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Chapitre 2 : L’effet de la tolérance à la détresse sur l’expérience de la douleur

2.5. Discussion

Cette étude visait à documenter l’association entre la tolérance à la détresse et l’intensité de la douleur, d’abord, puis l’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien, ensuite. Elle avait aussi comme objectif d’évaluer l’effet médiateur de la dramatisation de la douleur dans l’association entre la tolérance à la détresse et l’expérience de la douleur chronique, décrit en termes d’intensité de la douleur et d’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien.

Les résultats ne soutiennent que partiellement l’hypothèse qui suggérait qu’une faible tolérance à la détresse, conceptualisée comme la tolérance à l’ambiguïté, la tolérance à l’incertitude, la tolérance à l’inconfort, la tolérance à la détresse émotionnelle et la tolérance à la frustration, soit associée à une douleur plus handicapante et plus intense (Tang, Goodchild, Hester & Salkovskis, 2010; Asmundson, Peluso, Carleton, Collimore & Welch, 2011; Zvolensky, Vujanovic, Bernsteind &

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Leyro, 2010). En effet, seule la tolérance à la détresse émotionnelle s’est avérée indépendamment associée à l’intensité de la douleur ainsi qu’à son interférence dans le fonctionnement quotidien. La divergence entre ces résultats et ceux d’autres études pourraient, au moins en partie, s’expliquer par l’intercorrélation observée entre les composantes de la tolérance à la détresse : le score de tolérance à l’ambiguïté puis les scores de tolérance à l’incertitude (r = 0,57; p < 0,01), de tolérance à la détresse émotionnelle (r = 0,38; p < 0,01) et de tolérance à la frustration (r = 0,47; p < 0,01); le score de tolérance à l’incertitude puis les scores de tolérance à la détresse émotionnelle (r = 0,55; p < 0,01) et de tolérance à la frustration (r = 0,66; p < 0,01); ainsi qu’entre le score de tolérance à la détresse émotionnelle et le score de tolérance à la frustration (r = 0,58; p < 0,01). Ainsi, il est possible que l’effet de ces différentes composantes de la tolérance à la détresse soit dû à leur association avec la tolérance à la détresse émotionnelle.

Le cas de la tolérance à l’inconfort est différent, car elle n’est pas associée à la tolérance à la détresse émotionnelle ni à l’expérience de la douleur. Ce résultat est en partie cohérent avec l’hypothèse de Bernstein, Zvolensky, Vujanovic et Moos (2009), qui propose que la tolérance à l’inconfort soit structurellement distincte de la tolérance à la détresse émotionnelle. Il est possible que ces deux composantes diffèrent, car la tolérance à l’inconfort concerne les sensations physiques désagréables, tandis que la tolérance à détresse émotionnelle porte sur les affects et les états émotionnels négatifs (Asmundson, Peluso, Carleton, Collimore & Welch, 2011; Bernstein, Zvolensky, Vujanovic & Moos, 2009). Il est toutefois surprenant que la tolérance à l’inconfort ne soit pas liée à l’expérience de la douleur chronique. L’échelle d’intolérance à l’inconfort physique (DIS) a été développée par Schmidt, Richey et Fitzpatrick (2006) afin de mesurer la capacité d’une personne à résister aux sensations corporelles inconfortables, mais pas nécessairement douloureuses. Dans la littérature, elle a surtout été étudiée auprès d’échantillon clinique ou non-clinique ayant des symptômes somatiques lié à l’anxiété, comme les palpitations cardiaques, les étourdissements et les sensations d’étouffement (Leyro, Zvolensky & Bernstein, 2010; Schmidt, Richey & Fitzpatrick, 2006; Bonn-Miller, Zvolensky & Bernstein, 2009; Schmidt, Richey, Cromer & Buckner, 2007). Or, dans une population atteinte de douleur chronique, il est davantage question de sensations douloureuses (Treede & al., 2015; Boulanger, Clark, Cui & Horbay, 2007). Ainsi, la tolérance à l’inconfort pourrait être plus pertinente dans un contexte de sensations associées à l’anxiété plutôt qu’à la douleur chronique.

