», ce qui n’empêche pas cet élément de rester, dans l’optique «scientifique» de la thèse, un «principe directeur». De la même façon, l’expression «principe directeur» en soi est évidemment une appellation récente, si récente que de nombreux auteurs n’y adhèrent pas encore ou depuis peu de temps. Le législateur lui-même, s’il en retient le contenu, n’emploie pas le terme sur l’ensemble de la période étudiée, sauf durant quelques mois. Il n’est devenu un terme «officiel» du Code qu’à compter de l’entrée en vigueur, en janvier 2016, du Code adopté en 2014. Il va de soi qu’aucun contemporain du Code de procédure civile de 1867 n’a utilisé cette expression. Au regard du vocabulaire du Code lui-même, il y a donc un véritable anachronisme à employer cette formule et à parler de «principes directeurs» en se référant à la procédure civile du XIXe siècle et d’une grande partie du XXe siècle.

L’une des difficultés d’une thèse de droit qui porte sur une loi comme le Code de procédure civile a trait à l’importante modification du vocabulaire depuis le XIXe siècle. À l’époque, de nombreux termes étaient issus de l’ancien droit ou étaient des traductions plus ou moins heureuses de termes anglais, voire des anglicismes. Au fur et à mesure de l’évolution du Code, tant les modalités liées à plusieurs moyens procéduraux que les termes mêmes de la loi ont changé. Heureusement, la majorité des modifications importantes dans ce domaine a coïncidé avec les révisions majeures du texte du Code, ce qui permet de conserver l’unité à l’intérieur des grandes divisions de la thèse. En effet, dans un tel contexte, un changement de terminologie s’accompagne parfois d’une modification subtile de certains éléments d’une procédure donnée et l’adéquation entre deux termes n’est pas toujours parfaite. Dans la mesure du possible, la thèse utilise donc les termes de l’époque étudiée au moment où ils sont en vigueur dans le Code de procédure civile46. Une exception notable à cette règle concerne le terme «juridiction», anciennement utilisé pour désigner la «compétence» d’un tribunal. Puisqu’il ne désigne pas une forme procédurale spécifique, le mot «compétence» est utilisé de manière préférentielle, sauf dans une citation directe. Ces choix de vocabulaire, surtout

46 À cet égard, soulignons que des changements de syntaxe, d’expression et d’orthographe ont pu survenir dans la langue depuis la publication de plusieurs des textes étudiés. Afin d’éviter des répétitions fastidieuses pour le lecteur, il est nécessaire d’expliquer ici extensivement que les caractéristiques originales ont été respectées dans les citations directes. L’orthographe anciennement admise d’un mot tel qu’«enfans», par exemple, serait conservée. Il en va de même des expressions ou des tournures de phrase qui peuvent paraître vieillies ou moins «politiquement correctes» que notre rédaction actuelle ne l’exige.

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celui d’employer le terme «principe directeur», semblaient appropriés et essentiels pour maintenir la rigueur de l’étude proposée. L’environnement socioculturel et judiciaire se modifie également, de même que le contenu du Code. La mise en contexte par rapport à l’application de divers articles du Code ou à la mise en œuvre de divers moyens procéduraux devient donc un outil nécessaire. Malgré la richesse et la pertinence de leur contenu et de leur évolution, il était irréaliste de retenir tous les principes directeurs de la procédure civile, codifiés ou non, dans le cadre d’une thèse. Les besoins de la thèse nous ont amenée à faire le choix de nous concentrer sur des principes directeurs particuliers et à laisser de côté des principes directeurs tout aussi intéressants, comme les principes de la publicité des audiences ou de la coopération entre les parties. Ce choix répond à diverses stratégies : amplitude de la recherche et temps qu’elle exige, représentativité des types de cheminements, influence récente, etc.

Le premier principe directeur examiné est le principe longtemps dit «du contradictoire», aujourd’hui désigné sous le terme «principe de la contradiction»47. Il est parfois traduit par la maxime «audi alteram partem». Ce principe directeur, codifié à l’article 17 N.C.p.c., appartient au texte du Code de procédure civile depuis sa première entrée en vigueur en 186748. Les second et troisième principes directeurs existent aussi depuis longtemps, mais leur codification est plus récente, soit 2003. Il s’agit du principe de la «maîtrise de l’instance par le juge» et de la «maîtrise de leur dossier par les parties», tous deux mentionnés actuellement à l’article 19 N.C.p.c.49 Comme la thèse l’illustrera, ils présentent un modèle d’évolution différent de celle du principe du contradictoire. Le quatrième principe directeur est celui de la «proportionnalité», qui a été codifié en 200350 et se trouve énoncé à l’article 18 N.C.p.c. Ce principe directeur semble nouveau lorsque l’analyse ne prend en compte que son énonciation et la date de son introduction au Code de

procédure civile. Pourtant, la recherche indique qu’il s’agit sans doute d’un principe en émergence

avant cette date, dont la définition s’ébauche progressivement51. Dans ce contexte, il importe de préciser que le terme «proportionnalité» est un terme moderne. Son emploi pour étudier un

47 À partir de l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile en 2016, voir l’article 17 al. 2 du N.C.p.c. (voir la

Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014 c. 1).

48 Code de procédure civile du Bas Canada/Code of Civil Procedure of Lower Canada, Ottawa, Malcolm Cameron, 1867, p. 6, art. 16 : «Il ne peut être adjugé sur une demande judiciaire sans que la partie contre laquelle elle est formée, ait été entendue ou dûment appelée».

49 Ces principes étaient précédemment codifiés à l’article 4.1 C.p.c. 50 Ce principe était précédemment codifié à l’article 4.2 C.p.c.

51 À ce sujet, il est intéressant de consulter l’article de P. Tessier, «La simplification des procédures spéciales d’administration de la preuve», (1999) 40 C. de D. 161, 172-173, 165-166, 167-169; ou Conseil Canadien des Églises c.

Canada (M.E.I.), [1992] 1 R.C.S. 236, 251-252 (le juge Cory). Voir aussi, sur l’importance du lien entre la

proportionnalité dans le droit judiciaire et la fonction du juge, Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle

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