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L’effet de la tolérance à la détresse sur l’expérience de la douleur chronique

Chapitre 3 : Discussion générale

3.1. Principaux constats et contributions théoriques

3.1.1. L’effet de la tolérance à la détresse sur l’expérience de la douleur chronique

combinaison de niveaux plus faibles de tolérance à l’ambiguïté, de tolérance à l’incertitude, de tolérance à l’inconfort, de tolérance à la détresse émotionnelle et de tolérance à la frustration (composantes de la tolérance à la détresse) prédit une intensité de la douleur plus élevée ainsi qu’une plus grande interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien (Tang, Goodchild, Hester & Salkovskis, 2010; Asmundson, Peluso, Carleton, Collimore & Welch, 2011; Zvolensky, Vujanovic, Bernsteind & Leyro, 2010). Les analyses indiquent que, parmi l’ensemble des cinq composantes de tolérance à la détresse, seule la tolérance à la détresse émotionnelle est indépendamment associée à l’expérience de la douleur chronique. Elle explique 10 % de la variance du niveau d’intensité de la douleur et 15 % de la variance du niveau d’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien. Ce constat abonde dans le même sens que les études antérieures qui proposent que moins la capacité à tolérer les émotions négatives (p. ex. la colère, les états dépressifs) est bonne, plus la douleur est intense et handicapante (Bruehl, Chung, Donahue & Burns, 2006; Okifiju, Turk & Curran, 1999; Wade, Price, Hamer, Schwartz & Hart, 1990; Sturgeon, Dixon, Darnall & Mackey, 2015; McHugh, Weiss, Cornelius, Martel, Jamison & Edwards, 2016). Sturgeon, Dixon, Darnall et Mackay (2015) proposent que certaines conséquences associées à la douleur chronique, comme la satisfaction sociale, aient un effet sur la capacité à tolérer la détresse émotionnelle. En effet, une augmentation de l’insatisfaction sociale prédit une faible tolérance aux émotions négatives, qui à son tour, influence négativement l’expérience de la douleur chronique (Sturgeon, Dixon, Darnall & Mackey, 2015 ; Kerns, Rosenberg & Jacob, 1994; Faucett, 1994; Feldman, Downey & Schaffer-Neitz, 1999).

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Contrairement à ce qui était attendu, les composantes de tolérance à l’ambiguïté, de tolérance à l’incertitude, de tolérance à l’inconfort et de tolérance à la frustration n’ont pas d’effet sur l’expérience de la douleur chronique. La divergence entre les résultats obtenus et ceux proposés dans la littérature peut, en partie, s’expliquer par les corrélations significatives observées entre les composantes de tolérance à l’ambiguïté, de tolérance à l’incertitude, de tolérance à la détresse émotionnelle et de tolérance à la frustration (voir tableau 5 pour le détail). En somme, l’effet de ces composantes (tolérance à l’ambiguïté, tolérance à l’incertitude et tolérance à la frustration) pourrait être mieux expliqué par leur association avec la tolérance à la détresse émotionnelle. Quant à elle, la tolérance à l’inconfort diffère d’autres composantes de la tolérance à la détresse (tolérance à l’ambiguïté, tolérance à l’incertitude, tolérance à la frustration). Il s’agit de la seule composante qui n’est pas liée à la tolérance à la détresse émotionnelle et à l’expérience de la douleur chronique (tableau 5). L’étude de Bernstein, Zvolensky, Vujanovic et Moos (2009) corrobore ce résultat, puisque la tolérance à l’inconfort serait structurellement distincte de la tolérance à la détresse émotionnelle. Par définition, l’échelle de tolérance à la détresse émotionnelle (DTS) permet d’évaluer le niveau de tolérance aux émotions négatives (Simons & Gaher, 2005) alors que l’échelle de tolérance à l’inconfort (DIS-I) permet d’évaluer la capacité à tolérer les sensations physiques désagréables (Schmidt, Richey & Fitzpatrick, 2004). Ainsi, il est possible que ces deux composantes ne soient pas associées, car l’échelle de tolérance à l’inconfort (DIS-R) mesure un construit distinct qui ne semble pas être lié aux émotions et aux affects (Asmundson, Peluso, Carleton, Collimore & Welch, 2011; Bernstein, Zvolensky, Vujanovic & Moos, 2009). Les sensations somatiques désagréables font partie intégrante de l’expérience de la douleur chronique (Treede & al., 2015). C’est pourquoi il est surprenant qu’elle ne soit pas associée à la tolérance à l’inconfort. Schmidt, Richey et Fitzpatrick (2006) ont développé l’échelle d’intolérance à l’inconfort physique (DIS) afin d’étudier la relation entre la tolérance à l’inconfort puis le développement et le maintien de trouble panique (Leyro, Zvolensky & Bernstein, 2010; Schmidt, Richey, Cromer & Buckner, 2007). Ainsi, cette échelle de mesure a principalement été conçue pour mesurer la capacité à tolérer les sensations corporelles inconfortables, mais pas nécessairement douloureuses (p. ex. les palpitations cardiaques, les étouffements, les sensations d’étouffement) (Leyro, Zvolensky & Bernstein, 2010; Schmidt, Richey, Cromer & Buckner, 2007). Or, ce type de sensations inconfortables diffèrent de celle d’une personne atteinte de douleur chronique (Treede & al., 2015; Boulanger, Clark, Cui & Horbay, 2007), ce qui expliquerait pourquoi la tolérance à l’inconfort n’est pas associée à l’intensité et à l’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien.