D’après les résultats obtenus, la tolérance à la détresse émotionnelle explique 10 % de l’intensité de la douleur et 15 % de l’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien. Ces résultats sont cohérents avec ceux d’études antérieures qui proposent qu’une faible tolérance aux états émotionnels (p. ex. la colère, les états dépressifs) contribue à augmenter l’intensité de la douleur ainsi que l’incapacité qui en découle (Bruehl, Chung, Donahue & Burns, 2006; Okifiju, Turk & Curran, 1999; Wade, Price, Hamer, Schwartz & Hart, 1990; Sturgeon, Dixon, Darnall & Mackey, 2015; McHugh, Weiss, Cornelius, Martel, Jamison & Edwards, 2016). Selon l’étude de Sturgeon, Dixon, Darnall et Mackey (2015), la relation entre la tolérance à la détresse émotionnelle et la douleur chronique est influencée par certaines conséquences qui sont associées à cette condition, telle que la satisfaction sociale. Ainsi, la diminution de la satisfaction sociale prédit une plus faible tolérance aux états émotionnels négatifs qui à son tour influence l’expérience de la douleur chronique (Sturgeon, Dixon, Darnall & Mackey, 2015; Kerns, Rosenberg & Jacob, 1994; Faucett, 1994; Feldman, Downey & Schaffer-Neitz, 1999). Bref, la satisfaction sociale est une cible importante à considérer pour mettre fin à ce cercle vicieux (Sturgeon, Dixon, Darnall & Mackey, 2015; Kerns, Rosenberg & Jacob, 1994; Faucett, 1994; Feldman, Downey & Schaffer-Neitz, 1999).

Contrairement à l’hypothèse posée, la dramatisation de la douleur n’est pas un médiateur de l’association entre la tolérance à la détresse émotionnelle et l’intensité de la douleur. Une situation similaire a également été observée pour l’association entre la tolérance à la détresse émotionnelle et l’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien. Lors des analyses de médiation, aucun effet direct significatif n’a été observé entre la dramatisation de la douleur et l’expérience de la douleur chronique (intensité de la douleur et interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien) ainsi qu’entre la tolérance à la détresse émotionnelle et l’expérience de la douleur chronique (intensité de la douleur et l’interférence de la douleur sur le fonctionnement quotidien). Le fait qu’aucun effet direct ou indirect entre la tolérance à la détresse émotionnelle et l’expérience de la douleur chronique n’ait été observé pourrait s’expliquer par la variance partagée de la tolérance à la détresse émotionnelle et de la dramatisation de la douleur. Cette hypothèse est appuyée par la corrélation observée entre les scores de dramatisation de la douleur et de tolérance à la détresse émotionnelle (r = -0,46, p < 0,01). Ces résultats sont cohérents avec ceux d’une récente étude qui suggèrent que la dramatisation serait une manifestation d’une faible tolérance à la détresse émotionnelle (Emami, Woodcock, Swanson, Kapphahn & Pulvers, 2016).

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Il est important de mentionner que l’interprétation des résultats doit tenir compte des spécificités de la population à l’étude. En effet, les participants ressentaient en moyenne une douleur de faible intensité (3,93/10; ÉT 1,60) et elle interférait faiblement avec leur fonctionnement quotidien (3,57/10; ÉT 2,08) selon le Brief Pain Inventory. Ces résultats divergent de ceux d’études antérieures s’étant intéressées aux scores d’intensité (5,5/10) et d’interférence (6,0/10) mesurés par le BPI (Cleeland & Ryan, 1994) d’une population atteinte de douleur chronique (Trépanier & Cormier, 2017; Cormier, Lavigne, Choinière & Rainville, 2015; Tan, Jensen, Thornby & Shanti, 2004). Ainsi, il semblerait que la population de la présente étude ressentait une douleur de moins grande intensité et qu’elle était moins handicapante sur le plan fonctionnel, en comparaison avec d’autres échantillons atteints de douleur chronique. Dans ce contexte, il se peut que l’effet des différentes composantes de la tolérance à la détresse et l’éventuel effet de médiation de la dramatisation de la douleur dans l’association entre la tolérance à la détresse et l’expérience de la douleur n’aient pas pu être identifiés. Pour terminer, les participants de la présente étude proviennent tous de la communauté universitaire, ce qui peut limiter la possibilité de généraliser les résultats à l’ensemble de la population souffrant de douleur chronique.

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