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Chapitre 4. La consommation tabagique comme un facteur de risque

3. L’effet direct de la nicotine sur les chondrocytes humains

Hukkanen et al. (Hukkanen et al., 2005) ont rapporté que la concentration sanguine de la

nicotine obtenue à partir d’un fumeur chronique était dans la gamme de 0,01 à 0,1 μM. Les

différentes concentrations (0,1, 0,5, et 5 μM) de nicotine que nous avons utilisées pour les

chondrocytes humains sont donc proches de la moyenne concentration de nicotine du fumeur

in vivo, ce qui est valide les résultats obtenus.

La nicotine aux concentrations utilisées dans notre étude n’a pas d’effet sur la

prolifération cellulaire des chondrocytes humains arthrosiques (Figure 24). Cependant, elle

peut induire une augmentation de l’expression d’ARNm de MMP13 (Figure 26). Par contre, il

n’y a pas de changements significatifs au niveau de l’expression du secrétome chondrocytaire

évaluée par LC-MALDI (Figure 25). Ces données montrent que la nicotine aurait un effet

pro-catabolique sur les chondrocytes humains, en stimulant la dégradation de composés

matriciels. De plus, l’expression de marqueurs chondrocytaires et de degradation matricielle

est plus élevée chez les fumeurs par rapport à non-fumeurs (Figure 27). En examinant la

collection de patients étudiés, cette différence serait problement liée au sexe car il y avait plus

d’hommes que de femmes chez les fumeurs par rapport à non-fumeurs (Tableau 14).

Les effets négatifs de la nicotine sur la formation du cartilage ont été largement rapportés.

Jaiswal et al. (Jaiswal et al., 2009) ont conclu que les patients qui fument avaient des

conditions préopératoires moins favorables et ont moins d’implantation de chondrocytes

autologues que les non-fumeurs. De plus, le tabagisme retarde la chondrogénèse de guérison

des fractures dans un modèle murin (El-Zawawy et al., 2006). Kawakita et al. ont indiqué que

la nicotine diminue la synthèse de la MEC et supprime la différenciation hypertrophique des

chondrocytes de la plaque de croissance, ce qui entraîne un retard de la croissance du

squelette (Kawakita et al., 2008).

Nous avons montré que la nicotine n'avait aucun effet sur la prolifération des

chondrocytes arthrosiques humains (Figure 24). Ce résultat est en accord avec ceux de

Kawakita et al. (Kawakita et al., 2008). Dans leur étude, aucun effet nicotinique sur la

prolifération cellulaire n'a été détecté, évalué par immunohistochimie en utilisant un anticorps

contre l'antigène nucléaire de cellules proliférantes. Mais, ce n’est pas en accord avec l’étude

de Ying et al. (Ying et al., 2012a), ces auteurs ont montré que la nicotine pourrait favoriser la

prolifération des chondrocytes isolées des patients sains et arthrosiques. Cette différence

pourait s’expliquer par des conditions de cultures différentes (utilisation de chondrocytes en

P2, composition du milieu de culture différent).

Dans notre étude, au niveau de l’expression de marqueurs chondrocytaires, aucun effet

n’est observé sur l’expression de Sox9 et Col2a1 dans les chondrocytes arthrosiques avec

toutes les concentrations de nicotine utilisées, par rapport au groupe témoin (Figure 26.A-B).

Cependant, il y a une faible augmentation de l’expression d’agrécane à la concentration de 0,1

μΜ et 5 μΜ de nicotine (Figure 26.C). Au niveau de l’expression de marqueurs de

dédifférenciation, nous avons trouvé que la nicotine induit l’augmentation de l’expression de

MMP13 (Figure 26.E), et l’expression de ColX à 0,1 μΜ de nicotine est augmentée par

rapport au témoin (Figure 26.D). Cette partie de résultats indique que la nicotine peut

stimuler le catabolisme du cartilage et accélerer la dégration matricielle.

Ces données suggèrent donc que le tabac a un effet pro-catabolique sur l’articulation. Par

contre, Ying et al. ont montré que la nicotine augmente l'expression de Col II de chondrocytes

d’origine des patients sains et arthrosiques (Ying et al., 2012a). Gullahorn et al. (Gullahorn et

al., 2005) ont aussi trouvé que la nicotine aux concentrations 0,15×10

-7

- 0,15×10

-6

M pourrait

stimuler l’activité de synthèse de Col II de chondrocytes provenant de donneurs normaux in

vitro. Nous pensons que l'effet ou les mécanismes impliqués peuvent dépendre du type

cellulaire et des conditions expérimentales diverses qui sont utilisées dans ces différentes

études. Autre possiblité, dans les stades précoces de l'arthrose, les chondrocytes présentent

une augmentation de l'activité de synthèse, reflétant les tentatives de réparation (Lohmander

et al., 1994). Au cours du stade terminal de l’arthrose, les chondrocytes montrent une

augmentation de l’expression des gènes et la production de protéines associées à

l’hypertrophie (Sandell, 2012).

Concernant l'analyse protéomique, nous n’avons pas trouvé de modulation significative

du secrétome en présence de la nicotine (Figure 25). Et nous n’avons pas observé

d’expression de MMP13 et Col II. Si MMP13 n'a pas été facilement identifié en raison de la

concentration relative faible dans le sécrétome de chondrocytes, l'absence d'identification Col

II peut être plutôt due en raison de la forte homologie de cette protéine avec d'autres

collagènes abondantes qui sont synthétisés par le chondrocytes, et par l'identification difficile

de ses pepetides protéotypiques (Lourido et al., 2016). Cette hypothèse est confirmée par le

fait que Col II n'a pas été identifié dans un certain nombre d'études sur secrétomes, non

seulement les chondrocytes articulaires (Calamia et al., 2011), mais aussi à partir de cartilage

(Lourido et al., 2014). Cependant, Lourido et al (Lourido et al., 2016) ont trouvé que la

nicotine peut induire l'expression de MMP et de marqueurs de la destruction des articulations

dans les chondrocytes humains, présentant des effets cataboliques avec des concentrations

proches de celles trouvées chez les fumeurs, ce qui montre un rôle négatif du tabagisme dans

le développement de l'arthrose.

En absence de nicotine, nous avons observé qu’il y avait une variation inter-individuelle

importante de l’expression des marqueurs entre les patients arthrosiques. Nous avons constaté

que l’expression de Sox9, Col2a1, Agrécane, et MMP13 était plus élevée chez les fumeurs

par rapport aux non-fumeurs (Figure 27), ce qui semble indiquer que les deux voies de

synthèse et de dégradation des composants matriciels sont plus activées chez les fumeurs.

L'équilibre entre voies de synthèse et de dégradation au niveau de la MEC est important pour

maintenir la fonction normale du cartilage. L’anabolisme correspond à la biosynthèse de PGs,

d’agrécane en particulier celle des chaînes de procollagène, surtout Col II. Le catabolisme est

surtout catalysé par les MMPs, en particulier MMP13. Selon les données sur les patients

(Tableau 14), il n’y a pas de différence entre les deux groupes selon l’âge. La seule différence

est selon le sexe. Il y a plus d’hommes chez le groupe fumeur par rapport aux non-fumeurs.

C’est peut-être une raison pour expliquer que l'expression de marqueurs de la différenciation

chondrocytaire chez les fumeurs est plus élevée que chez les non-fumeurs.