3.1.2. Le rôle de la dramatisation de la douleur sur l’expérience de la douleur chronique

À titre d’hypothèse secondaire, il était attendu que la dramatisation de la douleur soit un médiateur de l’association entre la tolérance à la détresse et l’expérience de la douleur chronique (McHugh, Kneeland, Edwards, Jamison & Weiss, 2019; McHugh, Weiss, Cornelius, Martel, Jamison & Edwards, 2016; Severeijns, Vlaeyen, van den Hout & Weber, 2001, Emami, Woodcock, Swanson, Kapphahn & Pulvers, 2016). Les résultats ne permettent pas d’appuyer cette hypothèse. En effet, aucun effet direct ou indirect significatif n’a été observé entre la dramatisation de la douleur et l’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien, ainsi qu’entre la tolérance à la détresse émotionnelle et l’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien. Le même constat a été observé avec la variable d’intensité de la douleur. Il se peut que la corrélation observée entre les variables de dramatisation de la douleur et de tolérance à la détresse émotionnelle (r = -0,46, p < 0,01) puisse expliquer, en partie, cette divergence de résultats. L’absence d’effet significatif pourrait être due à la variance partagée de la dramatisation de la douleur et de la tolérance à la détresse émotionnelle. Cette proposition converge avec celle d’une étude récente qui rapporte que la dramatisation de la douleur soit une manifestation d’une faible tolérance à la détresse émotionnelle (Emami, Woodcock, Swanson, Kapphahn & Pulvers, 2016). Ces deux variables sont étroitement liées, selon le principe de base de la théorie cognitivo-comportementale, qui suggère que les pensées sont associées aux émotions négatives et aux comportements inadaptés (Beck, 2011). C’est pourquoi la présence de pensées dramatiques serait la manifestation d’une faible tolérance à la détresse émotionnelle (Emami, Woodcock, Swanson, Kapphahn & Pulvers, 2016). Cette explication est également appuyée statistiquement.

La dramatisation de la douleur n’est pas apparue comme un médiateur de l’association entre la tolérance à la détresse émotionnelle et l’expérience de la douleur chronique, car elle a un effet confondant dans cette relation. L’analyse de régression entre la dramatisation de la douleur et l’intensité de la douleur (ß = 0,05, t (78) = 3,21, p < 0,01), d’abord, puis avec l’interférence de la douleur sur le fonctionnement (ß = 0,09, t (78) = 4,68, p < 0,01), ensuite, vient appuyer cette explication. Lorsqu’examinée indépendamment de la tolérance à la détresse émotionnelle, la dramatisation de la douleur explique 12 % de la variance du niveau d’intensité de la douleur et 22 % du niveau d’interférence de la douleur sur le fonctionnement. De ce fait, la dramatisation de la douleur explique une plus grande part de la variance de l’intensité et de l’interférence de la douleur que la tolérance à

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la détresse émotionnelle. Donc l’ajout de celle-ci dans l’équation indirecte vient diminuer le pouvoir explicatif de la tolérance à la détresse sur l’expérience de la douleur chronique.

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